Après des mois d'attente et de paperasse, Mircaï reçoit enfin l'autorisation d'émigrer de la campagne à la capitale, Cusagnas. Il fait ses adieux à son père, sa mère et sa sœur; il quitte pour de bon (pense-t-il) sa triste et monotone existence de paysan.
Mais son arrivée à Cusagnas se fait le Jour-de-trop. L'année sur Milanéra (la planète) se divise en 20 mois égaux de 20 jours, c'est l'année carrée; mais l'année planétaire, elle, compte 401 jours, la journée supplémentaire, hors-cadre, c'est le Jour-de-trop.
Le Jour-de-trop, c'est l'équivalent du jour des fous de l'Angleterre, ici, toutes les violences sont actualisées, tous les règlements de compte sont permis. Dans cette société qui tente d'être suprêmement organisée, le Jour-de-trop n'est pas un jour différent, c'est un jour qui n'existe tout simplement pas. Cette occultation d'un problème éclaire singulièrement bien la société milanériste (joli nom de planète soit dit en passant, aux implications simples et tentaculaires; encore que, dans ce roman, Champetier ne tienne pas la grande forme en ce qui a trait aux noms — de manière générale, ils sonnent faux et empruntés).
Donc Mircaï débarque dans la capitale, en pleine cacophonie sociale. On se bat, on se tue; il est lui-même victime d'une tentative de meurtre. Un revendeur d'armes le prend sous sa protection en échange du transport d'une de ses valises. Mircaï participe donc à une foire où des revendeurs d'armes et de drogues vendent leur matériel sur une grand-place. Une femme propose à Mircaï un marché, contre mille étalons, il doit venir féconder une Songeuse. Mircaï vit donc sa première relation sexuelle (légèrement tordue puisqu'il couche avec une femme-qui-dort, ce qui est la condition de la survie des femmes sur Milanéra — la colonisation de la planète a échoué en raison d'un symbiote qui a attaqué les organismes humains et s'y loge désormais, la seule manière d'y résister, pour les femmes, c'est d'avoir une vie semi-végétative, dormir onze mois sur douze afin d'espérer vivre une vie d'une longueur raisonnable; elles ne se réveillent pratiquement que pour accoucher, car, par-dessus le marché, il y a un problème de stérilité massive).
Son initiation à la vie urbaine ne s'arrête pas là. Une explosion balaie la fête foraine. Mircaï se retrouve seul à errer dans la ville, ses dix pièces de cent étalons dans les poches. Accosté par trois fillettes, il se rallie à elles pour passer la nuit. Il fait l'amour avec la plus âgée, Nadeline, pour se rendre compte qu'elles ne sont pas des fillettes mais des femmes d'âge mûr qui ont décidé de ne pas subir la dictature du sommeil; elles ont choisis de rester éveillées, quitte à ce que leur vie en soit drastiquement réduite. Après une nuit de lucre et de fornication, elles laissent, après l'avoir dérobé de ses papiers d'émigration et de son argent, Mircaï seul pour se débrouiller dans la ville redevenue elle-même : sage et sévère. Mircaï n'ira pas bien loin, il est immédiatement pris par la police et embarqué sur un train en partance pour la campagne dont il venait. Sans papiers, impossible de rester à Cusagnas.
Une bonne petit histoire, écrite sans effet par Champetier, peut-être même l'a-t-il écrite de la main gauche car on sent une baisse d'intensité par moment. La fin n'apporte pas toutes les résolutions souhaitées : il faut, je crois, voir ce livre comme un chapitre de roman. La fin abrupte crée de nouvelles tensions (qui sont ces trois femmes ? Leur révolte va-t-elle aboutir ? Cette révolte est-elle un pétard mouillé ou une vague de fond en formation ? Comment ce contact avec la ville a-t-il modifié les perceptions de Mircaï ? etc.) et ne résout pas celles qui s'étaient cristallisées dans la fiction.
Un peu de précipitation de la part de l'auteur, un manque de fini qui agace un brin. Un livre noir où ce qui n'est pas apparent est le plus important et, au bout du compte, le vrai révélateur d'une société.
Une réussite incomplète.
Le Jour-de-trop
Joël Champetier
Paulines Jeunesse-Pop, 1993
107 pages
lecture : septembre 93
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