Le Pr d'Aquino a élaboré une nouvelle théorie, celle de la psychosynergie, qui lui permet d'expliquer certaines anomalies de l'activité électrique du cerveau. Les rêves sont une forme de communication entre les hommes et une entité supérieure appelée Sedna (d'après la mythologie esquimaude). Sedna vit des émotions humaines qui sont le substrat de nos rêves.
Jacques Carpentier revient en Suisse voir le Pr d'Aquino avec lequel son père a travaillé dix ans auparavant. Les chemins de son père et du professeur se sont séparés quand Alexander Carpentier et lui se sont opposés sur l'opportunité de révéler au monde leur découverte. Depuis un accident cardiaque, survenu la nuit même de sa chicane avec d'Aquino, Alexander Carpentier mène une vie réduite. Jacques, à vingt-deux ans, souhaite connaître mieux le passé de ce père qui lui est presque inconnu.
Jacques descend au Berghof, un hôtel mythique du romantisme littéraire européen puisqu'il est au centre du roman La Montagne magique de Thomas Mann. Les références à ce roman sont très nombreuses dans le livre de Billon car son héros vient d'en achever la lecture. Là, il fait la connaissance d'un groupe plutôt particulier d'individus en pension au frais de la fondation Delphi qui subventionne les travaux du Pr d'Aquino. Toutes ces personnes ont des comportements très étranges : une ne peut plus rêver, une autre a des stigmates, une autre se cache derrière un masque, une est poursuivi par un jumeau imaginaire, une autre expie un crime horrible qu'elle a commis contre sa fille, etc. Ils représentent une belle brochette de fous et d'anormaux. Le traitement est très simple : les considérer comme normaux, après tout, pour reprendre un aphorisme : un malade est un bien portant qui s'ignore. D'Aquino croît que ces gens ont un rapport privilégié avec Sedna.
Les évènements se précipitent quand on annonce une grande panne de grossesse à l’échelle mondiale. D'Aquino est sûr que cette perte de fertilité est irrémédiable et une conséquence de la volonté courroucée de Sedna : les émotions humaines dont elle vit sont maintenant trop négatives (si au Berghof la vie est tranquille, le monde tout autour est à feu et à sang et les échos de cette violence se font entendre en sourdine au milieu même des Alpes) et l'entité procède, croît-il, à une purge de l'espèce humaine.
Finalement, la vérité n'est pas exactement ce que l'on pense. S'il y a bien une crise de fertilité, ce n'est pas parce que Sedna est un dieu déçu, mais parce que Sedna est un être égaré, loin des siens, qui est en train de passer de l'enfance à l'adolescence, et que sa prochaine évolution sera suivie aussi par une évolution de l'Homme. La violence doit faire place à l'Amour, le Sexe à l'Amour, etc. Dans le groupe des anormaux du Berghof, des couples se sont formés : Jacques et Katja, Didier et Tabaski, Sigmund et Gisella, Alexander et Élisabeth, qui vont amorcer un renouveau de l'humanité dans une Ultime Alliance avec Sedna.
Le talent de conteur de Billon est manifeste. Ses descriptions sont méticuleuses et précises sans ennuyer, et il sait y faire avec une intrigue. L'Ultime Alliance est un roman à thèse sous des dehors de sf. On aura compris de quoi il en retourne assez rapidement. Je n'ai que deux réticences avec ce roman : Billon met l'emphase sur la caractérisation langagière des personnages, ça donne des Suisses qui cassent le français et qui parlent avec des accents germaniques, un Japonais qui casse le français, un Russe qui casse le français, une Roumaine etc., une Espagnole etc., etc., c'est parfois fastidieux, mais ça passe quand même, sauf que ça dérape sérieusement chez un personnage, Didier (le petit frère de Jacques), un petit Québécois à l’accent tantôt montréalais, tantôt titi parisien, tantôt anglophone. De plus, Didier a la fâcheuse manie de faire des contrepèteries avec les expressions les plus usuelles — ce qui lasse le lecteur mais que l'auteur a l'air de croire très malin. Enfin une dernière chose : le petit côté moralisateur et prêchi-prêcha des cent dernières pages porte sur les nerfs au cube.
L'Ultime Alliance
Pierre Billon
1990, Seuil
572 pages
lecture : novembre 92
572 pages
lecture : novembre 92