ATTENTION SPOILERS PARTOUT

lundi 28 février 2011

La mémoire du lac - Joël Champetier

Daniel Verrier, pompier volontaire à Ville-Marie dans le Témiscamingue, est gravement blessé en devoir quand, dans une chute, un pieu de métal lui pénètre le crâne. Les dommages subis ne sont pas très graves, il a été extraordinairement chanceux, mais il en résulte des pertes de mémoires qu'il tait à son médecin, ainsi qu'à sa femme.

Quelques années plus tard, il est frappé par une autre tragédie. Pour avoir fait le fou sur la glace du lac en hiver, sa camionnette s'enfonce dans l'eau où périssent ses deux jeunes enfants. On ne retrouvera pas leurs cadavres, sa femme le quittera quelques mois plus tard.

Après une longue absence, Daniel Verrier reprend vie tout doucement. Il se trouve un emploi de fonctionnaire, se fait une nouvelle blonde et, à part des cauchemars post-traumatiques, la vie reprend son cours normal. Un jour, un incendie se déclare dans un chalet abandonné depuis des années. Verrier y est appelé parce qu'il a repris son poste de pompier volontaire. Au chalet, on retrouve des ossements d'enfants sacrifiés. Une enquête commence. Un carnet met les policiers, et Verrier, sur la piste d'une vieille légende amérindienne. Un monstre habite le fond du lac Témiscamingue; il s'agit d'une déité endormie qui n'attend que le sacrifice d'enfants pour se réveiller et mettre le monde à feu et à sang. Verrier est directement interpellé, ses deux enfants ont été sacrifié à la déité endormie — celle-ci lui en réclame un autre. Verrier n'en avait que deux, il est confus et concerné.

Le mystère s'éclaircit quand on apprend que Verrier avait fait un enfant à la robineuse du village (ce qu'il avait oublié suite à une perte de mémoire obligeamment placée là par l'auteur). C'est ce fils d'une quinzaine d'années qu'il devra sacrifier au monstre, ce qu'il n'a pas l'intention de faire le moins du monde. Mais le fils, possédé par la déité, enlève la blonde de Daniel Verrier et une poursuite s'engage entre les deux hommes sur les eaux du lac Témiscamingue, avec la déité qui implore Verrier au sacrifice de ce fils qui va tuer celle qu'il aime.

La blonde meurt mais Verrier réussit à délivrer son fils du mal qui le rongeait. La déité du lac Témiscamingue reprend son sommeil. La bataille entre le bien et le mal est gagnée par le bien... temporairement car le combat n'est jamais terminé.

Champetier fait preuve d'un remarquable savoir-faire en bichonnant une intrigue irréprochable et des caractères intéressants en dépit de quelques maladresses à trop vouloir bien faire. Par exemple, quand Verrier refuse hystériquement de se faire sucer par sa nouvelle blonde, scène qui éclaire le passé caché du personnage et soulève une partie du voile qui recouvre les relations entre lui-même, la robineuse et son fils légèrement demeuré, la psychologie m'en est apparue opportuniste, voire plaqué pour répondre à un besoin inexistant d'une scène de cul (pour suivre la recette du genre). Heureusement, ces inégalités sont rarissimes. La Mémoire du lac est finalement un très bon thriller, doublé d'une tendance horrifique. Le roman aborde une série de thèmes bien québécois : la langue, les relations difficiles avec les autochtones, le moyen Nord, le syndicalisme, les amours compliqués entre femmes modernes et hommes rosâtres.

L'amalgame — hétéroclite par définition — est pourtant excellent. La recette du thriller est scrupuleusement suivie, avec flash-backs et explications simili-psychologiques à la clé. Champetier réussit à faire vivre son décor, les terres arides et gelées du moyen Nord, avec une remarquable économie d'effets. Les scènes de tempête de neige sont particulièrement réussies.

Par contre, la fin du roman détonne un peu avec les règles sacro-saintes du genre. Ici, ça se termine plutôt mal pour le héros. Il ne parvient pas à sauver de la mort sa nouvelle blonde; et pour vivre en paix avec son fils retrouvé, Verrier devra s'exiler loin du lac Témiscamingue.

Une belle réussite mineure, mais incontestablement une réussite dans le genre.

La Mémoire du lac
Joël Champetier
Québec/Amérique, 1994
195 pages
lecture : janvier 94

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