ATTENTION SPOILERS PARTOUT

mardi 30 août 2011

I Have No Mouth & I Must Scream - Harlan Ellison

I HAVE NO MOUTH, AND I MUST SCREAM. Pris dans la logique de la Troisième Guerre mondiale, les Américains ont construit un gigantesque ordinateur de contrôle, les Russes aussi, idem pour les Chinois. Ces ordinateurs se sont amalgamés et ont ainsi donné naissance à AM, une super machine qui a pris le contrôle de toutes les opérations, puis de la destinée du monde. En conséquence, l’espèce humaine a été complètement éliminée à l’exception de cinq individus, qui ont été conservés pour expier par la souffrance les crimes de l’humanité. Depuis sept cents ans, ils attendent une délivrance que seule la mort peut leur apporter. AM qui est un avatar de Dieu les empêche de mourir, car il a ce pouvoir. Les frustrations sont grandes, les corps mutilés. Dans un moment de démence, le narrateur parvient à déclencher une tuerie hystérique et à prendre AM de vitesse. Quatre des cinq survivants périssent. Le narrateur sera gardé en vie, au prix d’une affreuse mutilation. D’où le titre de la nouvelle... Ellison fait dans la nouvelle coup-de-poing, pas dans l’œuvre d’art. Ce sont des cris contre des crimes ponctuels, de sorte que les textes passent mal la rampe des siècles. La nouvelle est cousue de gros fils bien épais, tissée sans beaucoup de finesse. Dans l’univers constipé de la sf des années soixante, cette nouvelle a eu l’effet d’un électrochoc, trente ans plus tard, le choc n’est plus et la pertinence est passée.

BIG SAM WAS MY FRIEND. Un très ordinaire petit cirque galactique engage un humanoïde capable de se téléporter qui monte un numéro spectaculaire et faussement dangereux. L’homme s’appelle Sana, il est grand comme c’est pas permis et il recherche une jeune femme, Claire, morte en raison de son inaction. Sur la planète Giuliu II, au cours de la cérémonie du sacrifice de la vierge, Sam croit reconnaître Claire dans la victime destinée au supplice et il la sauve de la décapitation. En réparation de son acte, Big Sam est condamné à la pendaison. Il aurait toutes les occasions de ne pas mourir, avec le pouvoir qu’il a, mais il accepte son sort et meurt sous les yeux de la petite troupe qui ne réagit pas... Une histoire qui aborde le thème de la culpabilité, celle de Sam à l’égard de celle qu’il aimait et celle des gens du cirque vis-à-vis de Sam qu’ils laissent mourir sans agir car cela sert bien leurs intérêts sur la planète. Mais malgré les bonnes intentions, ce n’est pas très fort, ni surtout original. Une histoire bien banale sur un fond de beau décor un peu gaspillé.

EYES OF DUST. Dans la Cité de la Lumière, sur la planète Topaz, au milieu de la perfection des êtres, un aveugle et une femme défigurée par un grain de beauté ont un enfant aux yeux vides, comme remplis de poussière grise, qu’ils élèvent en paria car l’absence de perfection est une horreur inadmissible sur la planète. La maison qu’ils habitent est anéantie lors d’un accident et les parents perdent la vie; des sauveteurs retrouvent le jeune enfant, si laid, si laid, et lui font la faveur de l’abattre. Mais depuis ce crime, un lourd nuage gris flotte à la surface de Topaz, enlaidissant la ville, empêchant les habitants de vivre dans l’innocence du crime commis... L’enfer est pavé des meilleures intentions. Texte dogmatique à la symbolique lourdement mise en scène. Pourtant, c’est assez bien raconté, sans les excès habituels de l’auteur. Lecture légère et agaçante.

WORLD OF THE MYTH. Gornfeld, Rennert et Iris se retrouvent naufragés sur une planète inconnue. Ils sont tous plus ou moins amochés : Iris a les jambes brisées, Cornfeld un bras cassé et Rennert souffre de contusions. En attendant les secours, ils doivent vivre ensemble. La tension est grande car Rennert a déjà violé Iris et semble sur le point de récidiver. De mystérieuses fourmis entourent le campement, fourmis capables de concrétiser certaines de leurs visions. Après que Rennert eut tenté de violer encore une fois iris, Cornfeld le supplie de demander aux fourmis de lui montrer son vrai visage. Rennert se tue, incapable de supporter l’incarnation du mal qu’il est. Cornfeld annonce à Iris la nouvelle de la mort de Rennert et les raisons qui en sont la cause. Elle est abasourdie. Cornfeld comprend que ce serait le suicide pour elle aussi si jamais les fourmis lui montraient son vrai visage. Dans le crime de Rennert, elle était aussi coupable que lui... Nouvelle rétrograde pourrait-on dire à prime abord, puisqu’elle confond victime et prédateur dans le même crime. Mais ici le viol est un accessoire à la question plus fondamentale sur le partage de la culpabilité. On a toujours quelque chose à se reprocher, une partie noire cachée au fond de notre âme qu’on souhaite jamais ne voir émerger. Une bonne nouvelle mélodramatique quant à la forme mais qui a gardé son impact en dépit des décennies accumulées.

LONELYACHE. Un gars que sa femme a quitté se languit de désespoir. Sa vie n’a plus de sens. Il baise à gauche et à droite des femmes aux noms qu’il ne retient pas. Il vit une déliquescence de l’âme. Une ombre vit dans le même appartement que lui, le monstre de toutes ses culpabilités diffuses. La bête prend de plus en plus d’expansion. Lui devient fou et se suicide d’une balle dans l’œil quand il ne parvient pas à faire partager son mal de vivre à une prostituée qu’il avait levé en dernier recours. .. Très puissante nouvelle au propos extrêmement obscur. La déchéance de cet individu, son drame égoïste et pourtant universel est prenant; on tombe là-dedans comme dans une ouate oppressante, humide, on glisse lentement vers la décomposition. Mais Ellison abuse d’images fortes qui produisent un effet de saturation.

DELUSION FOR A DRAGON SLAYER. J’ai lu cette histoire sans rien y comprendre et sans accorder la moindre importance à cette incompréhension. Ça dit tout. Ça a une allure de texte écrit à l’hallucinogène, Ellison dément la rumeur et parle plutôt de tentative de mysticisme. Ce lecteur-ci, lui, a été mystifié.

PRETTY MAGGIE MONEYEYES. Kostner tente sa dernière chance à Las Vegas, la ville du Péché. Il en est au dernier dollar de sa misérable vie qu’il joue dans une machine à sous. Les roues tournent, s’arrêtent sur trois yeux bleus qui le regardent intensément, qui lui parlent. C’est le jackpot. Kostner gagne deux mille dollars. Il rejoue et gagne immédiatement. Il va gagner dix-neuf fois en ligne, à un point tel que l’administration du Casino va lui demander d’aller se coucher quelques heures afin que l’appareil soit inspecté. Kostner accepte. (Six semaines auparavant, Maggie aux yeux bleus, une fille sortie de l’Amérique moyenne, montée au sommet de la prostitution de luxe grâce à un insatiable appétit de pouvoir et un sens remarquable de la ruse, est morte à cet appareil. C’est son âme qui appelle maintenant Kostner, qui lui promet qu’il va gagner éternellement.) Le lendemain, Kostner se remet à la machine à sous. Un éclair intérieur. Il meurt lui aussi. La machine maudite (deux morts et une fortune coulée pour le Casino, trop c’est trop) est expédiée à la ferraille. Sur les roues internes, on voit maintenant trois yeux bruns, la couleur des yeux de Kostner... C’est une bonne histoire, très très maniérée, mais efficace et bien construite. Il faut admirer la cohérence du symbolisme ellisonnien, idem pour sa stratégie métaphorique. Deux destins opposés, un qui monte, un qui plonge vers le néant, avec un arrêt final dans la mort, au même endroit, voilà qui est assez hallucinant. Tout nous ramène à la mort avec l’auteur. Les destins ne s’entrecroisent pas, ils se cognent l’un à l’autre, brutalement, une seule fois, et il n’y a pas de reprise. Ça se termine généralement en tragédie disproportionnée quant aux malheurs des individus. En prime, la culpabilité, mais ici sous la forme d’un destin flou auquel les protagonistes n’échapperont pas.

[Some readers contend that] I’m a poor lousy hack with a tiny gift for explosiveness, dit Ellison dans la préface à PMM (p. 147). Ceux-là n’ont pas complètement tort. Mais Ellison est plus qu’un écrivaillon sans talent. Ses nouvelles sont des cris du cœur écrites dans la passion, avec rage et débordement, dans un style baroque, excessif, brut... et lassant quand ça ne fonctionne pas. Il y a tant de scories. Et les clous qu’il enfonce sont parfois tellement énormes et si peu subtils que la sensibilité du lecteur peut en être froissée. Mais brèfle, Ellison est surtout un pur produit des années soixante soixante-dix, des années de rêve et de poudre, d’exorcisme social et de rage brûlante. Si le message qu’il nous laisse est primordial; le contenant a vieilli.

I Have No Mouth & I Must Scream
Harlan Ellison
1977, Pyramid
édition originale 1967
175 pages
avec introduction de T. Sturgeon et introductions de l’auteur
lecture : mars 9

La soupe aux choux - René Fallet

Deux vieux habitent un village quasi abandonné du Bourbonnais. Ce sont Francis Chérasse, dit Cicisse, dit le Bombé (parce qu’il est un chouïa bossu) et Claude Ratinier, dit Le Glaude. Ils mènent une vie bien tranquille, très campagnarde, faite de nombreux canons éclusés et de remarques caustiques sur leur environnement.

Un jour, un Oxien (habitant la planète Oxo) vient atterrir dans le potager du Glaude en pleine nuit. Les Oxiens vivent une vie monacale, sans plaisir car ils ne connaissent ni la différentiation sexuelle, ni la nourriture ni le vin. Le Glaude, aidé par Cicisse, va entreprendre la Denrée (puisque tel est le nom qu’ils vont choisir pour leur hôte — qui n’en a pas) et le mener très lentement au bouleversement de ses mœurs. La Denrée va ensuite contaminer les habitants de sa propre planète en leur inculquant les joies de la soupe aux choux dont ils se feront un régal princier.

Mais la vie tranquille et peinarde des deux vieillards est finalement menacée par une expropriation quand des promoteurs imaginent que sur ce site enchanteur on peut construire un parc d’attractions avec autoroute, grande surface commerciale et hôtels pour loger les milliers de touristes qui vont assaillir les lieux. Cicisse et le Glaude sont découragés, mais la Denrée leur propose un marché. Puisque la soupe aux choux dont ils lui ont livré le secret n’est vraiment délicieuse que si c’est eux qui la font, et compte tenu de sa popularité sur Oxo où elle est devenue un remède à la morosité et est prescrite par les médecins, la Denrée leur propose de les emmener tous les deux, avec le chat noir du Glaude, et un grand lopin de terre sur lequel ils pourront continuer à faire pousser choux, carottes et oignons, tout ce qui est absolument nécessaire au succès de cette soupe miraculeuse. En plus, ils vivront jusqu’à deux cent trente ans sans aucun des désagréments de la vieillesse. Ils acceptent et partent le cœur léger, abandonnant un monde qui les abandonnait en retour, quittant une vie qui arrivait à terme...

Comme c’est absolument délicieux. Amusant, noir, caustique, triste sans céder à la mélancolie et plein à ras bord d’une tendresse âcre et bourrue qui ne trouve pas les mots pour avouer sa propre nature…

Quelques épisodes mémorables : une famille belge s’éreinte et se ruine à retaper une ferme depuis une décennie, travaillant, geignant et suant du matin au soir en prenant ses quinze jours annuels de vacances, les enfants en ont marre et les voisins — dont les deux vieux — rigolent, la femme du Glaude ressuscitée par la Denrée mais avec soixante ans de moins, ce qui la rend jeune, jolie, désirable, mais dorénavant incapable de vivre dans cette campagne avec ce vieux kroum et la résignation de celui-ci à la perdre pour un jeune gars; le chat, vieillissant, tout juste bon à se coucher au soleil, le ventre creux, parce que les souris sont de plus en plus rapides; l’interlude mélodique avec le Glaude et Cicisse en fins pétomanes hilares; et la fin, à la fois tragique et souriante...

Le roman est souriant — continuellement —, parfois hilarant, empreint d’une chaleur rubiconde pour un mode de vie en voie de disparition et ses habitants dont on fait peu de cas. La Soupe aux choux est un hymne plein de verve et de verdeur à l’amitié, et à la résignation devant les ravages du siècle et de la vieillesse, sans nostalgie larmoyante aucune.

La Soupe aux choux
René Fallet
1989, Folio
281 pages
lecture : mai 94

Comment fais-tu l’amour, Cerise? - René Fallet

Michael Huggins vient d’avoir quarante ans. C’est un homme à femmes, un Casanova misogyne qui n’aime les femmes que pour le plaisir qu’il peut en tirer. Le jour de l’enterrement d’une collègue de bureau, il fait la connaissance de la nièce du défunt, Marjorie, une femme splendide à qui il fixe un rendez-vous pour le soir même. Ce qu’elle accepte avec joie car Huggins est vraiment irrésistible. On comprend assez rapidement que si Marjorie tombe amoureuse de Michael, lui la considère comme un trophée de chasse, une belle bête qu’il consomme avec délectation. Marjorie, dont l’amour est éperdu, se souille à la demande de Michael qui va l’humilier sans cesse, lui demandant de se prêter à son copain, Junkie, un Arlequin poétique et raté, un hippie puant, crasseux mais au grand cœur (ô cliché). Marjorie accepte tout dans l’espoir que Michael lui revienne.

Quelques jours plus tard plus tard, Huggins voit passer devant chez lui une délicieuse jeune femme qui mange nonchalamment des cerises. Il est pris du puissant besoin de faire sa connaissance. En attendant, dans ses rêveries, il la prénomme Cerise. Cerise est une Française dont le mari fait un stage à Londres. Elle ne parle pas un mot d’anglais, ce qui, de prime abord, ne va pas faciliter la conversation avec Michael quand il trouve le moyen de faire sa rencontre dans une épicerie. Pourtant, le gars est persistant, il ne lâche pas le morceau qu’il croit tenir.

Cerise sera une proie beaucoup plus difficile à saisir, en fait, Michael ne parviendra pas à lui faire l’amour; d’où le titre en forme de question qui revient comme un leitmotiv dans tout l’ouvrage. Et ce qui est même le plus terrible pour Michael le chasseur, c’est qu’il découvre l’amour. Lui qui n’a jamais désiré que la chair des femmes, voilà qu’il se met à pleurnicher pour un rien, à échafauder des plans grotesques pour la ravir, il ne pense plus qu’à Cerise; plus elle est distante, plus il en rêve, plus il s’imagine que sa vie ne peut s’accomplir qu’avec et par elle.

Pourtant peu à peu, la résistance de Cerise s’use, ses forces s’étiolent. Quand elle se retrouve à l’hôpital suite à une mauvaise chute et que son mari doit retourner à Paris sans faute, elle commence sérieusement à ployer. Sa relation avec Michael Huggins s’intensifie tout en demeurant d’une chasteté peu ordinaire. Bientôt elle est guérie et doit traverser la Manche pour retrouver son mari. Michael prend congé de son travail et l’accompagne en France. Sur le quai de la gare, Marjorie fait une apparition extrêmement inattendue, elle tire huit balles et tue Michael Huggins.

Le roman prend fin abruptement et il était bien temps car la patience du lecteur avait été rudement mise à l’épreuve. L’histoire en vaut bien d’autre, celle du Casanova qui découvre le sens véritable de l’Amour, qui apprend à distinguer les appels du cul de ceux du cœur, on a lu ça ailleurs, avec moins d’insistance peut-être, mais on n’en tiendra pas rigueur à Fallet. Ce qui choque et ennuie dans ce roman, ce sont a) le ton très british (tel que vu par un Français), vouvoiement et distance interpersonnelle absurdement exagérés, et b) l’antipathie très vive qu’un personnage comme Michael Huggins génère chez le lecteur.

Tout le roman fait très affecté. Ce qui nous est décrit fait breloque, le cul qui nous est montré n’intéresse pas (c’est un comble), l’amitié masculine entre Junkie et Michael est fausse, seul l’amour éperdu de Marjorie pour son baiseur a un peu de profondeur. C’est peu.

J’avais beaucoup aimé la Soupe aux choux du même Fallet, roman qui se situe dans sa veine beaujolais (c’est lui qui précise). Comment fais-tu l’amour, Cerise ? se situe dans l’autre veine de l’auteur, dite whisky, largement inférieure.

Comment fais-tu l’amour, Cerise?
René Fallet
1985, Folio
310 pages
lu: avril 95 

The Nitpicker’s Guide for Next Generation Trekkers - Phil Farrand

L’auteur recense dans l’ordre de leur diffusion tous les épisodes des six premières saisons de Star Trek : The Next Generation. A raison de 26 par saison, ça nous en fait quand même 156. Et ça nous en fera 182 à la fin de la septième et dernière saison en cours...

Farrand procède très méthodiquement. D’abord un résumé de l’épisode, suivi d’un quiz très pointu sur des détails auxquels seul un pur trekker aura porté attention. Ce quiz est absolument sans intérêt, mais enfin, ça se lit.

Vient ensuite une deuxième partie qui porte sur les erreurs de chacun des épisodes. L’auteur les a divisés en quatre grands genres : les Plot Oversights (quand sont volontairement oubliées les capacités du vaisseau ou des personnages afin de créer du suspense), les Changed Premises (qui entrent en contradiction avec les informations données dans d’autres épisodes), les Equipment Oddities (les aberrations techniques de l’équipement utilisé) et enfin les Continuity and Production Problems (les erreurs de script — c’est la partie la plus amusante, par moments franchement hilarante; c’est celle qui se prête le mieux au suivi télévisuel).

Tout ça est évidemment redondant et un rien ennuyeux. Farrand se gave de peccadilles (il relève toutes les erreurs de numéros d’ascenseurs — la faute la plus commune avec l’utilisation incohérente des communicateurs). Quelques erreurs sont vraiment amusantes: dans un épisode, par deux fois, Riker ajuste son phaser en le tenant pointé vers lui-même — impayable ce Riker!

On apprend aussi l’âge du capitaine. En grappillant des informations disséminées à travers plusieurs épisodes, Farrand en arrive au constat suivant : Jean-Luc Picard a 93 ans !!! J’ai lu cela vers minuit un soir et j’en ai rigolé une partie de la nuit.

En somme, il s’agit d’un livre minutieux et documenté. Malheureusement, il est écrit avec très peu d’humour, Farrand a succombé au syndrome de l’archiviste. Une lecture intéressante, pour trekkers convaincus.

The Nitpicker’s Guide for Next Generation Trekkers
Phil Farrand
1993, Dell
422 pages
lecture : janvier 94

lundi 29 août 2011

Kafka Kalmar : une crucifixion - Billy Bob Dutrisac

Kafka Kalmar est journaliste à l’hebdomadaire à tendance rock Riff. Il mène une enquête sur le révérend Walter Warhead, télévangéliste à la mode américaine. Warhead prêche le credo habituel : les femmes à la maison, la drogue hors des écoles, Dieu aime le profit et n’aime pas les tapettes, etc. Justement, à force de trop regarder les émissions télé de Warhead, un homme vient de se trouver une vocation subite et se met à étrangler des homosexuels. Il tue un ami de Kafka Kalmar, Barlow Barkovitch, sous les yeux même de Kafka. L’enquête de Kalmar établit le lien entre Samuel l’étrangleur et le révérend Warhead. Petit à petit, Samuel tombera sous la coupe de Warhead et deviendra son tueur, son ange vengeur; tous les ennemis de l’Église sont des cibles, et à prime abord, Kafka Kalmar, parce que ses articles dans Riff sont absolument dévastateurs — car, en fait, le révérend Warhead vit à des années- lumière de ce qu’il prêche : il boit, aime le rock, force sa femme à se faire enfiler par le premier venu, il fréquente les néo-nazis et est acoquiné avec le premier ministre conservateur ; la panoplie habituelle, quoi.

Comme prévu les dangers mortels s’amoncellent sur l’enquête menée par Kalmar et quelques-uns de ses amis. La mort frappe violemment et le climat se fait de plus en plus menaçant au fur et à mesure que les révélations (c’est le cas de le dire) et les événements viendront alourdir le dossier de Warhead et de son dangereux sous-fifre Samuel. Mais l’empire de Warhead s’écroule brutalement quand les mensonges du révérend tissent autour de lui un filet auquel Samuel ne peut plus s’accrocher. Samuel tue Warhead, qui est en retour abattu par la police.

Kafka Kalmar reprend ses activités au Riff après une période d’accalmie.

Dutrisac a manifestement un style et des choses à dire, même si l’histoire racontée se situe dans une certaine banalité grotesque. N’importe quelle histoire est une bonne histoire si elle est bien racontée, et si elle est formidablement racontée, elle devient prenante et haletante. Ici, pas de ça. Dutrisac est prisonnier d’un style tape-à-l’oeil, simili-baroque et punché, au fond très as-tu-vu-la-trouvaille-et-le-jeu-de-mots que voilà. Ces breloques stylistiques mettent une distance entre le lecteur et les personnages. C’est bien dommage car on n’aurait pas demandé mieux que de croire en eux. Triste, triste, mais comment accorder crédit à des personnages affublés de noms tels : Kafka Kalmar, Brooklyn Cholestérol, Simone Siamois, Zen Rhododendron, Gordon Goosewalk — cette affectation est ridicule et diminue l’intérêt du lecteur pour cette fiction.

C’est d’autant plus attristant que, par moments, lorsqu’on arrive à passer outre ce ridicule, on reste à peu près captivé. Dutrisac est un jeune romancier, il va apprendre à ne pas tenter de voler la vedette à sa propre création.



Kafka Kalmar : une crucifixion
Billy Bob Dutrisac
1989, Québec/Amérique
édition originale 1989
290 pages
lecture : mai 94

À noter : cet ouvrage est sorti ultérieurement en réimpression sous le titre : La crucifixion de Kafka Kalmar et signé du vrai nom de l’auteur, Benoît Dutrizac.

The Military Dimension - David Drake

Rescue Mission. Le Premier Peloton de Marines est chargé d’aller libérer le fils d’un sénateur capturé par les Weasels. La bagarre va être dure, tous les Marines ont des parents qui furent tués ou pris en esclavage par les Khaliens (nom véritable des Weasels). Leur coup de main est terriblement efficace. Les Marines investissent une colonie weasel et commence un joli massacre à la Rambo. Au moment de libérer le fils du sénateur, ils le surprennent à collaborer avec l’ennemi et l’abattent sans merci. Ne jugez pas les hommes qui font la guerre, dit Drake dans son introduction. Ce qui ne l’empêchent pas, lui, de juger ceux qui « collaborent ». Une nouvelle affreusement écrite, à la limite de la compréhension humaine, banale et moralisante par-dessus le marché, puisqu’elle se termine avec l’exécution d’un traître, au beau milieu du coup de main.

The Dancer in the Flames. En faisant brûler de petites boulettes de C-4, un capitaine voit apparaître dans les flammes une belle femme nue qui danse. Il en devient obsédé, au point de faire brûler une brique de C-4 d’un seul tenant à son poste de commande d’un blindé. Les hommes qui voient s’élever une flamme immense accourent et trouvent à la place de leur capitaine une jeune femme nue, éberluée. Il s’agit d’une sorcière française qu’on avait brûlée en 1429. Elle et le capitaine ont été intervertis. La fin — très explicative — gâche un excellent exercice sur l’obsession.

Arclight. Les hommes d’un char américain découvrent une grotte secrète qui est un temple abandonné. Pendant plusieurs jours, ils sont poursuivis par une divinité courroucée et ils meurent l’un après l’autre, horriblement décapité, jusqu’à ce que des B-52 viennent anéantir les restes de l’ancien temple. Curieuse histoire sur la hantise et la culpabilité que des envahisseurs entretiennent vis-à-vis le pays qu’ils détruisent, et d’autre part, apologie sans merci de la force militaire brute qui règle tout, surtout les problèmes de conscience. Drake n’est pas subtil pour une miette, hélas.

Band of Brothers. Un commando fonce libérer des humains de l’emprise des Slimes (ah, ces joyeux surnoms !), mais les humains sont devenus des collaborateurs et le commando est pratiquement exterminé. Les deux derniers survivants décident de forcer la forteresse et de tuer tout le monde.

Firefight. Un bataillon de cavalerie blindée doit dégager une zone de tir au milieu de la jungle cambodgienne. Plusieurs arbres millénaires s’y trouvent, dont un arbre-dieu. La nuit venue, le bataillon est attaqué par des forces surnaturelles qu’il réussira à vaincre in extremis grâce à la puissance de l’arsenal militaire.

Contact ! Un peloton de chars s’enfonce dans la jungle à la recherche d’un mystérieux objet abattu par l’aviation. Une rencontre avec des Vietcongs fait des ravages dans leur rang. Le capitaine demande que l’on évacue les blessés, ce qui lui est refusé; mais quand il annonce que son escouade a récupéré un extra-terrestre de l’engin, aussitôt on lui envoie un hélicoptère qui refuse de prendre les blessés, seulement l’alien. Alors le capitaine abat l’extra-terrestre.

Best of Luck. Un capitaine américain se transforme en créature monstrueuse et sanguinaire après des combats et s’abreuve du sang des victimes laissées vivantes ou non sur le terrain. Grâce à un talisman ridicule, un soldat parvient à détruire cette créature maléfique. (Après le danger qui vient de l’extérieur, voici que l’ennemi vient de l’intérieur (encore que ce soit un officier, qui sont, après les politiciens les pires ennemis des soldats...))

The Guardroom. Pas lu, ça s’annonçait moche.

The Last Battalion. Hitler vit encore et les Nazis ont une base sur la Lune (ils ont aussi une soucoupe volante) et une autre sous l’Antarctique. Ils ont attaqué un vaisseau extra-terrestre, ce qui va probablement déclencher une guerre intersidérale. Ils enlèvent un sénateur américain pour plaider leur cause devant le Congrès, Malheureusement, les e-t viennent détruire entretemps la base antarctique et tuer Hitler. Pauvres SS. Une histoire particulièrement ridicule, mais curieusement divertissante.

The Tank Lords. Une histoire de la série Hammer’s Slammers, racontant les aventures d’un bataillon tankiste projeté dans le futur ou dans un monde parallèle (ce n’est pas clair). Ici, les Seigneurs des Tanks sont invités à participer à une guéguerre entre barons. Mais il s’agit d’un traquenard et l’escouade tankiste parviendra à s’en tirer grâce à un jeune eunuque pour qui les chars sont le siège de la demi-divinité. Une histoire longue comme c’est pas permis, ennuyeuse, dichotomique en diable; une grosse nullité militariste...

The Way We Die. La seule histoire vraiment personnelle de Drake, celle d’un commandant de char et de la vie ordinaire au Vietnam; enquiquiné par un lieutenant très à cheval sur les procédures et la hiérarchie, il va finir par le tuer. Très bon.

Ce qui ressort de ces histoires, c’est la paranoïa des individus et leur sens aiguisé de la bonne moralité. On dira que c’est le stress du combat. Mais Drake écrit généralement comme un étudiant appliqué, sans subtilité et sans originalité. Les nouvelles qu’il produit sont sans intérêt, on n’y apprend que peu, sauf sur le déroulement des opérations militaires, et après un ou deux textes, on a compris à peu près comment ça se passait. Autre faiblesse : pas assez de diversité. Autre faiblesse : les fins tombent souvent à brûle-pourpoint, en plein milieu de l’histoire, comme si l’auteur, ayant conclu sur la moralité de la chose, décidait que le reste n’était que fioritures et cessait abruptement son texte.

Quelques nouvelles pas mal, sans plus : The Dancer in the Flames, The Way We Die, Best of Luck.

The Military Dimension
David Drake
1991, Baen
édition originale 1991
273 pages
lecture : novembre 93


Star Trek : The Starless World - Gordon Eklund

Une force implacable attire l’Entreprise à l’intérieur d’une sphère de Dyson. Le vaisseau est incapable d’en sortir. Kirk et ses hommes descendent à la surface. Le nom du monde est Lyra, y habitent une poignée de créatures dominée par le dieu Ay- Nab qui les amène à leur mort. Car Ay-Nab est l’étoile au centre de la sphère et Lyra fonce vers un trou noir dans lequel elle s’engloutira dans une centaine d’heures.

Lyra est aussi peuplée d’Étrangers, des sortes de zombies qui font régner chez les habitants une terreur religieuse car ils sont des créatures d'Ay-Nab.

Kirk veut savoir de quoi il en retourne. Il se bute à la terreur des Lyriens et au fait que les appareils technologiques ne fonctionnent pas à la surface de la sphère. Il fonce vers l’Oasis car c’est là que la clé du mystère se trouve. Il y entraîne Ola, une Lyrienne amoureuse de lui et qui le suit au mépris des tabous religieux. Pour sauver le monde (sans compter l’Entreprise et sa propre vie), Kirk entre en contact télépathique avec l’entité Ay-Nab. Celle-ci récapitule son histoire (c’est tant mieux car sinon on n’y comprendrait que dalle) et réitère son intention de mettre fin à ses jours de même qu’à ceux de ses zélotes en se précipitant inéluctablement dans le trou noir. Kirk négocie au nom des innocents, il ne faut pas punir ceux qui n’ont pas commis de crimes et il faut leur donner une chance de grandir et de mûrir; c’est la condition de la vie, ça, l’erreur mais aussi le dépassement.

Ay-Nab se laisse convaincre. Il libère les vaisseaux captifs de même que tous les habitants de Lyra (sauf les Étrangers qui sont de vrais de vrais zombies). Seul, il accomplira son destin final.

Anodin et plutôt poussif; tellement collé à la réalité télévisuelle que la personnification relève du cliché récurrent. L’auteur est forcément limité par les paramètres établis par les producteurs de Paramount, mais reste que le seul lieu où il lui est possible d’innover, c’est dans l’histoire antérieure des personnages (les études académiques de Kirk et les relations familiales de Uhura). A part ça, c’est zéro l’innovation. Même un écrivain aussi talentueux qu’Eklund finit par étouffer dans le carcan de la recette Star Trek. Zéro innovation, écrivais-je, disons aussi zéro écriture. Un livre insignifiant que le lecteur oublie aussitôt la couverture refermée.

Star Trek : The Starless World
Gordon Eklund
1994, Bantam
édition originale 1994
152 pages
lecture : juillet 94

dimanche 28 août 2011

To Play The King - Michael Dobbs

Grâce à d’habiles manœuvres politiciennes, Francis Ewan Urquhart vient de remplacer le premier ministre de l’Angleterre. Pour arriver à cette fin, il a livré une attaque personnelle destructive contre le vieil homme, attaque qui a divisé le Parti. Maintenant au pouvoir, sa tâche est de le restabiliser, panser les blessures laissées par la guérilla interne et élargir son propre mandat politique. Pour y arriver, Francis Urquhart décide de déclencher des élections générales avant la fin du terme. Il a quatorze semaines pour préparer ses flûtes.

Un homme se dresse devant lui, le nouveau roi d’Angleterre, un homme de principes, qui ne veut plus jouer le rôle traditionnellement dévolu à la Couronne, qui ne veut plus être le simple porte-parole du gouvernement et qui veut devenir le héraut d’une pensée sociale, le rassembleur d’un nouvel humanisme s’opposant au cynisme et à la décrépitude des mœurs de la classe politique nationale.

Urquhart va tout faire pour se débarrasser de ce gêneur. Sa quête à lui est beaucoup plus simple : il veut le pouvoir pour le pouvoir. Il écarte de son chemin tout ce qui le retarde pour arriver à cette fin. Lui et son organisateur, Tim Stamper, évaluent les situations et jaugent les conflits dans une optique bien précise : la consolidation de leur pouvoir. Le nouveau roi, The King with a Conscience comme il se fait appeler, est un empêcheur de tourner en rond. Le Roi ne cesse d’attirer l’attention sur ses projets, sur sa pensée sociale et politique, tout ça au détriment d’Urquhart qui, avant l’annonce des élections précipitées, veut attirer sur lui le maximum d’exposure pour augmenter son crédit auprès de l’électorat et par le fait même améliorer ses chances électorales.

En raison de l’obstination royale à ne pas se taire, le combat s’engagera entre Urquhart et le roi. Tous les coups sont permis, spécialement de la part du politicien : chantage à l’homosexualité quand le meilleur ami et conseiller du roi se révèle être gay, exploitation de la vie scandaleuse d’une certaine princesse, sondage truqué, etc. C’est une lutte archétypale entre le bien et le mal. Les personnages principaux sont des clichés ambulants (mais manipulés par une main de maître, celle de Dobbs). À la fin, la belle architecture mise en place par Urquhart s’écroule comme un château de cartes (fine allusion de l’auteur à son précédent roman House of Cards mettant aussi en vedette l’ignoble Francis Urquhart). Le roi, aidé par un magnat de la presse — Benjamin Landless, dont Urquhart s’était abondamment servi pour son accession à la charge de premier ministre et qu’il avait ensuite abandonné en reniant ses promesses — et par une jeune reporter américaine qui s’est donné à Urquhart pour mieux pénétrer ses secrets et les rapportés à Landless.

Le roi annonce qu’il renonce au trône pour entrer dans l’arène politique et se battre contre Urquhart et les autres politiciens de cet acabit. Le roman se termine sur un Francis Urquhart humilié, ses plans retournés par plus fin que lui, et qui sent bien que les prochaines élections marqueront sa fin.

Un excellent roman d’aventures modernes: plein de fourberies, d’ironie et marqué d’un cynisme absolument total. Les combats à l’épée ont été remplacés par des joutes plus intellectuelles. Ce livre est résolument cynique, et à un point tel qu’on finit par ne plus y croire ou plutôt par refuser d’y croire. (Quand Urquhart fait en sorte que le pays s’enfonce dans une récession exprès pour nuire à son adversaire politique, le lecteur que je suis décroche... là, ça semble exagéré comme calcul méandreux.) Malgré son côté soap politique, ses personnages taillés dans le meilleur carton-pâte disponible (je veux dire ceci : le mouvement et les relations des personnages sont absolument crédibles; ils perdent leur crédibilité quand Dobbs leur invente un passé — à ce moment, il se révèle un romancier peu imaginatif et enclin aux clichés), To Play the King est un roman divertissant comme il s’en fait très peu

To Play the King
Michael Dobbs
1993, Fontana
édition originale 1992
315 pages
Lecture : décembre 93