MIROIR, MIROIR. Arthur Imbault se réveille, mais aujourd'hui son miroir lui renvoie la réflexion d'un autre visage. Pourtant sa femme le reconnaît. Paul Huard se réveille, dans le miroir aucune image, et il ne reconnaît plus la femme avec laquelle il vit... Nouvelle tellement brève que c'est un vrai miracle qu'elle fonctionne, un malaise est créé dans le cerveau du lecteur. FUGUE À UNE VOIX. Réflexion sur la beauté fugace des femmes que l'on rencontre dans la rue... SOLO À DEUX VOIX. Un homme monte dans l'autobus, il reste une place auprès d'une femme à qui il demande si elle est son épouse. Elle lui répond que non, mais lui demande en retour s'il n'est pas son mari. Non. Il descend au Palais de Justice... Bizarre, bizarre, tout ça est tellement bref, et ça lève pourtant, la magie opère et le lecteur s'envole. CHRONIQUE MARTIALE. Un gars embarque dans un autobus, ce sont des militaires qui l'accueillent. Il s'enrôle... BLEUES. Un gars monte dans un autobus qui est un genre de lupanar parisien du XIXe siècle, avec des filles mollement étendues sur des ottomanes... L'EMBARQUEMENT POUR CYTHÈRE. Un gars monte dans un autobus qui va vers Cythère. Lui veut aller à Beauport. Sur fond entrecroisé de poème de Mallarmé, l'autobus entreprend une longue descente dans le noir... La forme utilisée par Pellerin explose en flashes éblouissants, en images fortes et prégnantes, mais c'est de la pure virtuosité qui ne nourrit pas son lecteur. CONTRETEMPS. Un gars dans un autobus se fait apostropher par le chauffeur lorsqu'il s'allume une cigarette... Je n'ai rien saisi à ce fatras simili-surréaliste. PAVANE. Un gars monte dans un autobus au son d'une musique de Fauré, il s'assoit près d'une femme qui se retourne vers lui et l'embrasse goulûment. Elle lui dit qu'elle doit s'en aller. Avant qu'il ait pu réagir, elle est descendue de l'autobus... Idée très mince, petit climat, petit fantasme, et hop c'est fini. SIX/HUIT. Un gars très obsédé par les chiffres embarque dans l'autobus, il va à Trois-Rivières, quoi d'autre... Une réussite très mineure. L'idée séduit et son traitement ne se prolonge pas outre mesure. Mais c'est si léger que ça en devient immatériel. POINT D'ORGUE. Un gars attend l'autobus depuis longtemps, si longtemps... LA MACHINATION À EXPLORER LE TEMPS. Un gars embarque dans un autobus, on lui demande quand il veut aller. Il prend peur. Il veut sortir. On lui permet de sortir au moment présent... C'est fin comme idée, du pur fantastique merveilleux urbain. CODA. Un automobiliste fait monter une belle jeune femme qui se met à lui faire de l'œil et à le harceler sexuellement. Il la fait descendre à la première occasion... Renversement des rôles de l'imagerie traditionnelle. Amusant sans plus. L'UNIVERS EN EXPANSION. Un type lit dans le journal que l'univers est en expansion, autour de lui, dans le métro bondé, personne ne sait cela... Curieuse dichotomie, mais le texte est trop court pour être complètement satisfaisant VENDREDI TREIZE. À la douane, un douanier trouve que le nom du voyageur lui dit quelque chose, serait-il parent avec le Vendredi de Robinson ? Très bof... D'ÂGE MOYEN. Un chevalier part à la rescousse de la belle princesse retenue prisonnière dans un château... Banal, direz-vous, mais c'est écrit en quasi-joual, avec des expressions québécoises contemporaines et ça m'a fait rigoler. BURLESQUE. Des cambrioleurs braquent une banque, pour se masquer, ils se sont mis un bas sur la tête. Surprise, quand l'un d'eux perd son bas, ce n'est pas un visage mais un pied qui apparaît... Intérêt zéro. L'HOMME CET INCONNU. Qui a tué Caïn Caha ? Est-ce toi le lecteur ?... Ennuyeux à l'excès. Quatre pages interminables d'interrogations existentielles sur un mode ridicule. UN HOMME AVERTI. A Saint-Tite, le cow-boy Léo Mayranda est abattu par le shérif local après que ce dernier lui ait annoncé que sa vie était en danger... Saint-Tite comme archétype de la mythologie américaine du far-west, pas fort. TROP LONGUE HISTOIRE DE LA VÉRITÉ. La vérité, c'est une page blanche sur laquelle l'auteur n'a rien écrit... Édifiant, j'imagine. LA REVUE DES TROUPES. Après la Conquête, le général fait l'inspection d'un régiment autochtone qui, à sa grande surprise, le met en joue et fait feu... Parabole, ici, le texte est parabole, mais ça n'arrange rien parce que c'est prévisible et ultra anodin. IMPRESSION, SOLEIL. Un gars très amoureux de sa blonde voit un baiser qu'ils se sont échangé imprimés à des milliers d'exemplaires sur des posters, des cartes ou des t-shirts... Variation sur l'après du baiser de Robert Doisneau. Pas fort, avec, de surcroît, tentative d'écriture poétique. QUELQUE PART CHAQUE NUIT. Une femme marche rapidement dans la nuit inquiétante. Un automobiliste la poursuit. Elle sera agressée sur le pas de sa maison alors que son chum n'entend pas ses cris, les écouteurs sur les oreilles, Pink Floyd à plein régime... Bon texte, froid et violemment sournois. SANGUINE. Un peintre séduit une jeune femme et l'amène poser nue à son atelier. Là, il l'attache et commence à la mutiler. L'art, c'est l'art... Longue nouvelle intéressante sur le dérapage et les excès du discours artistique. SALOMÉ. Vilandrin qui se prend pour Gustave Moreau — il est peintre aussi — tombe amoureux d'une strip-teaseuse prénommée Salomé. Pendant qu'il repeint son cabaret, il l'envoie faire la tournée des bars. La popularité de Salomé grimpe en flèche, tous les hommes en sont fous. Vilandrin ne peut résister à cette jalousie qui le tenaille et Salomé le quitte. Beaucoup plus tard, il la revoit, Salomé ne le reconnaît pas... L'histoire assez prévisible d'une passion à laquelle l'être aimée ne répond pas. C'est écrit très précieusement avec un vocabulaire riche et décadent, mais ça ne rend pas le texte plus intéressant. CE SOIR À L'OPÉRA. Jean Delaware va voir l'opéra Salomé. A peine a-t-il mis le pied dans le vestibule qu'on le prend par le bras pour l'entraîner dans les coulisses, on le jette sur scène. Une scène urbaine, violente, la pluie bat les pavés, il se fait frapper par une grosse auto et meurt au bout de son sang tandis que la foule qui assiste à l'opéra crie son indignation devant une interprétation aussi moderne et grotesque de l'opéra de Strauss... Encore une variante sur l'art et la réalité. Surchargée la nouvelle, l'auteur ne maîtrise pas totalement les raccords entre les scènes. Pourtant, malgré un peu de ratage, la nouvelle plaît par sa violence et sa relative nouveauté. MINIATURE. À la retraite, Régis Heroy entreprend de faire une miniature de l'église plusieurs fois centenaires de Sainte-Foy. Il y met toute son énergie, c'est un travail qui demande une patience infinie d'autant plus que personne ne doit savoir ce sur quoi il travaille. C'est un secret, c'est une surprise. Mais Régis est patient et entêté. Un soir, alors qu'il œuvre sur sa maquette, son œil est attiré par une violente lueur rouge. Il sort. C'est l'église qui brûle — envolé son projet — auquel il met le feu lui-même... Une vraie belle nouvelle, et longue, sur une passion tranquille, irrésistible, et la brutale fin sur laquelle elle bute. Parabole de nos vies. L'HOMME QUI VOULAIT VIEILLIR. Lionel Bellemare va prendre sa retraite. Toute sa vie il a travaillé sur les presses à papier, un métier dur, exigeant, pour lequel il n'a jamais eu de reconnaissance. Mais là, il va avoir soixante-cinq ans, fini le travail, à lui la vie calme, sans stress, auprès de sa femme qu'il aime encore. Il se remémore la longue vie difficile qu'il a eu, l'absence de travail, les mauvais salaires, la peur des machines et des accidents. Mais là, mais là, il projette même un voyage en Europe. Trois mois après sa mise à la retraite, Lionel Bellemare meurt, foudroyé d'un arrêt cardiaque... Encore une fois, une excellente nouvelle, une des plus longues, dans un style réaliste où Pellerin parvient à nous faire partager la crainte et la fatigue du personnage principal. Avec une fin malheureuse et tragique.
Quand Pellerin est bon, on regrette généralement la brièveté de ses textes, quand il est plate, insignifiant, on loue cette même brièveté. C'est une leçon de relativité.
Le recueil est nettement divisé en deux parties : les textes les plus courts au début, ce sont des nouvelles plus absurdes centrées sur un détail, une remarque, un regard. La deuxième partie est constituée de textes plus étoffés dans lesquels les personnages deviennent, des êtres à part entière, confrontés parfois à des situations plus proches de la réalité. Moi, j'ai apprécié cette partie-là, malgré quelques réussites manifestes disséminées dans les courts textes.
Pellerin possède une voix très spéciale, que l'on entend déjà dans ce premier recueil publié. Depuis il est devenu l'artisan-spécialiste de la nouvelle au Québec, avec à son actif la fondation de la maison d'édition L'Instant même qui a beaucoup fait pour la promotion de ce format littéraire. Il y a des ratages, fallait y compter dans un premier recueil dominé par l'éclectisme des genres, il y a des hommages que l'auteur rend à des auteurs ou des genres, etc., toutes sortes d'artifices qui autant masquent l'originalité de l'auteur qu'ils dévoilent ses préoccupations, ses amours et ses fidélités.
Les sporadiques aventures de Guillaume Untel
Gilles Pellerin
Asticou, 1982
172 pages
lecture : janvier 95
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