ATTENTION SPOILERS PARTOUT

lundi 29 mars 2010

Iliouchine Il-2 « Shtourmovik » - Alain Pelletier

Le Stormovik partage l'honneur avec le Stuka d'avoir pris le nom générique de la classe d'appareils auquel il appartient. Ainsi, Stuka est l'abréviation familière du mot allemand SturzKampfflugzeug (bombardier en piqué), tout comme Stormovik (ou Shtourmovik comme l'écrit l'auteur) est le mot russe pour avion d'assaut blindé. Et blindé, le Stormovik l'était, au détriment de toutes les autres qualités de vol. Le Il-2 a été l'avion le plus produit de le sconde guerre mondiale avec plus de 36 000 appareils, toutes séries confondues. Mais c'était un appareil si lent, si peu maniable, si mal armé en défensive que pour la chasse allemande, une attaque contre des Il-2, c'était la curée. Un pilote de Fw190 raconte avoir abattu six Stormovik dans un engagement de sept minutes.

 Pourtant le Stormovik a joué un rôle essentiel dans la défense de l’Union soviétique, attaquant sans relâche les colonnes de ravitaillement allemandes au prix de pertes incroyables. Au fur et à mesure que le vent tournait en faveur des Soviétiques, les attaques de Stormovik devinrent plus redoutables. Quand il était bien protégé par la chasse, le Il-2 formait une arme meurtrière que les Allemands avaient surnommé Schwarze Tod, la mort noire.

Malheureusement, la lecture de ce livre est assez laborieuse, l'auteur se perdant dans les méandres desdétails techniques. Heureusement, c'est assez bref. L'iconographie est réussie, spécialement les planches couleurs de camouflage (sans aucune référence de couleur cependant), les photos floues et statiques sont peu révélatrices des conditions d'emploi de l'appareil, que ce soit au sol ou dans les airs.


Iliouchine Il-2 « Shtourmovik »
Alain Pelletier
Ouest-France 1982
32 pages
avec des illustrations et des photos
lu: juin 96

Les sporadiques aventures de Guillaume Untel - Gilles Pellerin

MIROIR, MIROIR. Arthur Imbault se réveille, mais aujourd'hui son miroir lui renvoie la réflexion d'un autre visage. Pourtant sa femme le reconnaît. Paul Huard se réveille, dans le miroir aucune image, et il ne reconnaît plus la femme avec laquelle il vit... Nouvelle tellement brève que c'est un vrai miracle qu'elle fonctionne, un malaise est créé dans le cerveau du lecteur. FUGUE À UNE VOIX. Réflexion sur la beauté fugace des femmes que l'on rencontre dans la rue... SOLO À DEUX VOIX. Un homme monte dans l'autobus, il reste une place auprès d'une femme à qui il demande si elle est son épouse. Elle lui répond que non, mais lui demande en retour s'il n'est pas son mari. Non. Il descend au Palais de Justice... Bizarre, bizarre, tout ça est tellement bref, et ça lève pourtant, la magie opère et le lecteur s'envole. CHRONIQUE MARTIALE. Un gars embarque dans un autobus, ce sont des militaires qui l'accueillent. Il s'enrôle... BLEUES. Un gars monte dans un autobus qui est un genre de lupanar parisien du XIXe siècle, avec des filles mollement étendues sur des ottomanes... L'EMBARQUEMENT POUR CYTHÈRE. Un gars monte dans un autobus qui va vers Cythère. Lui veut aller à Beauport. Sur fond entrecroisé de poème de Mallarmé, l'autobus entreprend une longue descente dans le noir... La forme utilisée par Pellerin explose en flashes éblouissants, en images fortes et prégnantes, mais c'est de la pure virtuosité qui ne nourrit pas son lecteur. CONTRETEMPS. Un gars dans un autobus se fait apostropher par le chauffeur lorsqu'il s'allume une cigarette... Je n'ai rien saisi à ce fatras simili-surréaliste. PAVANE. Un gars monte dans un autobus au son d'une musique de Fauré, il s'assoit près d'une femme qui se retourne vers lui et l'embrasse goulûment. Elle lui dit qu'elle doit s'en aller. Avant qu'il ait pu réagir, elle est descendue de l'autobus... Idée très mince, petit climat, petit fantasme, et hop c'est fini. SIX/HUIT. Un gars très obsédé par les chiffres embarque dans l'autobus, il va à Trois-Rivières, quoi d'autre... Une réussite très mineure. L'idée séduit et son traitement ne se prolonge pas outre mesure. Mais c'est si léger que ça en devient immatériel. POINT D'ORGUE. Un gars attend l'autobus depuis longtemps, si longtemps... LA MACHINATION À EXPLORER LE TEMPS. Un gars embarque dans un autobus, on lui demande quand il veut aller. Il prend peur. Il veut sortir. On lui permet de sortir au moment présent... C'est fin comme idée, du pur fantastique merveilleux urbain. CODA. Un automobiliste fait monter une belle jeune femme qui se met à lui faire de l'œil et à le harceler sexuellement. Il la fait descendre à la première occasion... Renversement des rôles de l'imagerie traditionnelle. Amusant sans plus. L'UNIVERS EN EXPANSION. Un type lit dans le journal que l'univers est en expansion, autour de lui, dans le métro bondé, personne ne sait cela... Curieuse dichotomie, mais le texte est trop court pour être complètement satisfaisant VENDREDI TREIZE. À la douane, un douanier trouve que le nom du voyageur lui dit quelque chose, serait-il parent avec le Vendredi de Robinson ? Très bof... D'ÂGE MOYEN. Un chevalier part à la rescousse de la belle princesse retenue prisonnière dans un château... Banal, direz-vous, mais c'est écrit en quasi-joual, avec des expressions québécoises contemporaines et ça m'a fait rigoler. BURLESQUE. Des cambrioleurs braquent une banque, pour se masquer, ils se sont mis un bas sur la tête. Surprise, quand l'un d'eux perd son bas, ce n'est pas un visage mais un pied qui apparaît... Intérêt zéro. L'HOMME CET INCONNU. Qui a tué Caïn Caha ? Est-ce toi le lecteur ?... Ennuyeux à l'excès. Quatre pages interminables d'interrogations existentielles sur un mode ridicule. UN HOMME AVERTI. A Saint-Tite, le cow-boy Léo Mayranda est abattu par le shérif local après que ce dernier lui ait annoncé que sa vie était en danger... Saint-Tite comme archétype de la mythologie américaine du far-west, pas fort. TROP LONGUE HISTOIRE DE LA VÉRITÉ. La vérité, c'est une page blanche sur laquelle l'auteur n'a rien écrit... Édifiant, j'imagine. LA REVUE DES TROUPES. Après la Conquête, le général fait l'inspection d'un régiment autochtone qui, à sa grande surprise, le met en joue et fait feu... Parabole, ici, le texte est parabole, mais ça n'arrange rien parce que c'est prévisible et ultra anodin. IMPRESSION, SOLEIL. Un gars très amoureux de sa blonde voit un baiser qu'ils se sont échangé imprimés à des milliers d'exemplaires sur des posters, des cartes ou des t-shirts... Variation sur l'après du baiser de Robert Doisneau. Pas fort, avec, de surcroît, tentative d'écriture poétique. QUELQUE PART CHAQUE NUIT. Une femme marche rapidement dans la nuit inquiétante. Un automobiliste la poursuit. Elle sera agressée sur le pas de sa maison alors que son chum n'entend pas ses cris, les écouteurs sur les oreilles, Pink Floyd à plein régime... Bon texte, froid et violemment sournois. SANGUINE. Un peintre séduit une jeune femme et l'amène poser nue à son atelier. Là, il l'attache et commence à la mutiler. L'art, c'est l'art... Longue nouvelle intéressante sur le dérapage et les excès du discours artistique. SALOMÉ. Vilandrin qui se prend pour Gustave Moreau — il est peintre aussi — tombe amoureux d'une strip-teaseuse prénommée Salomé. Pendant qu'il repeint son cabaret, il l'envoie faire la tournée des bars. La popularité de Salomé grimpe en flèche, tous les hommes en sont fous. Vilandrin ne peut résister à cette jalousie qui le tenaille et Salomé le quitte. Beaucoup plus tard, il la revoit, Salomé ne le reconnaît pas... L'histoire assez prévisible d'une passion à laquelle l'être aimée ne répond pas. C'est écrit très précieusement avec un vocabulaire riche et décadent, mais ça ne rend pas le texte plus intéressant. CE SOIR À L'OPÉRA. Jean Delaware va voir l'opéra Salomé. A peine a-t-il mis le pied dans le vestibule qu'on le prend par le bras pour l'entraîner dans les coulisses, on le jette sur scène. Une scène urbaine, violente, la pluie bat les pavés, il se fait frapper par une grosse auto et meurt au bout de son sang tandis que la foule qui assiste à l'opéra crie son indignation devant une interprétation aussi moderne et grotesque de l'opéra de Strauss... Encore une variante sur l'art et la réalité. Surchargée la nouvelle, l'auteur ne maîtrise pas totalement les raccords entre les scènes. Pourtant, malgré un peu de ratage, la nouvelle plaît par sa violence et sa relative nouveauté. MINIATURE. À la retraite, Régis Heroy entreprend de faire une miniature de l'église plusieurs fois centenaires de Sainte-Foy. Il y met toute son énergie, c'est un travail qui demande une patience infinie d'autant plus que personne ne doit savoir ce sur quoi il travaille. C'est un secret, c'est une surprise. Mais Régis est patient et entêté. Un soir, alors qu'il œuvre sur sa maquette, son œil est attiré par une violente lueur rouge. Il sort. C'est l'église qui brûle — envolé son projet — auquel il met le feu lui-même... Une vraie belle nouvelle, et longue, sur une passion tranquille, irrésistible, et la brutale fin sur laquelle elle bute. Parabole de nos vies. L'HOMME QUI VOULAIT VIEILLIR. Lionel Bellemare va prendre sa retraite. Toute sa vie il a travaillé sur les presses à papier, un métier dur, exigeant, pour lequel il n'a jamais eu de reconnaissance. Mais là, il va avoir soixante-cinq ans, fini le travail, à lui la vie calme, sans stress, auprès de sa femme qu'il aime encore. Il se remémore la longue vie difficile qu'il a eu, l'absence de travail, les mauvais salaires, la peur des machines et des accidents. Mais là, mais là, il projette même un voyage en Europe. Trois mois après sa mise à la retraite, Lionel Bellemare meurt, foudroyé d'un arrêt cardiaque... Encore une fois, une excellente nouvelle, une des plus longues, dans un style réaliste où Pellerin parvient à nous faire partager la crainte et la fatigue du personnage principal. Avec une fin malheureuse et tragique.

Quand Pellerin est bon, on regrette généralement la brièveté de ses textes, quand il est plate, insignifiant, on loue cette même brièveté. C'est une leçon de relativité.

Le recueil est nettement divisé en deux parties : les textes les plus courts au début, ce sont des nouvelles plus absurdes centrées sur un détail, une remarque, un regard. La deuxième partie est constituée de textes plus étoffés dans lesquels les personnages deviennent, des êtres à part entière, confrontés parfois à des situations plus proches de la réalité. Moi, j'ai apprécié cette partie-là, malgré quelques réussites manifestes disséminées dans les courts textes.

Pellerin possède une voix très spéciale, que l'on entend déjà dans ce premier recueil publié. Depuis il est devenu l'artisan-spécialiste de la nouvelle au Québec, avec à son actif la fondation de la maison d'édition L'Instant même qui a beaucoup fait pour la promotion de ce format littéraire. Il y a des ratages, fallait y compter dans un premier recueil dominé par l'éclectisme des genres, il y a des hommages que l'auteur rend à des auteurs ou des genres, etc., toutes sortes d'artifices qui autant masquent l'originalité de l'auteur qu'ils dévoilent ses préoccupations, ses amours et ses fidélités.

Les sporadiques aventures de Guillaume Untel
Gilles Pellerin
Asticou, 1982
172 pages
lecture : janvier 95

dimanche 28 mars 2010

Chance Vought « Corsair » - Alain Pelletier

Pour certains, le Corsair fut le meilleur chasseur de la dernière guerre mondiale. Ce titre ne lui est disputé que par le Mustang. Le Corsair était un avion lourd, capable de prendre des impacts comme un Thunderbolt et de ramener son pilote à bon port (ou à bon aéroport); cela ne l'empêchait nullement d'être maniable, puissant, polyvalent, et d'être un rival inégalé pour les chasseurs japonais — car le Corsair fut consigné à la campagne du Pacifique, ayant été conçu comme un avion de la Navy. L'appareil a connu une longue carrière de combat qui s'est terminé avec la guerre des 100 heures (ou guerre du Football) qui opposa le Honduras et le Salvador en 1969.

Ç'aurait pu être une histoire palpitante. Mais le format de cette série de bouquins ne permet pas de fioritures. L'espace littéraire est trop exigu pour que soit satisfait à la fois les aspects techniques et anecdotiques de l'histoire de cet appareil. On a droit à une poutine de faits (l'accent est quand même mis sur l'aspect technique, avec épluchage assez systématique, encore que succinct, des versions opérationnelles) mais rien de vraiment consistant, qui sustente et rend le lecteur repu. Qui plus est, le style de l'auteur est plutôt terne. Il faut noter une déception majeure : contrairement aux autres livres de la série qui comportent deux planches couleurs de très belle facture proposant des modèles diversifiés, ce livre ne comporte qu'une seule planche couleurs consacrée toute entière aux Corsair français, ce qui n'emporte pas l'adhésion de ce lecteur-ci.

Chance Vought « Corsair »
Alain Pelletier
Ouest-France,1979
32 pages
avec illustrations, plans et photos
lu: juillet 96

La saison de l'exil - Francine Pelletier

Chassée d'Arkadie (pour des raisons que j'ignore, n'ayant pas lu toutes les aventures de l'héroïne), Arialde Henke s'installe temporairement sur Antarctis, une colonie minière basée sur Titan. En attendant celui qui doit venir la rejoindre (le beau Jérémie, profession : délateur), elle va habiter chez un couple qui a eu la douleur de perdre son fils. En effet, Bénédict Vidal a subi un accident fatal en jouant au hockey et est maintenu artificiellement en vie à l'hôpital, son cerveau irrémédiablement mort.

Arialde est intriguée par le comportement de la mère de Ben qui croit qu'il s'agit d'un crime; son instinct maternel ne veut acorder aucun crédit à la thèse du suicide qui est la version officielle des évènements. Alors Arialde commence à sonder les gens, à les interroger, à mettre son nez là où elle ne devrait pas et à mener sa petite enquête personnelle.

De fil en aiguille, et de découvertes en rebondissements, Arialde va mettre à nue la vérité. Ben a été victime d'un assassinat. C'est son entraîneur, Basile Cormier, qui, désactivant l'écran magnétique du scaphandre qu'utilisent les hockeyeurs de Titan pour se protéger des coups, a causé un « accident » : la rondelle a frappé Ben et cassé son masque. La raison ? Lors d'un séjour sur Terre, Ben Vidal avait découvert la véritable identité de Cormier, une crapule et un bookie recherché. Se sentant menacé, Cormier a décidé de se défaire d'un possible gêneur.

L'affaire est réglée — encore que Cormier s'échappe d'Antarctis et que son destin ne nous soit pas connu au-delà. Ben Vidal a été assassiné, sa mère avait raison; elle peut donc maintenant vivre normalement son deuil.

Le déroulement du roman est moyennement intéressant, sans rien bouleverser. L'écriture oscille entre le compétent et le légèrement embarrassé. Disons que c'est neutre de ce côté-là : on ne s'ennuie pas, mais on n'est pas accaparé. Les choses se déroulent, voilà, on les regarde...

Il y a chez Pelletier, comme chez Johanne Massé, un problème de régulation de l'utilisation des noms et des titres des personnages — mais en moins pire.

On pourra aussi se désoler que Pelletier accorde tant de mérite à la profession de délateur, ce qui semble ne lui poser aucun dilemme moral. Elle s'était déjà mouillée dans un recueil de nouvelles, Par chemins inusités, avec un texte moralement inacceptable.

La Saison de l'exil
Francine Pelletier
Paulines Jeunesse-pop, 1992
152 pages
lecture : septembre 93

jeudi 18 mars 2010

L'esprit de bottine - François Avard

François Bruyand a vingt-et-un ans, il est scripteur pour une émission de variétés où on ne joue jamais ses sketchs, métier qui le paie mal et qui le rend insatisfait. Il a une blonde qui vient de le sacrer dehors, Andrée, un chum, Pico, qui veut sortir avec Andrée, une nouvelle blonde, Lili, qui reste avec sa coloc qui ne peut pas supporter François. Bref, une confusion des sentiments, un mini effondrement des valeurs et François Bruyand veut mettre fin à ses jours. Il veut aussi écrire un roman, c'est facile, dit-il, il suffit d'écrire.

Ses tentatives d'écritures sont parfaitement insipides, encore que François fasse mine de croire à leur génie. Aussi l'idée de se suicider lui plaît-elle de plus en plus. Il y pense constamment, généralement sur un mode badin — il fait partie d'une génération pour qui la pensée est fureteuse, badineuse, et d'où la profondeur a été évacuée.

Convaincu, il va tenter de mettre fin à ses jours. Il s'achète de la strychnine dont il emplit quelques Mae West. Couché dans un bon bain chaud, François Bruyand mange les gâteaux empoisonnés.

Il se réveille à l'hôpital. Il a été sauvé. Malgré lui. Tout cela est ridicule. Sa famille croit qu'il s'est empoisonné avec un Mae West (elle ne saura pas qu'il s'agit d'une tentative de suicide) et on parle de poursuivre la compagnie. Décidément, il rate toujours tout. Sa carrière humoristique, ses amours, ses romans, son suicide. Mais, coudon, c'est la vie. Le roman se termine sur une espèce de réconciliation familiale mais aussi sur un point d'interrogation : qu'adviendra-t-il de François dans le futur ? Lui-même semble n'y accordé que peu d'importance.

C'est le portrait d'une jeunesse actuelle incapable d'être touché par quoi que ce soit, y compris par ses propres drames personnels. François veut se suicider, c'est une idée, ça a un certain sens, et pourquoi pas. Il rate son suicide, ben coudon, ça devait finir comme ça.

Le portrait est joyeux, par ailleurs. On rit et on sourit. Avard est un authentique écrivain. Reste à peaufiner le talent. Il y a des passages longuets, les débuts des romans du héros nous sont donnés intégralement (entre dix et trente pages pour chacun des trois, c'est trop, c'est long et, pire, franchement inintéressant). Voilà un travail qu'un directeur littéraire aurait dû accomplir sur l'œuvre de son poulain.

L'Esprit de bottine
François Avard
1991, Guérin
262 pages
lu: décembre 95

The Martian Way - Isaac Asimov

The Martian Way. La politique de la Terre se durcit à l'égard de la colonie martienne. La question de l'eau est au cœur du débat. Mars a un besoin d'eau très grand et la Terre, sous la direction du nouveau coordonnateur Hilder, décide de cesser l'approvisionnement en raison des coûts énormes et de l'absence de bénéfices. Les Martiens décident donc de frapper un grand coup plein d’audace. Ils iront chercher un des gigantesques morceaux de glace pure qui forment l'anneau de Saturne. Un groupe de scavengers part à l’aventure, qui est périlleuse (mais en même temps riche du sense of wonder de la sf de l'âge d'or), ramène un bloc de glace qui fait un mille cube, et les Martiens gagnent leur pari et font la nique aux Terriens... Ce n'est pas grand-chose, ce texte-là. Beaucoup de bla bla (typique de la méthode asimovienne), peu d'action, une technologie futuriste qui amuse mais le sense of wonder est là, tapi entre les lignes; quand il se montre, il faut avouer que c'est extraordinaire car ça fonctionne. À la description de cet astronaute en scaphandre qui regarde le ciel noir autour de lui et le prodigieux jeu de lumière des astres et du soleil, je dois dire que le coeur m'a bondi dans la gorge. Un texte extrêmement mineur, mais libéral, progressiste, optimiste, bâti sans fioritures, clair et empreint d'une émotion véritable pour l'aventure des étoiles.

Youth. Texte un peu nébuleux, désincarné (les personnages sont l'Industrialiste, l'Astronome) et pseudo-mystérieux. Le sujet semble être des extra-terrestres en mission de reconnaissance sur Terre (innommé au début car la chute de l'histoire en dépend) et qui deviennent le sujet d'études de deux garçonnets... Bon enfin, j'ai vraiment pas tout lu, à peine la moitié plus quelques lignes éparses, car je m'y ennuyais au-delà du possible.

The Deep. Dans les limbes d'une planète orbitant autour d'un soleil mort, elle-même en voie de perdre le peu de chaleur qui lui reste, une civilisation tente sa dernière chance. L'esprit d'un cobaye-explorateur (Rio) est envoyé dans le cosmos pour faire contact avec l'esprit d'un citoyen d'une planète habitable. À partir de ce point d'ancrage télépathique, tous les habitants de la civilisation seront tour à tour projetés (enveloppe de chair et tout, ne me demandez pas d'expliquer) vers leur nouvelle destination. Évidemment, l'esprit de l'explorateur fait contact avec un bébé humain. Pendant quelques secondes, c'est le choc traumatique vécu par Rio et par la mère du bébé qui se met à hurler sans bon sens. Finalement, Rio décide d'ancrer sa balise télépathique loin à l'intérieur des couches telluriques, loin loin de tous contacts possibles avec cette race bizarre... Une gentille nouvelle, rondement menée, sur le mode de la tolérance amusée. La fin est particulièrement satisfaisante car les humains ne sont pas envahis, et la race extra-terrestre est sauvée en trouvant refuge dans la croûte terrestre, ce qui lui convient fort bien.

Sucker Bait. L'astronef Triple G. approche de Junior, une planète qui fut naguère colonisée mais dont tous les habitants ont trouvé la mort subitement en raison d'une maladie bizarre attaquant les poumons. Tout le monde à bord est assez tendu, à commencer par le capitaine qui n'aime rien moins que l'idée d'aller se balader dans un lieu aussi morbide et qui ventile sa frustration contre un jeune homme nommée Mark Annuncio, membre des nouveaux Services mnémoniques dont la tâche de tout lire, de tout voir, de tout observer; son talent étant d'assimiler sans jamais rien oublier, et de pouvoir faire, contrairement à un ordinateur, des raccords entre des connaissances parfois fragmentaires ou sans liens apparents. Son rôle est essentiel pour une mission comme celle-là, mais son empressement et son arrogance à exiger de tout voir, le met un peu à l'écart de tous. On ne l'aime pas beaucoup : les scientifiques lui reprochent l'absence d'une formation solide, les navigants redoutent de le voir fouiner dans les livres de bord du vaisseau, etc. Son extrême jeunesse est aussi un écueil. On arrive donc sur Junior et Mark exige d'être de la première fournée de scientifiques à fouler le sol de la planète qui a toutes les apparences d'un avatar du paradis terrestre. Il cause plus d'embêtements qu'il n'aide les scientifiques à remplir leur mission. A force d'étudier les données, il en vient à une conclusion : il faut quitter immédiatement Junior, sous risque de périr comme les premiers colons. On ne l'écoute pas. Il fomente alors une mutinerie de l'équipage de l'astronef, tout le monde embarque et on quitte dare-dare l'orbite de la planète maléfique. Le capitaine fait sommairement passer Mark en cour martiale. Mais, voilà, le gars avait raison; cependant il fallait faire la connexion (pas évidente) entre une vieille maladie terrestre et un excédent de béryllium dans l'atmosphère. Mark Annuncio échappe à la colère vengeresse du capitaine du Triple G. La preuve de son indispensabilité est faite de manière claironnante... Une très, très bonne nouvelle, rapidement menée, avec une idée brillante (celle des Services mnémoniques, une des préoccupations asimoviennes, ça, l'histoire et la convergence des informations) et une résolution à la toute dernière page après un long suspense haletant. C'est de la vieille sf, mais pas périmée pour autant. Un vieux texte classique, le meilleur de tout le recueil.

The Martian Way
Isaac Asimov 
1971, Panther
édition originale 1955
192 pages
lu: avril 95

Soigne ta chute - Flora Balzano

De nos jours, on appelle roman à peu près n'importe quoi, tout comme en musique on reclasse dans le nouvel âge ce qui échappe un peu aux définitions préétablies. Nous sommes ici en présence d'un curieux petit ouvrage — et le problème qui se pose en est un de définition : est-ce un roman ? Sinon, qu'est-ce donc ? Et, est-ce que ça a de l'importance ?

Ce petit livre raconte l'histoire de jeunes femmes. Le prologue appartient à une adolescente pas mal baveuse, qui houspille sa mère qui ne l'aime pas, dit-elle, et l'empêche de vivre. La complainte typique de l’ado, la fatigue de la mère, etc., une tranche de vie toute bête et simple, peut-être le meilleur moment de lecture.

La partie qui suit raconte les aléas de la vie d'une femme mère de jeunes filles, une néo-­Québécoise qui a du mal à se faire accepter par la communauté francophone et qui mesure la distance qui la sépare des Québécois pure-laine à l'accent dont elle ne peut se départir même après vingt-cinq ans d'immersion totale (tout comme l’auteure). C'est l'immigrante toujours immigrante, toujours différente, incapable de s'acculturer complètement malgré sa bonne volonté. C'est l'actrice qui ne se fait offrir que des rôles muets, parce que les producteurs redoutent son accent.

La deuxième partie est celle d'une femme un peu névropathe qui s'imagine des choses, consulte son psy, vit toute croche et broie allègrement du noir. C'est une junkie qui se réhabilite, puis rechute. Ses souvenirs sont trop pesants pour elle, elle s'enfonce. Son enfance difficile remonte à la surface: « On a tous un ennemi, des fois, on en a un bien à soi, c'est le chef de famille. » Cette partie est vraiment noire.

L'épilogue, c'est une jeune femme qui prend un cours de poterie. À cause de la terre dont elle se languit. Une jolie partie nostalgique, un peu crève-coeur sans qu'on sache trop bien pourquoi, sans doute à cause de la résignation très douce du personnage, de ses pensées orientées brusquement vers la mort.

Finalement, Flora Balzano a écrit un ouvrage remarquable par le poids et la pertinence des observations, et par la justesse du ton qui est caustique et amusant. C'est frais, c'est amer; c'est faussement détaché.

Soigne ta chute
Flora Balzano
1992, XYZ
120 pages
lecture : février 93

mercredi 17 mars 2010

L'année de la science-fiction et du fantastique québécois 1991 - Claude Janelle

À compter de cette année, et pour les siècles et les siècles à venir, amen, l'Année de la SFFQ ne compte plus de fictions. Les misères de l'édition ont eu raison de ce chapitre pourtant excellent jusque-là. C'est la vie.

Restent les recensions commentées. C'est exhaustif en diable, tout s'y trouve et tout y passe, il y a forcément un nombre grandissant de recenseurs, ce qui ne me plait qu'à moitié dans la mesure où doit se développer un lien entre le commentateur de livres et le lecteur, pour en apprécier la chaleur et le ton, et s'habituer à une pensée et à la manière de l'exprimer. Il se forme au gré des lectures une connivence et même une sympathie. Bon.

Dans cette livraison qui porte sur les parutions de l'année 1991, Jean-Louis Trudel fait le résumé et le commentaire critique de mon texte gagnant du Solaris 91 Maternité noire. Il n'est ni dur ni méchant, mais on sent quand même une réticence vis à vis ce genre de texte. Sinon une réticence, au moins un manque d'affection.

Flattons-nous l'ego :

1° Trudel commente donc ma nouvelle (mais sans la porter aux nues) en pages 168-169.

2° Parlant du bassin d'écrivains auquel s'alimente l'équipe rédactionnelle de Solaris, Janelle écrit cette phrase merveilleuse, page 215: « À ces noms s'ajoute celui de Richard. Tremblay, qui effectue un retour en force après plusieurs années de silence... » Merci, M. Janelle.

3° Il est mentionné page 226 le nom du gagnant du prix Solaris 1991 — qui est celui que l'on sait.


L'Année de la science-fiction et du fantastique québécois 1991
collectif sous la direction de Claude Janelle
Le Passeur/Logiques, 1994
256 pages
lecture : juin 94

mardi 16 mars 2010

I. Asimov - Isaac Asimov

Même s'il a publié en 79 et 80 les deux volumes de sa première autobiographie, ça n'empêche pas Isaac Asimov de récidiver; comme il l'avoue, n'est-il pas lui-même son sujet préféré ? Cette seconde autobiographie prolonge la première de la douzaine d'années manquantes mais récapitule aussi les soixante premières années d'existence du bon Docteur. Il y a donc double emploi pour ceux qui auront lu l'autobiographie initiale, mais peu m'en chaut, puisque ce n'est pas mon cas.

Le titre est un régal, un triple jeu de mots : I. Asimov, c'est bien sûr Isaac Asimov, mais c'est aussi Hi, Asimov et c'est I Asimov. Comme on va voir, c'est davantage cette dernière interprétation qui s'applique à l'ouvrage — mais on conviendra qu'une autobiographie n'est pas l'endroit où l'on parle des autres...

Le lecteur est convié à suivre le cheminement de l'auteur depuis sa tendre enfance à Brooklyn (après l'arrivée de Russie en février 23). Asimov était un enfant prodige, sachant lire bien avant de faire son entrée à l'école et possédant une capacité peu commune de déduction et d'intuition, ce qui a souvent contribué à créer un climat antagoniste avec ses camarades d'école, de high school et de collège. Asimov n'était pas un élève populaire avec les autres enfants, pas plus d'ailleurs qu'auprès des instituteurs qu'il se mettait à dos en les ostinant allègrement. Mais ce côté spectaculaire de son intelligence s'édulcore avec le temps : enfant prodige au primaire, il est exceptionnel au secondaire, très bon au collège et correct à l'université.

C'est aussi un enfant très solitaire, mais heureux de cette solitude car la boutique de son père lui permet de découvrir les pulps qu'il consommera avec boulimie. Très rapidement, il se met à écrire en cherchant à imiter ces histoires typées, anecdotiques à souhait, menées tambour battant. Dès l'âge de douze ou treize ans, il soumet des nouvelles qui sont refusées. Le déblocage survient vers dix-huit ans, ses premiers textes sont vendus à John W. Campbell, qui devient son mentor et le maître d'œuvre de l'Age d'or de la sf, cette période mythique qui voit éclore les talents d'Asimov, Clarke, Van Vogt, Heinlein, Simak, Bradbury, presque tous de l'écurie Campbell.

Très vite la réputation d'Asimov grandit avec de fort textes et aussi en vertu d'une production prodigieuse. Sa vie professionnelle ira couci-couça. Asimov se cherche un job. Issu du milieu universitaire, la recherche est la seule avenue, mais Asimov est un mauvais laborantin. Chaque fois, ce sera la chicane avec ses supérieurs et les emplois qu'il occupera seront au mieux précaires. Par contre, sa carrière littéraire part sur les chapeaux de roues. Tout ce qu'il écrit, il le vend. À la fin des années cinquante, son champ d'action s'élargit et il commence à publier des textes scientifiques : encore une fois, c'est le succès.

Quand il perd son poste de professeur associé à l'université de Boston, Asimov se lance dans l'écriture à fond la caisse. Déjà, les dernières années, ses revenus de l'écriture étaient trois ou cinq fois supérieurs à ceux de son job. Et comme disent les Anglais : The rest is history.

Ce qui frappe en premier lieu dans cette autobiographie, c'est l'incroyable auto-satisfaction de l'auteur vis-à-vis lui-même. Il cite d'ailleurs cette maxime qui, juge-t-il, s'applique à son cas : Cet homme est si peu modeste, mais il a tant de bonnes raisons de ne pas l'être.

Asimov est un ermite moderne, préférant vivre dans une pièce éclairée artificiellement avec ses papiers et sa machine à écrire que de parcourir le monde. Il craint d'ailleurs l'avion et déteste généralement les vacances et les voyages.

Dans ce livre il se montre parfois impudique, sa relation avec son fils David est manifestement un échec qui le meurtrit, et dont il ne sort pas grandit; il faut préciser que pour Asimov, l'écriture est la première de ses priorités, et tout le reste vient après. C'est capital pour la compréhension du personnage. Il écrit énormément, extrêmement fier d'une production tenant du phénomène. Dans sa carrière, il a publié plus de 450 livres de tout genre (à ce sujet, la bibliographie de ses livres est tout à fait stupéfiante : il a vraiment touché à tous les sujets — sauf la littérature générale). Il y a une espèce de bonhommie dans cette auto-suffisance qui ne déplaît pas, qui amuse en tous cas. L'homme est un égocentrique et un égoïste, mais pas du genre à écraser les autres pour s'approprier les titres et la gloire, son égocentrisme est de ne pas accorder aux autres toute l'attention dont ils ont besoin, témoin sa première femme, son fils David (dont il parle peu) et sa fille Robyn (à propos de laquelle il est plus prolixe, fier surtout de sa réussite qui s'est faite un peu en dépit de lui). Après l'échec de son premier mariage, Asimov va s'assagir, ou peut-être trouver une âme-soeur de qualité supérieure, et il devient nettement plus attentif aux besoins de Janet.

Le style est modeste, l'écriture claire et précise. La première partie de l'ouvrage, plus récapitulative m'est apparue nettement poussive. Mais, au moment d'écrire ce livre, Asimov se sait gravement malade et il espère seulement le terminer avant de mourir. Ses forces sont déclinantes, après une chirurgie réussie pour enlever une tumeur cancéreuse, un triple pontage, voilà que ses reins et son coeur commencent à céder à leur tour. Après avoir terminé la rédaction d'I. Asimov, Isaac vivra encore une année en relative bonne santé, puis sombrera dans une léthargie profonde, ses forces l'ayant abandonné, avant de quitter le monde le 6 avril 1992. Mais I. Asimov, une brique de 450 000 mots aura été écrit en 125 jours, un exploit peu commun dont s'enorgueillit ajuste titre Asimov à la fin de son autobiographie.

Asimov était libéral, athée, confiant dans les capacités de la science à apporter des solutions aux problèmes de l'humanité, et surtout prolifique, prolifique, prolifique...

L'épilogue, écrit par la seconde femme d'Asimov, Janet, raconte les deux années qui séparent l'écriture de l'autobiographie de la mort du bon Docteur. Pour cet homme si fier de ses capacités apparemment sans fin de travail, pour cet homme pour qui l'écriture était la justification de son existence, les derniers mois où il écrivait à peine quelques mots par jour, dans un état de prostration et de fatigue incessante, ont dû être une plongée dans un enfer imméritée...

I. Asimov
Isaac Asimov
1995, Bantam
édition originale 1994
563 pages avec introduction, photos
épilogue par Janet Asimov et bibliographie
lu: avril 95 

Bio of an Ogre - Piers Anthony

Ce qui dérange dans cette autobiographie, c'est l'aspect mythomane de la personnalité de Piers Anthony qu'elle nous montre. Et mythomane pas qu'un peu, mythomane à la puissance trois !

Piers Anthony se donne comme un modèle d'homme à principes. Honnêteté et intégrité sont les deux axes moraux qui guident sa conscience. Mais, en fait, cette autobiographie est une longue liste des chicanes qu'a eu Anthony avec ses voisins, avec les éditeurs, les critiques, d'autres écrivains, etc. En effet, M. Anthony est très chicanier : mettez ça, dit-il, sur le compte de mon intégrité.

Anthony se prend très au sérieux qui plus est. Dans le chapitre intitulé Novels, consacré à ses romans, outre ceux de la série Xanth, chacun des livres qu'il a écrit est en son genre une espèce de pierre blanche, un summum que peu d'autres auteurs ont atteint et encore moins dépassé. C'en est affligeant. Comme il a touché plusieurs genres : la sf, la fantasy, les arts martiaux, alors là, il faut en déduire que Anthony est un auteur qui compte.

Ce qui nous amène sur le sujet de la critique. Elle a été, à l'endroit de l'oeuvre d'Anthony, assez tiède (dans le meilleur des cas). Anthony n'en revient pas : si les critiques ne le blairent pas, c'est un problème de personnalité; encore là, sa très grande honnêteté et son intégrité de béton lui ont assuré des inimitiés durables dans le monde littéraire. C'est pour cette raison que les critiques le détestent, lui, et que, par conséquent, ils ne disent jamais rien de bon de ses livres. Car la valeur intrinsèque de ses oeuvres est incontestable. Mais Anthony ricane un peu car des honneurs littéraires, il en a peu à faire — encore qu'il recense méthodiquement tous les prix qu'il a failli gagner.

Cette autobiographie est un peu fastidieuse à lire dans la mesure où elle donne à l'auteur l'occasion de régler ses comptes et d'expliquer son comportement bizarre. Il y a une partie purement autobiographique centrée sur les années formatrices de l'auteur. C'est gentil, mais déjà il s'y révèle comme un individu chicanier, autoritaire, mythomane (même à dix ans, il ne se trompe jamais).

Il n'y a ni tendresse dans ce livre, ni aveu de faiblesse. La hargne, qui est constante, est une vengeance contre ceux qui ont douté de son talent et qui en doutent encore. Anthony confond tirage et talent. Ses livres se vendent, donc il a un talent rare et fou.

C'est une autobiographie à une seule facette à laquelle nous sommes conviés, comme à un buffet réduit à la salade de macaroni. Anthony est engagé dans un bras de fer paranoïaque avec le reste de l'univers. Cela en fait un livre peu engageant, mais très facile à lire. Sans humour non plus. Vulnérabilité, faiblesse, doute ? Connais pas. Anthony est coulé dans un béton armé (de principes). Et il est finalement, à force de faire son propre panégyrique, assez inquiétant et un peu ridicule

Bio of an Ogre
Piers Anthony 
Ace, 1988
314 pages (avec appendices)

samedi 13 mars 2010

The Hitch Hiker's Guide to the Galaxy - Douglas Adams

Jeudi est une bien mauvaise journée pour Arthur Dent. Non seulement se lève-t-il avec un formidable mal de bloc consécutif à une cuite monumentale (dont il ne se rappelle pas l'objet), mais il aperçoit une théorie de bulldozers autour de sa maison. Quoi quoi ? Des bulldozers. Sa maison est sur le point d'être démolie sans autre forme de procès car une autoroute va être érigée juste à sa place. Dent est abattu. Il se couche devant les bulldozers et refuse de leur permettre de faire leur ouvrage. Son copain Ford Prefect vient le rejoindre. Ford Prefect est un extra-terrestre en mission d'exploration sur la Terre depuis 15 ans. Il a été oublié sur la Terre. Il a capté un message : la Terre va être détruite dans les 10 prochaines minutes pour faire place à une autoroute galactique. Ford Prefect supplie Arthur Dent de le suivre sans poser de question. Grâce aux précieux (et hilarants) conseils du livre The Hitch Hiker's Guide To The Galaxy, Ford et Arthur sont en mesure de faire du pouce à travers la galaxie. De vaisseau en vaisseau, mais surtout de coïncidence en coïncidence — car ils feront la connaissance du Président du Gouvernement de l'Empire galactique, Zaphod Beeblebrox qui vient de voler le Heart of Gold, un engin supra-moderne propulsé par un Improbability Drive.

S'ensuivront des aventures diverses, sur un mode cocasse et absurde. Des gens voudront s'approprier le cerveau de Dent, il y aura un robot blasé et vaguement neurasthénique, des extra-terrestres bien mauvais en poésie... Ce livre procure plus de plaisir au souvenir qu'à la lecture. Peut-être est-ce parce que Adams est un romancier qui ne maîtrise pas tous ses effets ? Je me souviens avec délices de cet Improbability Drive, une grande invention de la sf ! Par contre, Adams maîtrise parfaitement la digression amusante et absurde. Les pages tirées de ce pseudo-Guide du routard galactique sont fameuses et extraordinaires d'humour. Il y a de l'invention étincelante : les poissons traducteurs que l'on s'enfonce dans l'oreille, parmi d'autres. L'ensemble est fortement décousu, puisque les liens entre les épisodes sont ténus au possible. Mais c'est réjouissant en diable. Et les souvenirs sont encore meilleurs que la chose elle-même.

The Hitch Hiker's Guide to the Galaxy
Douglas Adams
Pan Books 1986
Édition originale 1979
159 pages

Without Feathers - Woody Allen

On sait tout de l'humour de Woody Allen qui mêle le trivial au métaphysique. Qu'on se rappelle un de ses plus fameux aphorismes : Dieu n'existe pas, et essayez donc de trouver un plombier le dimanche !

Without Feathers est du même tonneau d'un bout à l'autre. Il faut donc lire à petites lampées, pour ne pas s'en cogner une overdose. Le format des textes s'y prête génialement car, à l'exception de deux courtes pièces de théâtre en un acte qui occupent près de la moitié du volume, les nouvelles font quelques pages à peine. Le résultat est souvent absolument hilarant. Quelques cimes : Selections from the Allen Notebooks, A Guide to Some of the Lesser Ballets, Match Wits with Inspector Ford et Fabulons Tales and Mythical Beasts.

Les deux pièces en un acte jurent un peu. En raison de leur forme et de leur longueur. Death a été porté au cinéma par Allen lui-même sous le titre Shadows and Fog, film par lequel il rendait hommage à l'impressionnisme cinématographique allemand. Film plutôt ennuyant par ailleurs. Je n'ai pas été capable de faire abstraction du film en lisant la pièce, ce quia largement nuit au plaisir que j'aurais pu en tirer. L'autre pièce, God, repose sur une chute amusante où, effectivement, le trivial et le métaphysique se rejoignent, mais malheureusement ce lecteur-ci était fatigué (mettons) et a réagi plutôt fraîchement au traitement bouffon et absurde de la chose.

Le meilleur est donc dans les courts textes, qu'il faut relire et savourer à chaque fois. C'était la troisième fois que je lisais Without Feathers Et il y en aura une quatrième...

Without Feathers
Woody Allen 
±1980, Warner
édition originale 1976
221 pages
relu: avril 96

Avions d'assaut de la dernière guerre - Christopher Thomas

Trois longs articles portant sur chacun des avions du sous-titre. Les articles sur les avions allemands ont été écrits par Aders, l'autre par Thomas. Tous les articles sont accompagnés de nombreuses photos, en situation et en walk-in, et de dessins de camouflages très réussis (par contre, les appareils sont uniquement représentés du côté gauche, sans aucune référence textuelle aux peintures employées, ce qui constitue un double handicap).

Ju-87. Bon article de fond portant sur l'épluchage de toutes les versions de l'appareil. L'écriture est minutieuse et plus ou moins soporifique. Un extrait du livre de l'as allemand Ernst Rudel vient agrémenter la lecture.

Typhoon. L'écriture est nettement plus vivante et l'article est fichtrement bien écrit. La petite histoire du Typhoon est racontée avec vivacité, sans rien perdre des multiples versions ni de l'aspect humain de l'aventure du plus formidable avion d'assaut de la guerre. On y apprend des choses qui offrent un intérêt immédiat pour la construction de maquettes; par exemple, en raison d'un problème jamais résolu d'infiltration de monoxyde de carbone dans l'habitacle des pilotes, ceux-ci devaient piloter l'appareil en portant le masque à oxygène depuis le décollage jusqu'à l'atterrissage. Un extrait du livre de l'as belge Raymond Lallemant illustre une mission sur le Typhoon.

Fw-190. Le second des articles de l'auteur Aders. Lui aussi minutieux et aride, encore que l'histoire du Focke-Wulf soit plus intéressante que celle du Stuka. Le Stuka fut un appareil rapidement dépassé par les événements et aucune tentative pour le ranimer ne s'avéra fructueuse — l'histoire du Stuka fut une longue agonie; le Fw-l90 demeura, lui, un appareil compétitif et toujours en évolution jusqu'à la fin du conflit. L'article est allégé par un extrait du livre du pilote Werner Gail.

C'est sa très riche iconographie, tant photographique que dessinée, qui donne son incroyable valeur à ce livre. Les photos sont soigneusement détaillées, les gros plans bien expliqués. Nombreuses photos en action, dont quelques-unes proprement spectaculaires — notamment celles d'un Stuka se plantant dans le désert de Lybie. Les dessins de Mister Kit sont réussis (mais voir la remarque au début du texte).

Avions d'assaut de la dernière guerre — Ju-87 Stuka, Typhoon, Focke-Wulf Fw-190
Gebhard Aders, Christopher Thomas 
1980, Atlas
édition originale 1980
articles traduits de l'anglais et de l'allemand
144 pages
avec photos, dessins & plans de coupe
lu: juin 96

Dr. Nightingale Comes Home - Lydia Adamson

Deirdre «Didi» Quinn Nightingale décide de reprendre la maison de sa mère à Hillsbrook dans le nord de l'état de New York pour y débuter sa carrière de vétérinaire spécialisée dans les animaux de ferme. Didi est toute jeune, fraîche comme une rose, pleine d'enthousiasme et d'allant et elle ne doute pas d'elle-même une seconde. Le Dutchess County où elle a établi son bureau est un county pauvre, composé de fermiers qui vivotent plutôt mal sur des fermes laitières en sérieuses difficultés.

Didi se fait un ami, un vieux bonhomme sympathique et très pauvre, Dick Obey, que l'on retrouve mort. Ivre, il s'est endormi dans un fossé et des chiens sauvages lui ont tailladé le cou, le tuant. Didi, elle, fait la rencontre d'une femme qui se proclame la maîtresse du mort et qui jure que Dick Obey a été assassiné. Didi est intriguée. Emportée par le printemps de sa jeunesse, elle amorce sa propre enquête. Didi apprend des choses pas très intéressantes sur Dick Obey : en cachette et en compagnie de sa maîtresse qui va mourra assassinée d'une balle de fusil pratiquement dans les bras de Didi, il faisait l'élevage de faucons à l'usage des cheikhs des Émirats, seuls capables d'absorber une facture se chiffrant en dizaine, voire en centaines de milliers de dollars. Puis Dick Obey et sa maîtresse ont voulu se retirer de ce commerce, et l'un après l'autre, ils ont été abattus.

Didi tend un piège à l'assassin. Avec l'aide de Allie Voegler, un amoureux éconduit du collège et maintenant officier de police à Hillsbrook (on voit les étincelles jaillir de cette confrontation), elle met la main sur le meurtrier — nul autre que Howard Danto, producteur et exportateur mondial de fins fromages, le success story des nouvelles entreprises laitières de Dutchess County. On comprend maintenant que son entreprise était une couverture et que ses voyages pour vendre ses fromages lui permettait aussi d'établir un réseau de ventes de faucons d'élevage et de beurrer la tartine royalement.

C'est un roman pour ados. Malheureusement la jaquette n'en porte aucune indication. D'où la sinistre impression de se faire flouer que ce lecteur a ressenti à la lecture. La couverture, naïve et rurale, est absolument magnifique et emporte d'emblée l'adhésion de l'acheteur. Le titre est pas mal, et la prémisse est vraiment bien : une vétérinaire qui dénoue des intrigues policières — voilà qui n'est pas banal. Mais la nature juvénile, voire enfantine, des réactions des personnages, de leurs émotions et des transitions entre les stages psychologiques laisse pantois. On perd vite toute espèce d'intérêt. Depuis plus d'un an, c'est le roman à qui j'ai donné la plus faible cote (1, 5), c'est dire. Grosse déception, une résolution : plus jamais lire Lydia Adamson.

Dr. Nightingale Comes Home 
Lydia Adamson 
1994, Signet
édition originale 1994
199 pages
lu: juillet 95

Traveller - Richard Adams

Traveller fut le cheval de guerre de Robert E. Lee. Le cheval le plus célèbre de la guerre de Sécession (en raison, entre autres, de la sanctification de Lee). Sa bravoure était incontestable, son intelligence idem; c'était, de tous les chevaux de guerre du général Lee (Ajax, Lucy Long, Richmond — qui mourra de coliques, Brown-Roan — qui sera atteint de cécité d'origine probablement nerveuse), son préféré, celui qu'il utilisait dans toutes les occasions, les pires surtout tant était grand son calme.

Traveller raconte ici une étrange odyssée dans le mystérieux territoire des hommes appelé la Guerre. Ça commence dans une petite ferme de Virginie, où Traveller fait ses premiers pas en compagnie d'un autre jeune poulin. Traveller a cinq ans quand il est appelé sous les drapeaux. Il servira d'abord sous un major, puis sera assez rapidement cédé, en 1862, aux quartiers de Lee qui l'avait remarqué. Dès lors, c'est le début d'une fantastique histoire de confiance et d'amitié.

À travers Traveller, on sent la dureté de cette guerre, mais on sent et on comprend un peu l'incroyable dévotion que le trouffion sudiste portait à son général. Traveller est le porte-parole de cet amour, de cette confiance aveugle gagnée par l'incroyable courage personnel de Marse Robert. Lee symbolisait l'idéal sudiste.

Une guerre se voit soit par le gros bout de la lorgnette, elle consiste alors en une histoire chronologique et événementielle de la stratégie et des grands mouvements; soit par le petit bout. Dans ce dernier cas, ce sont les mémoires du simple soldat, ignorant des enjeux politiques des campagnes militaires et peu au courant des nécessités stratégiques des actions qu'il subit. Ces mémoires-là sont forcément innocentes; ici, les mémoires de Traveller sont doublement innocentes. Parce que Traveller n'a aucune manière de rationaliser les actions dont il fait partie. Il a peur, il ne comprend rien à ce qui se passe, ne comprend rien des motivations qui font que des hommes en tuent d'autres et des chevaux par-dessus le marché.

Cette double innocence donne un ton très émouvant à ce livre, et cette émotion forte et particulière lui donne son importance. J'ai braillé comme un veau à au moins trois reprises devant la naïveté tragique de Traveller, tout spécialement quand il retrouve en pleine bataille son vieux chum Ruffian, agonisant dans un fossé, laissé pour mort par son équipage. Il y a une entre eux une résignation absolument terrible. Horses are forever saying goodbyes, reprend Traveller en leitmotiv à travers le livre. (Le pire, c'est que moi qui me suis mis à brailler devant la triste tragédie de ces deux amis se disant un au revoir définitif, le pire, c'est que dix pages auparavant dans un flash-forward, Traveller racontait avec quel plaisir il avait revu l'après-midi même Ruffian en bonne forme, après la guerre!!!, ah l'omnipotence de la littérature).

Le livre regorge de beaux moments : certains tristes (l'épisode Ruffian, Richmond pris de coliques, Brown-Roan devenant aveugle à cause du stress de la bataille, Lee priant au pied de son lit, la nostalgie d'un paradis entrevu — celui de la Guerre (faut lire pour comprendre la méprise de Traveller, l'amour qu'ont ces hommes pour les chevaux), d'autres drôles (la capitulation des Sudistes à Appomatox que Traveller confond de manière amusante avec la reddition des Blue men, l'attitude de Traveller face aux humains...) La psychologie équine est absolument crédible (c'est la grande réussite de ce portrait) : de grandes bêtes optimistes, amicales, ayant une vie sociale et affective importante, peureuses aussi mais d'un courage sans partage lorsqu'elles ont confiance dans leurs « maîtres N.

En somme, un livre extrêmement touchant et émouvant. Qui provoque rires et larmes.

Un seul bémol. Ce livre, écrit dans un idiome sudiste ardu à déchiffrer au début (mais qui devient drôle et familier, en autre parce que c'est un cheval qui parle à un chat), intéressera difficilement un lecteur peu familier avec les campagnes de l'armée de la Virginie du nord. Traveller est incapable de nommer les champs de bataille, cela va de soi; encore que Richard Adams laisse suffisamment d'indices pour qu'un lecteur attentif et connaisseur puisse ne pas s'y perdre.

Traveller
Richard Adams
1989, Dell
édition originale 1988
355 pages
avec remerciements et préface de Lucy Rees
lecture : novembre 93