Geoffrey Brathwaite est fasciné par la vie de Flaubert et les rapports de celle-ci à la fiction. Ses recherches l'ont mis sur la trace de deux perroquets empaillés dont l'un aurait servi de modèle au perroquet de Félicité dans Un cœur simple. Il apporte à la résolution de ce problème la même ferveur et la même énergie que GF à sa fiction. Cette fascination procède d'un entêtement similaire, d'une volonté de se perdre à peu près totale. Brathwaite élucidera quelques petits mystères, ouvrira des sentiers à la réflexion avec toujours la dualité réalité/littérature en toile de fond.
Après avoir longtemps tourné autour du pot, Brathwaite finira par avouer le mobile du livre. Ellen, sa femme, suicidée, mise sur appareil, puis débranchée par lui-même. Ellen, morte. L'a-t-il aimé vraiment, l'aimait-elle en retour ? Ellen avait une vie secrète intense et active, elle avait des amants. C'est cette vie secrète que Brathwaite ne veut pas explorer et qu'il sublime dans la mise à nue de la vie souterraine de Flaubert (où il s'attache à ses relations amoureuses avec Louise Colet, sa jeune bonne Anglaise Juliet Herbert et aux relations plus charnelles qu'il entretenait avec des prostituées et la danseuse Kuchuk Hanem).
La littérature sert aussi à masquer le réel, à l'amadouer, à le rendre moins douloureux. La littérature est une drogue anesthésiante qui sécrète ses propres endorphines. Ici, le narrateur Brathwaite glose à perdre haleine sur les subtilités de la vie de Gustave Flaubert, pour éviter de parler de sa propre vie (qui devrait être le centre du roman) et de la mort de sa femme.
Cet aveu fait, Brathwaite reprendra sa quête du vrai perroquet d'Un cœur simple. La réponse ne sera pas claire. Des éléments ont disparus. Le passé est à jamais obscurci par la dégradation des choses qui ne résistent pas au temps.
Voilà un livre absolument brillant. Et érudit en diable... Mais les informations contenues sont-elles véridiques ou servent-elles à entretenir la fiction de Barnes ? On ne le sait pas, encore que l'on peut imaginer qu'elles le sont — au moins en partie; sinon l'ouvrage se ferait ramasser par le dernier des flaubertiens. Il subsiste donc une ambiguïté tout du long de ce petit roman : qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui relève du mensonge ? Et les citations (sans jamais donner la référence) de Flaubert, Louise Colet, Louis Brouilhet et Maxime Du Camp, sont-elles — elles aussi — vraies ou fausses, truquées, piégées et arrangées par l'auteur pour satisfaire son propos ?
Le livre est pétillant, plein de trouvailles, avec un Dictionnaire des idées acceptées (sur le modèle du Diictionnaire des idées reçues du grand – et gros – Gustave) et un test final avec questions à développement. Ça part dans à peu près toutes les directions, ce sont des feux d'artifice purement intellectuels où les interrogations se suivent et les digressions idem, tout ça un peu coq-à-l'âne, mais pas brouillon. Reste que Barnes, en capitaine averti, garde toujours le cap et nous amène à bon port après une belle promenade. (On appréciera la qualité et la cohérence de cette métaphore maritime, merci.)
Flaubert's Parrot
Julian Barnes
1985, Picadorédition originale 1984
190 pages
lecture : mars 93
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire