Qu'on ne se leurre pas, Fournier n’a pas écrit une biographie. Il s'agit d’un portrait romancé éclairant les années politiques de Lévesque. C’est bêtement chronologique, ça s'attache uniquement aux principaux événements de la carrière de saint René – et c'est absolument palpitant.
Il faut reconnaître Fournier sait écrire. Il manie la plume avec dextérité et sait monter son histoire. Il met en place des scènes rapides, cadre serré sur les personnages, produit un dialogue concis, souvent percutant – en somme, il maîtrise le montage cinématographique qui accroche le lecteur et le mène par le bout du nez jusqu'aux dernières lignes de l'ouvrage, pareil à un véritable suspense alors que tous et chacun connaît très bien la suite des événements Le portrait brossé par Fournier est passionnant. Il enfile les petites scènes bien ciselés, précises, qui s'enchaînent les unes dans les autres à un rythme haletant. L’impression de mouvement est absolument irrésistible.
Du coup, ce portrait à l'américaine ne pèche pas par excès de psychologie. Celle-ci se réduit à rien du tout : nous ne sommes pas là pour analyser le sujet, mais pour l'observer.
Et de la seule observation, le texte tirera bénéfice et portera jugement sur les personnages. C'est le modèle américain. Ici, pas de descriptions psychologiques ni d’introspection, que le lecteur s'accroche comme il peut, on démarre en trombe et on fonce droit devant...
Nous sommes donc sur les traces de René Lévesque à compter de son départ de Radio- Canada (en 1959) jusqu’à sa retraite de la vie politique, une période d’à peu près vingt-cinq ans. L'angoisse de son entrée au Parti libéral de l’époque, où Jean Lesage se cherchait des hommes valables pour mener son Équipe du tonnerre à remplacer les troupes duplessistes. Chez les libéraux, Lévesque va piloter des projets importants (dont celui de la nationalisation de l'hydroélectricité, qui fera de lui la star de l'élection générale provinciale de 1964).
Lévesque prend une place de plus en plus grande, voire gênante; non seulement est-il un homme extrêmement populaire avec les éleveurs (ce qui porte ombrage à Lesage qui ne se comptait pas pour une prune) mais encore ses idées sur la souveraineté du Québec le place en porte-à-faux avec le PLQ, encore puissamment fédéraliste. En 67, Lévesque donne sa démission. Il fonde le Mouvement Souveraineté-Association qui deviendra un peu plus tard le PQ. Fournier nous fait vivre les rencontres déterminantes et les moments cruciaux, sans en éviter un seul… Tout le gratin politique québécois y passe : Lesage (qui lève le coude avec entrain), Gérin-Lajoie, Bourassa, Jean-Roch Boivin, Parizeau, Charron, les deux Morin (Fournier peint avec une méchanceté jubilatoire un portrait de Claude Morin, extraordinaire de suffisance), Laurin, et des portraits de femmes que Lévesque séduisait ou tentait de séduire.
Autant Lesage était un alcoolique social, autant Lévesque est un Casanova impénitent tenté par toutes les femmes. Même lors de sa longue liaison avec Corinne Côté, il aura des maîtresses et ne cessera jamais de flirter.
Mais la politique exige toujours son dû. Après l'échec du référendum, la nuit des longs couteaux et les tiraillements factieux qui menace le PQ, René Lévesque sombre dans l’alcoolisme (lui aussi) et subit une sévère attaque de dépression, qui le mèneront à quitter la vie politique et à remettre sa démission.
Fournier fait le portrait d'un homme incapable de faire confiance à quiconque. Un homme profondément solitaire, en dépit des conquêtes féminines et de son incroyable popularité personnelle. Alors que la société québécoise est en train de sanctifier cet homme, ce portrait un peu cru jette une lumière nouvelle sur l'homme derrière le saint.
René Lévesque
Claude Fournier
L'Homme, 1993
336 pages
lu : avril 94
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