ATTENTION SPOILERS PARTOUT

lundi 12 mars 2012

The War of the Roses - Karen Joy Fowler

Une simple nouvelle (déjà publiée qui plus est) reprise dans un petit livre sobre et beau, en papier journal - d'où le nom de la maison d'éditions.

La narratrice est chargée de traverser les montagnes et d'aller à la Guilde des roses exiger de l'aide. Les semailles de la Révolution, une variété très productive d'avoine sélectionnée, ne donnent plus d'assez bons résultats et ne peuvent pas nourrir les enfants. La famine menace sérieusement la Révolution. La narratrice doit absolument ramener de nouvelles semences - ou alors des semences réparées génétiquement -, sinon, c'est la vraie catastrophe hargneuse. La Guilde a la réputation de manipuler génétiquement les plantes, mais on ne sait plus grand chose de la Guilde depuis qu'elle a été expulsée de la Révolution.

La narratrice arrive au domaine de la Guilde. On accepte de l'aider mais on lui fait comprendre que ce sera un travail de longue haleine. La restauration de la diversité génétique de la variété d'avoine se fera sur plusieurs générations : les pouvoirs de la Guilde ont été passablement exagérés, ce sont tout simplement des gens qui ont longtemps travaillé sur les roses (plus généralement sur les plantes) mais qui, lorsqu’ils furent ostracisés, ont perdu tous leurs instruments. Ils acceptent d'aider la narratrice si elle accepte de plaider leur cause auprès des autorités de la Révolution afin que leur soient rendus quelques outils et autres appareils. Elle accepte. Pendant tout un hiver elle demeure à la Guilde, fait le travail qu'on lui impose et apprend à apprécier ce mode de vie qui ne lui apparait pas contre-révolutionnaire, ni tourné vers le passé.

Elle revient au village avec en main quelques semences régénérées. Le transfert est réussi, les récoltes vont aller petit à petit en s'améliorant. Mais les autorités de la Révolution refusent de tenir leur part du pacte et ne donnent pas à la Guilde les quelques outils qu'elle réclamait. La narratrice retraverse les montagnes qui séparent les deux communautés pour trouver le château-fort de la Guilde complètement détruit et rasé.

Avec le compagnon qu'elle s'était fait lors de son séjour à la Guilde, elle prend la résolution de quitter la Révolution et de recommencer le long travail patient de la Guilde.

Voilà une jolie et intéressante nouvelle sur la mémoire et le progrès, sur la dialectique entre la tradition (qui évite les cassures les plus radicales, mais qui aussi peut être un fardeau empêchant toute espèce de progression) et la poussée vers l'avant qui se fait du seul mouvement des peuples. Ce tiraillement est rendu avec justesse par Fowler dans un texte un peu éthéré.

The War of the Roses
Karen Joy Fowler
Pulphouse édition, 1991
43 pages
lecture : avril 93

Le Général dans son labyrinthe - Gabriel Garcia Marquez

Accompagné par une garde d'honneur formé de compagnons d'armes et de domestiques, le général Simón Bolívar quitte Bogotá après avoir abandonné le pouvoir et entreprend la descente du grand fleuve Magdalena vers la côte. L'Amérique, c'est fini pour lui, il part vers l'Europe; son grand rêve de l'Amérique unifiée craquelle et s’effondre sous l'ambition des généraux qui ont pris les provinces sous leur coupe.

Bolívar, quant à lui, est très sérieusement malade. Son entourage est inquiet, voire découragé. Ses jours sont comptés et le voyage sur le Magdalena sera son dernier. On doute qu'il puisse aller vers l’Europe, d'autant plus que le gouvernement du général Santander (qui fut, mais n'est plus, l'ami de Bolívar) refuse de délivrer le visa qui lui permettrait de quitter le pays.

Alors Bolivar descend le fleuve lentement, s'arrêtant au gré des villages et des villes, et le général moribond se remémore les épisodes immortels de sa vie glorieuse : ici, une action décisive contre l’armée espagnole; là, une conquête féminine, et là encore, un village rayé de la carte dont les ruines sont encore habitées. Comme quoi la vie est plus forte que la mort.

Les femmes ont tenu une place importante dans sa vie. Les femmes, mais pas 1'amour. La licence, le sexe, la chair, sans romantisme, dans la perte de l'ambition amoureuse. Comme beaucoup d'hommes politiques, Bolívar est aiguillonné par le goût de séduire, les femmes sont un champ de bataille où il lui faut être irrésistiblement vainqueur.

Pourtant l'ambition première de Bolívar aura été l’unification des provinces de l'Amérique du Sud en une grande Colombie, un rêve tout à fait napoléonien, c'est-à-dire d’époque. Bolívar, de tous les Libertadors, incarnait plus que tout autre ce rêve d'égalité et cette accession à la puissance. Mais le rêve aura été bref, Bolívar n'est pas encore mort que ses héritiers putatifs et ses ennemis acharnés se jettent comme des chacals sur la carcasse de la Colombie. C'est donc autant à l'agonie physique d'un homme que le lecteur est convié qu'à l'agonie de son rêve, de la grandeur de sa vision.

Bolívar hallucine. Il confond les endroits, se méprend sur les hommes, entraperçoit dans sa chambre les femmes de sa vie.

Toute la vie s'échappe et ne reste que le rêve. Et de sursauts en défaillances, dans le long tourbillon qui le mène au néant, Bolívar va peu à peu perdre pied avec la réalité. Mais jusqu'à la toute fin, jusqu’à ces mystérieuses dernières paroles - Comment sortir ce labyrinthe ? - jusqu'au seuil ultime de la mort, Simon Bolívar n'aura jamais été que l'incarnation de cette immense espérance.

L'écriture est extraordinaire de richesse, dense et touffue comme la jungle que le général traverse, éclairée comme les villages où il prend du repos, sombre et tranquille comme le long fleuve qui le guide irrévocablement vers son anéantissement. Mais ce n'est pas avec la prose que le lecteur-ci a connu des problèmes.

Le problème, ça a été avec le peu de connaissances préalables que j'avais de l’histoire de la libération de l’Amérique latine de la domination espagnole. En fait, mis à part les noms des généraux Bolívar et Sucre, je n'en connaissais absolument rien. Cette histoire pourtant prodigieuse, gigantesque et romantique a été si complètement occultée qu'il m’a été impossible de me raccrocher à quelque souvenir que ce soit, et encore moins de départager l'importance des faits et de saisir les finesses historiques des événements et des lieux que met en scène l'auteur. Le lecteur est dans une zone noire.

En résumé, une écriture somptueuse et une anecdote nébuleuse en raison de l'ignorance du lecteur.

Le Général dans son labyrinthe
Gabriel Garcia Marquez
Grasset, 1990
(El general en su laberinto)
319 pages
lu : janvier 95

mardi 6 mars 2012

Le champion des bricoleurs - Cécile Gagnon

Améric Chalifour vit à la campagne. Il a douze ans et il occupe ses loisirs en bricolant mille et un cossins. C’est un esprit inventif, avec des bouts de rien et des machins trouvés ici et là, il fabrique une chatière automatique et un grille-pain programmable via le radioréveil de la cuisine. Il est absolument fasciné par les appareils, les moteurs, la mécanique en général... Comme c'est l'hiver et que la première tempête de neige commence à tomber, il apporte des améliorations au chasse-neige que son père pilote pour la municipalité. Il a bricolé un peu trop rapidement de sorte que le chasse-neige scie des poteaux de bois et arrose la glace plutôt que de ramasser la neige. Son père lui demande de régler ces petits problèmes: Améric se met à la tâche, heureux comme un oiseau. Avec le tuyau du sèche-linge, il transforme le chasse-neige en une authentique souffleuse à neige qui fait délirer de joie toute la municipalité. On parle même d'informatiser toutes les opérations de déneigement, ce qui remplit Améric de bonheur. Entre- temps, il a patenté un fer à friser en appareil à gaufrer les cheveux de ses deux sœurs, ce qui leur permet de décrocher de petits rôles dans un vidéoclip. Tout se termine dans la bonne humeur la plus totale.

Ce livre-là, c'est du bonbon. Très sucré. Ça baigne dans une forme de bonheur et de tolérance qui a peu de chose à voir avec la réalité. Est-ce à dire que la littérature jeunesse devrait être réaliste ? Non, mais il y a certainement une voie autre que la guimauve que nous sert l'auteure.

Cela dit. Le personnage principal est sympathique, débrouillard, il se met sur la sellette sans ostentation, c'est un gentil garçon plein d'idées. On ne peut que l'aimer. La passion qu'il a pour les mécaniques est joliment rendue, et crédible aussi. Ce sont les personnages secondaires qui font défaut. Les sœurs plus âgées, dont les champs d'intérêt sont les garçons et les fringues, la maman très attentive et le papa toujours jovial en dépit des bévues de son fils; cet amalgame du bon sentiment et du cliché flanque le cafard à la fin.

Le champion des bricoleurs
Cécile Gagnon
Québec/Amérique, 1991
103 pages
lu: novembre 95

L'armée du sommeil - Gilles Gagnon

Plutôt que de jouer dehors, Simon aime fouiller dans les hangars du quartier. Un jour, il tombe sur une grosse malle verrouillée dans le hangar de Mme Gilbert, la veuve. Le lendemain, armé d'une chaîne, il fait sauter le cadenas et découvre à l'intérieur du coffre un étrange appareillage électrique qui ressemble à un casque relié à des tubes et des ampoules. Surpris par Mme Gilbert, qui avait entendu un bruit, Simon se prend d'amitié pour la vieille femme un peu triste; elle lui apprend que cet appareil était une invention de son mari, une invention très spéciale qu’il était le seul à connaître. Mais depuis vingt ans, le Dr Gilbert est porté disparu et présumé mort.

Soudain, l'appareil s'anime et Simon et Mme Gilbert sont pétrifiés d’effroi.

Une voix fluette se fait entendre : c'est celle du Dr Gilbert. Il n'est pas mort ! Il est captif sur la planète Samp – son appareil est un genre de téléporteur. Depuis vingt ans, les Sampys le retiennent car, craignant l'agressivité des humains, ils redoutent l'arrivée inopinée d'autres Terriens sur leur monde. Mais, à côtoyer le Dr Gilbert, les Sampys ont modifié leur opinion; et ils permettent à Simon et à Mme Gilbert de venir visiter Samp.

Les Sampys sont des êtres très différents des Humains. Ce sont des êtres colorés, ils ondulent, etc. Avec son accord, ils décident de faire de Simon leur porte-parole qui retournera sur Terre avec un moyen ingénieux pour jeter les bases d'une paix durable entre tous les habitants de la planète. Après un an sur Samp, Simon est téléporté sur la Terre, à Montréal, où il fomente la grève de tous les enfants jusqu'à ce que la paix soit établie. C'est la grève du sommeil : tous les enfants entrent dans un sommeil calme et serein dont ils ne s'éveilleront jamais si la paix ne se fait pas. Simon, qui n'est pas en phase de sommeil, présent les Sampys aux Terriens et explique le but de leur intervention. Tous sont si émus par de tels propos et par la générosité de l’armée du sommeil que, partout, les armes sont abaissées et la paix l'installe.

Le roman s'adresse à un public très jeune. Le côté gnangnan fait sourciller l'adulte. D’autant plus que l’idéologie derrière l’action des Sampys est parfaitement discutable. L’intervention paternelle d’êtres supposément supérieurs qui se servent d'enfants pour arriver à leur but – aussi noble soit-il – est proprement condamnable... En tous cas, il s’agit d’une tare que l'on ne peut passer sous silence même si le roman est diablement mené : les deux premières parties sont bien enlevées, la découverte du coffre suivie de l'histoire des époux Gilbert, et ensuite la planète Samp.

La troisième partie, le retour sur Terre de Simon, le sommeil des enfants, la prise de conscience des autorités politiques et scientifiques et la mise au rancart du militarisme, cette partie est plus forcément abstraite et plus lente bien que le débat d'idées soit présenté de manière vivante.

En somme, un bon petit roman assombri d'une idéologie suspecte.

L'armée du sommeil
Gilles Gagnon
Québec/Amérique, 1987
124 pages
 Lecture : mai 94

René Lévesque - Claude Fournier

Le sous-titre de cet ouvrage est Portrait d'un homme seul. À la lecture, on se rend compte à quel point René Lévesque était solitaire, introverti, incapable amitié et d'amour.

Qu'on ne se leurre pas, Fournier n’a pas écrit une biographie. Il s'agit d’un portrait romancé éclairant les années politiques de Lévesque. C’est bêtement chronologique, ça s'attache uniquement aux principaux événements de la carrière de saint René – et c'est absolument palpitant.
Il faut reconnaître Fournier sait écrire. Il manie la plume avec dextérité et sait monter son histoire. Il met en place des scènes rapides, cadre serré sur les personnages, produit un dialogue concis, souvent percutant – en somme, il maîtrise le montage cinématographique qui accroche le lecteur et le mène par le bout du nez jusqu'aux dernières lignes de l'ouvrage, pareil à un véritable suspense alors que tous et chacun connaît très bien la suite des événements Le portrait brossé par Fournier est passionnant. Il enfile les petites scènes bien ciselés, précises, qui s'enchaînent les unes dans les autres à un rythme haletant. L’impression de mouvement est absolument irrésistible.

Du coup, ce portrait à l'américaine ne pèche pas par excès de psychologie. Celle-ci se réduit à rien du tout : nous ne sommes pas là pour analyser le sujet, mais pour l'observer.

Et de la seule observation, le texte tirera bénéfice et portera jugement sur les personnages. C'est le modèle américain. Ici, pas de descriptions psychologiques ni d’introspection, que le lecteur s'accroche comme il peut, on démarre en trombe et on fonce droit devant...

Nous sommes donc sur les traces de René Lévesque à compter de son départ de Radio- Canada (en 1959) jusqu’à sa retraite de la vie politique, une période d’à peu près vingt-cinq ans. L'angoisse de son entrée au Parti libéral de l’époque, où Jean Lesage se cherchait des hommes valables pour mener son Équipe du tonnerre à remplacer les troupes duplessistes. Chez les libéraux, Lévesque va piloter des projets importants (dont celui de la nationalisation de l'hydroélectricité, qui fera de lui la star de l'élection générale provinciale de 1964).

Lévesque prend une place de plus en plus grande, voire gênante; non seulement est-il un homme extrêmement populaire avec les éleveurs (ce qui porte ombrage à Lesage qui ne se comptait pas pour une prune) mais encore ses idées sur la souveraineté du Québec le place en porte-à-faux avec le PLQ, encore puissamment fédéraliste. En 67, Lévesque donne sa démission. Il fonde le Mouvement Souveraineté-Association qui deviendra un peu plus tard le PQ. Fournier nous fait vivre les rencontres déterminantes et les moments cruciaux, sans en éviter un seul… Tout le gratin politique québécois y passe : Lesage (qui lève le coude avec entrain), Gérin-Lajoie, Bourassa, Jean-Roch Boivin, Parizeau, Charron, les deux Morin (Fournier peint avec une méchanceté jubilatoire un portrait de Claude Morin, extraordinaire de suffisance), Laurin, et des portraits de femmes que Lévesque séduisait ou tentait de séduire.

Autant Lesage était un alcoolique social, autant Lévesque est un Casanova impénitent tenté par toutes les femmes. Même lors de sa longue liaison avec Corinne Côté, il aura des maîtresses et ne cessera jamais de flirter.

Mais la politique exige toujours son dû. Après l'échec du référendum, la nuit des longs couteaux et les tiraillements factieux qui menace le PQ, René Lévesque sombre dans l’alcoolisme (lui aussi) et subit une sévère attaque de dépression, qui le mèneront à quitter la vie politique et à remettre sa démission.

Fournier fait le portrait d'un homme incapable de faire confiance à quiconque. Un homme profondément solitaire, en dépit des conquêtes féminines et de son incroyable popularité personnelle. Alors que la société québécoise est en train de sanctifier cet homme, ce portrait un peu cru jette une lumière nouvelle sur l'homme derrière le saint.

René Lévesque
Claude Fournier
L'Homme, 1993
336 pages
lu : avril 94

lundi 27 février 2012

Les petits cris - J. Gagnon

La vie sexuelle des abeilles : un couple cherche à faire l’amour sans y arriver. Et la bosse des bossus, maman ? : la curiosité insatisfaite d’une enfant devient cruauté pour sa mère bossue. La chambre creuse : un type terne mène une vie terne. L’ambulance : un homosexuel est tellement heureux avec son chum qu’il fait des crises d’hystérie à répétitions qui le mènent toujours à l’hôpital pour y mourir d’amour. Dame Lessard : un homme qui déteste une femme lui prédit qu’elle va mourir d’un terrible cancer ; elle meurt dans l’année, mais en parfaite santé. Une chanson de Françoise Hardy : un souvenir d’amour, introuvable, impalpable, une petite ritournelle qu’on jugeait dérisoire dans le temps et qui revient fixer ce souvenir après des années. Cette salope de Jeannine : un homme tombe amoureux d’une femme qui l’avilira au point de le rendre impuissant quand elle le quitte. Le nombril de la Terre : les gens d’une petite ville meurent mystérieusement d’une explosion de merde quand le ventre leur éclate, puis la ville s’efface de la Terre en ne laissant qu’un petit anus de terre qu’on appellera pudiquement le Nombril. Le petit Gaspar : Gaspar est tellement supervisé par sa mère, tellement contrôlé, qu’un jour il s’arrache le cul à force de se torcher. Il doit être chez Gervaise : un homme cherche son amant à travers la ville, puis le monde, alors que ce dernier l’attend sur le perron de la maison. Les petits cris : une fille naît à un couple, c’est une fille qui pousse incontrôlablement trois cris suraigus à toutes les quinze minutes. Elle grandit sans trouver à se marier car sa mère, après l’avoir bâillonnée, lui a inculqué la manie obsessive de la propreté (elle va jusqu’à torcher les chevaux). Klondike : on a toujours pensé que le vieil homme cherchait de l’or, alors qu’il cherchait le meilleur endroit où enterrer sa maîtresse tant aimée. Le meurtre de Clarisse V. : Clarisse est assassinée de la pire des manières dans le beau Monde. Elle faisait chanter tous ses amis et sa parenté, et ce chantage était réciproque à grande échelle. Mais l’inspecteur en arrive à la conclusion que le meurtre n’a pas pu avoir lieu car il a été commis durant la semaine des quatre jeudis. Une nouvelle absurde pour le moins.

Le talent de Jocelyn Gagnon est vaste mais il s’emberlificote parfois dans des histoires faibles, que le style parvient difficilement à sauver. Reste que ça nous fait une belle jambe, Gagnon, c’est avant tout un style extrêmement léché, aux phrases pleines de fioritures, ornés en diable, élégantes et originales. Des fois, cependant, ça a l’air juste de ça : d’élégance et de m’as-tu-vu stylistique.

Gagnon fait des histoires cyniques, noires, désespérées, d’amour déçu, d’amants insatisfaits ou abandonnés, d’objet que l’on cherche toute la vie et que l’on ne peut retrouver alors qu’ils sont tout à côté : c’est donc une forme de romantisme et d’idéalisme, mais cassés, en morceaux, irréparables. Ne reste que les belles phrases étourdissantes.

Les petits cris
J. Gagnon
Québec/Amérique, 1985
169 pages

dimanche 26 février 2012

American Psycho - Bret Easton Ellis

Patrick Bateman est un jeune yuppie new-yorkais. De jour, il est courtier et gère un portefeuille important chez un courtier. Le soir, il est tueur en série.

Autrement, la vie qu'il mène est un exemple de platitude rectiligne. Il est riche (190 000 $ par année), il a des filles comme il veut, il sniffe de la coke, il va dans les plus chics restaurants et dans les bars à la mode. Pourtant son existence, et celles de ses congénères yuppies, est d’une morose insipidité. Ces gens-là ont tout, en apparence, mais, justement, ils en restent aux apparences. Qui sont-ils ? On ne le saura pas; ce que l'on apprendra d’eux, c'est le style de leurs vêtements, de leurs coiffures, la nature des soins esthétiques (beauté et gymnastique) qu'ils apportent à leur corps.

Pourtant, Bateman est assailli par un besoin incontrôlable de tuer, et surtout de faire souffrir en amenant sa proie à la mort. Ses premières victimes seront un clochard et son chien qu'il s'amusera a dépecer dans une ruelle. Puis, après ça, son désir inassouvissable sera épongé partiellement par un excès de plus en plus grand de dépravation. Bateman s'attaque aux faibles, à ceux à qui la société n`offre pas d’identification : les clochards, les amuseurs publics et les prostituées. À une seule reprise va-t-il tuer un individu de sa caste. D'ailleurs, le roman orbite complètement autour de ce problème de l'identification.

Le fonds sadique de Bateman menace constamment se sortir, de trouver un moyen de se faire connaitre du monde. Cette bête en lui essaie de s'extirper, crie et se rebelle face au silence dont elle fait l'objet — mais nul ne l`entend, hormis le lecteur et Bateman qui raffole de la proximité du danger. Ces épisodes sont peut-être des fantasmes de l'imagination de Bateman, le lecteur devra forger sa propre opinion car aucun indice ne permet de le savoir précisément.

De ce roman, on pourrait attendre une fin morale. Non. Bateman s`en tire, tout simplement parce que les gens de sa génération et de sa qualité s'en sortent : ils ont l'argent, le pouvoir — ils dominent la société,

L'auteur réussit un étrange tour de force : celui de ne décrire absolument personne dans son gros roman. Les hommes sont décrits — avec profusion —- par leurs vêtements (tous assez semblables) et les femmes par leurs coiffures, la grosseur de leurs boules (c`est un roman machiste) et leurs vêtements. D'ailleurs, l'identification personnelle devient vite quasi-impossible, car, d'un jour à l'autre, les vêtements changent selon les modes; de sorte que les personnages n'arrivent jamais à s'identifier chacun l'autre correctement, il y a constamment méprise sur les personnes. Le narrateur lui-même est continuellement pris pour un autre — et le plus énorme, c'est que cette perte d`identité n'inquiète absolument personne et ne les intéresse même pas. Cette grisaille quotidienne fait partie des choses de la vie. Ils ne se connaissent que de nom, reconnaissent vaguement un visage dans la foule... Mais ils sont absolument au courant des griffes de couturier et savent reconnaitre une chemise Brooks d'une Armani au coup d’œil.

Le monde de l'artifice.

Ce roman a fait sensation avant même sa publication américaine quand les passages les plus violents furent coulés à la presse. Une campagne féministe avait appelé au boycott avant sa sortie.

Pourtant, il n'y a pas, ici, de complaisance face à la violence. Les passages les plus durs font frémir, au début en tous cas, puis ils lassent (une obsession est, de par sa nature, répétitive), mais ce sont des passages nécessaires pour les développements psychologique et fantasmatique de Bateman.

Un excellent roman, drôle (notamment tout un chapitre où Bateman, un copain et une fille tentent de choisir, lors d'une conférence téléphonique à trois, un resto où aller souper), pertinent et éclairant sur une couche sociale dont on entend parler beaucoup, les yuppies, mais qui pour le commun des mortels demeurent des bêtes mystérieuses.

American psycho
(An American Psycho)
Brett Easton Ellis
Seuil Points, 1993
513 pages
lecture 2 août 93

mercredi 22 février 2012

Arena - Magic : The Gathering - William R. Forstchen


De la merde.

J'en ai lu vingt pages. Ça été suffisant. J'ai acheté ça en sachant très bien que ça ne volerait pas bien haut. Au mieux, cette mise en situation de l'univers MTG aurait pu être médiocrement intéressante. Horreur, c'est un oiseau sans ailes : ça ne sert à rien, c'est laid et ça piaille fort. Parce que le roman est gros et verbeux.

Mon ami Ronald a eu le courage de le lire au complet. Ça en dit long sur son courage ou son abnégation, ou sur la perte de son sens critique.

Vingt pages. Misère. Ça met le coût de la page lue à 32 ¢.

Magic the Gathering : Arena
William R. Forstchen
HarperPrism, 1995
297 pages
Lu : septembre 95

The Sportswriter - Richard Ford

Frank Bascombe est un écrivain de sport pour une revue spécialisée. Il a publié quinze ans auparavant un recueil de nouvelles qui lui a valu estime et fortune. Depuis, c’est la panne sèche. D’ailleurs cette panne-là ne l’émeut pas. Frank est un homme déconnecté. Sa femme est parti parce qu’elle trouvait morne la vie en sa compagnie.

Je n’ai pas terminé ce livre. Ça porte tellement sur les nerfs, cette espèce de néant de valeurs et d’émotions. L’absence de valeurs profondes ne signifie pas que le personnage se vautre dans l’acte gratuit ou dans le genre de pensées nihiliste où rien ne compte, surtout pas la douleur que l’on inflige aux autres. Bascombe est un type correct qui essaie de vivre sans trop faire de mal autour de lui.

Ce qui irrite, c’est à la fois le propos du livre (mais ne l’ayant pas fini, comment osé-je porter un jugement ? – d’autor !) et la manière de l’écriture qui reste collé aux limites du personnage, à ses introspections à tiroir, à des séries de flashbacks sans relief à l’intérieur de flashbacks d’une égalité sans pareille. Il y a quelques bonnes réflexions dans ce roman : mais elles sont éparses, et on sent que l’auteur se préparait à les déclamer, le roman tout entier donne l’impression d’avoir été orienté en fonction de ses réflexions.

Bon. Et puis ça n’avance pas, ça stagne. On s’ennuie en compagnie de Frank Bascombe, on voudrait qu’il fasse quelque chose, qu’il pète, qu’il rote, qu’il saute ses blondes, qu’il vive ! Mais non, Bascombe traîne ses interrogations inintéressantes (il les juge telles lui-même) et succombe à l’indifférence introspective pour un oui et pour un non. Ce n’est ni de la complaisance (au moins, ce serait une émotion !), ni de la morbidité…

Ça parle de l’indifférence, de la perte de l’intérêt – et l’écriture est, hélas, parfaitement idoine avec le sujet.

The Sportswriter
Richard Ford
Vintage, 1986
375 pages
Lu : octobre 93