Croix de bois, croix de fer. Une jeune fille de quinze ans prétend avoir été victime d'une agression sexuelle par un clochard portugais récemment immigré. Cadin prend les dépositions de tout le monde. Des années plus tard, il apprend le suicide du Portugais, de même que le mensonge de la jeune fille... Un drame où l'inertie des choses et des mensonges prend un poids considérable. Cadin observe, sans déceler la vérité. Le mensonge de la fille est convainquant, les balbutiements de l'agresseur nuisent à sa cause. Une tranche de vie banale et méchante, où les conséquences des gestes gratuits sont fatales.
Le Facteur fatal. Le cadavre d'une femme est retrouvé. Elle entretenait une correspondance énorme avec des tas de gens. Cadin découvre qu'elle couchait avec la plupart de ses correspondants, généralement des êtres réduits, mal-aimés, laids ou infirmes, et qu'ils étaient tous amoureux fou d'elle. C'était une infirmière des cœurs, si on veut. Celui qui l'a tué, dans un accès de rage, c'était un pauvre type, petit et dominé par sa mère : la victime avait arraché sa moumoute dans un faux mouvement et avait été saisie d'un fou rire inextinguible... Une histoire extraordinairement triste sur la misère et la solitude humaines. Cet ange de bonté qu'est cette grande femme moche assassinée par plus petit qu'elle, c'est une parabole touchante et vraie de la condition humaine. La meilleure nouvelle de ce beau recueil.
Voie de garage. En pleine nuit, une jeune fille se fait happer à mort par une BMW. L'automobiliste disparaît. Cadin mène l'enquête. Grâce à une chance pas croyable, il coince le tueur qui vient de cacher sa voiture dans un trou aux prix de nombreuses ampoules... Faible et plus que banal (dans le mauvais sens du terme); ce qui intéresse le plus, ce n'est pas la résolution de l'énigme, ce sont les petits gestes du quotidien, les querelles du commissariat, les intrigues politiques municipales. Ça, Daeninckx ne l'oublie jamais, c'est la chair autour de l'os.
Exécution sommaire. Loubry, le conseiller en communication de la ville de Toulouse vient d'être assassiné. On retrouve une menace de mort contre lui daté de six mois et signé par un Arabe. L'enquête se dirige donc tout naturellement vers lui. De la petite histoire de l'Algérie française, Cadin extrait une encore plus petite histoire de crime horrible non vengé depuis trente ans. Mais le vrai coupable n'est pas l'Arabe qui ne faisait que rappeler à Loubry le meurtre de son frère en 1954. Ce qu'il y a derrière, c'est l'appât du gain sans scrupules... Daeninckx excelle â piocher dans les affaires franco-algériennes (voir Meurtres pour mémoire) et cette nouvelle en est une preuve éloquente. L'intrigue grouille d'un petit monde de politicards et de magouilleurs, d'affaires louches et de police politique.
Un privé à la dérive. Cadin est passé à la pratique privé. Un industriel prospère le charge de retrouver sa femme qui vient de le quitter. Pourtant elle a tout, dit l'homme. Cadin suit sa trace à travers la France. Il est tombé bien bas. A Paris, il rappelle son client qui lui dit de cesser l'enquête parce que sa femme vient de faire son retour. Cadin la voit pour la première fois, elle a un sourire de défaite aux lèvres... Une très prenante nouvelle du désespoir sourd des chaînes qui nous lient au confort.
Souvenir à la fenêtre. Le commissaire Cadin remet à un collègue un texte qui raconte une histoire de famille, d'enfants pauvrement aimés et pleins de ressentiment envers leurs parents qui en ont autant pour leurs chers petits. L'histoire d'une longue vengeance qui met des décennies avant de trouver sa résolution dans le meurtre du fils par le père (une surprise, car la nouvelle donnait l'impression que l'inverse se produirait). Le fils assassiné, c'est le frère de l'inspecteur Cadin... L'histoire dans l'histoire, une histoire en apparence banale d'une vendetta qui met du temps â être assouvie et qui, en raison d'un malentendu, se termine par un drame familial sanglant. Une nouvelle éclairante sur la psychologie de Cadin mais en même temps, à cause de la technique employée (l'histoire dans l'histoire), un texte moins prenant que les autres.
Épilogue albertiviliarien. Quatre pages pour la désespérance de Cadin. Il est presque minuit, le 31 décembre 1989. Dans quelques secondes, la nouvelle décennie va commencer. Cinq... quatre... trois... Cadin amène le canon du revolver contre sa tempe... deux... un... il appuie sur la détente... « Le monde entrait dans les années 90. » (p. 201)
Un excellent recueil de nouvelles, qui laisse une vive impression. Avec le Facteur fatal, Exécution sommaire et Un privé à la dérive qui dominent le palmarès, les autres pas loin derrière.
Le Facteur fatal
Didier Daeninckx
Folio, 1992édition originale 1990
201 pages
lecture : juillet 94
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