ATTENTION SPOILERS PARTOUT

samedi 13 mars 2010

Traveller - Richard Adams

Traveller fut le cheval de guerre de Robert E. Lee. Le cheval le plus célèbre de la guerre de Sécession (en raison, entre autres, de la sanctification de Lee). Sa bravoure était incontestable, son intelligence idem; c'était, de tous les chevaux de guerre du général Lee (Ajax, Lucy Long, Richmond — qui mourra de coliques, Brown-Roan — qui sera atteint de cécité d'origine probablement nerveuse), son préféré, celui qu'il utilisait dans toutes les occasions, les pires surtout tant était grand son calme.

Traveller raconte ici une étrange odyssée dans le mystérieux territoire des hommes appelé la Guerre. Ça commence dans une petite ferme de Virginie, où Traveller fait ses premiers pas en compagnie d'un autre jeune poulin. Traveller a cinq ans quand il est appelé sous les drapeaux. Il servira d'abord sous un major, puis sera assez rapidement cédé, en 1862, aux quartiers de Lee qui l'avait remarqué. Dès lors, c'est le début d'une fantastique histoire de confiance et d'amitié.

À travers Traveller, on sent la dureté de cette guerre, mais on sent et on comprend un peu l'incroyable dévotion que le trouffion sudiste portait à son général. Traveller est le porte-parole de cet amour, de cette confiance aveugle gagnée par l'incroyable courage personnel de Marse Robert. Lee symbolisait l'idéal sudiste.

Une guerre se voit soit par le gros bout de la lorgnette, elle consiste alors en une histoire chronologique et événementielle de la stratégie et des grands mouvements; soit par le petit bout. Dans ce dernier cas, ce sont les mémoires du simple soldat, ignorant des enjeux politiques des campagnes militaires et peu au courant des nécessités stratégiques des actions qu'il subit. Ces mémoires-là sont forcément innocentes; ici, les mémoires de Traveller sont doublement innocentes. Parce que Traveller n'a aucune manière de rationaliser les actions dont il fait partie. Il a peur, il ne comprend rien à ce qui se passe, ne comprend rien des motivations qui font que des hommes en tuent d'autres et des chevaux par-dessus le marché.

Cette double innocence donne un ton très émouvant à ce livre, et cette émotion forte et particulière lui donne son importance. J'ai braillé comme un veau à au moins trois reprises devant la naïveté tragique de Traveller, tout spécialement quand il retrouve en pleine bataille son vieux chum Ruffian, agonisant dans un fossé, laissé pour mort par son équipage. Il y a une entre eux une résignation absolument terrible. Horses are forever saying goodbyes, reprend Traveller en leitmotiv à travers le livre. (Le pire, c'est que moi qui me suis mis à brailler devant la triste tragédie de ces deux amis se disant un au revoir définitif, le pire, c'est que dix pages auparavant dans un flash-forward, Traveller racontait avec quel plaisir il avait revu l'après-midi même Ruffian en bonne forme, après la guerre!!!, ah l'omnipotence de la littérature).

Le livre regorge de beaux moments : certains tristes (l'épisode Ruffian, Richmond pris de coliques, Brown-Roan devenant aveugle à cause du stress de la bataille, Lee priant au pied de son lit, la nostalgie d'un paradis entrevu — celui de la Guerre (faut lire pour comprendre la méprise de Traveller, l'amour qu'ont ces hommes pour les chevaux), d'autres drôles (la capitulation des Sudistes à Appomatox que Traveller confond de manière amusante avec la reddition des Blue men, l'attitude de Traveller face aux humains...) La psychologie équine est absolument crédible (c'est la grande réussite de ce portrait) : de grandes bêtes optimistes, amicales, ayant une vie sociale et affective importante, peureuses aussi mais d'un courage sans partage lorsqu'elles ont confiance dans leurs « maîtres N.

En somme, un livre extrêmement touchant et émouvant. Qui provoque rires et larmes.

Un seul bémol. Ce livre, écrit dans un idiome sudiste ardu à déchiffrer au début (mais qui devient drôle et familier, en autre parce que c'est un cheval qui parle à un chat), intéressera difficilement un lecteur peu familier avec les campagnes de l'armée de la Virginie du nord. Traveller est incapable de nommer les champs de bataille, cela va de soi; encore que Richard Adams laisse suffisamment d'indices pour qu'un lecteur attentif et connaisseur puisse ne pas s'y perdre.

Traveller
Richard Adams
1989, Dell
édition originale 1988
355 pages
avec remerciements et préface de Lucy Rees
lecture : novembre 93

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