Les Runcible (Leo et Janet) et les Dombrosio (Walt et Sherry) sont voisins à Marin County, un développement banlieusard de San Francisco. Leo Runcible est Juif et courtier en imobilier, Walt Dombrosio est designer industriel. Un jour que Leo Runcible accueille chez lui des clients potentiels, ceux-ci aperçoivent un Noir qui vient dîner chez les Dombrosio. La présence impromptue de ce Noir fait que la vente que comptait effectuer Runcible tombe à l'eau, le ton monte, les injures pleuvent, Runcible paranoïe complètement et se croit victime d'antisémitisme. Fou furieux, il met ses clients à la porte et lâche un coup de fil véhément chez les Dombrosio, accusant Walt de salir le coin avec ses amis nègres. La chicane pogne.
Plus tard, pour se venger d'avoir perdu une si grosse commission sur une vente importante, Runcible dénonce à la police Walt Dombrosio qui conduit en état d'ébriété. Dombrosio perd son permis de conduite pour six mois. Walt doit être véhiculé par sa femme, soir et matin jusqu'au coeur de San Francisco. Sherry décide que, tant qu'à perdre son temps en ville, elle y trouvera un emploi. Walt est absolument contre, travailler ce n'est pas pour une femme — d'autant plus que Sherry trouve une place dans la firme même où Walt travaille. La situation devient vite intenable pour lui. Un soir, sur ce sujet, il en vient aux coups avec son patron. Walt quitte son emploi, alors que Sherry garde le sien. Désoeuvré, Walt va se venger de Leo Runcible quand il apprendra la responsabilité qu'il porte dans sa déchéance. Utilisant le crâne prognathe d'un mort centenaire, Walt monte une supercherie, du type Homme de Piltdown dans laquelle Runcible tombe mains et poings liés. Qui plus est, Runcible s'entêtera dans son projet de faire prouver la véracité scientifique de son pré-hominien aux dents toutes exactement semblables, même quand il aura été mis au courant de la plaisanterie vengeresse dont il est l'objet. Runcible va se ruiner en maudissant le monde entier. Le roman se termine avec la déchéance quasi-ultime de Runcible donnant une dernière fête un peu lugubre dans sa maison qui va être saisie par la banque. Dombrosio, après avoir violé sa femme et l'avoir forcé à quitter son emploi pour garder le bébé, s'est trouvé un nouvel emploi et est rentré en possession de son permis de conduire.
Le roman s'articule autour de quatre portraits dont trois sont particulièrement développés : Walt et Sherry Dombrosio, Leo Runcible, et dans une très moindre mesure, sa femme Janet (mais celle-ci demeure un personnage insipide, semi-alcoolique, auquel Dick ne s’attardera presque pas). Walt est le mâle américain de la fin des années cinquante, ouvert à une certaine amitié interraciale mais fermé au fait que sa femme puisse se trouver un emploi. Il est plutôt carré, soupe au lait et rongé de culpabilité; quand les choses ne vont pas comme il veut, il se fâche — surtout contre sa femme avec laquelle il est engagé dans un bras de fer continuel. Leur relation se situe à la charnière des changements de comportements de société; en conséquence, la vie n'est pas facile, la bagarre éclate régulièrement, Walt est le genre d'homme qui n'hésite pas à frapper sa femme s'il juge qu'une correction s'impose. Sherry est une femme moderne, émancipée, qui cherche à accéder à l'égalité avec son partenaire (et qui n'hésite pas à l'écraser lorsqu'elle se retrouvera en position de pouvoir lorsque elle sera le seul soutien de famille). Leo est le persécuté, le manichéen pour qui le monde se divise en deux, ceux qui l'aiment et sont prêts à le suivre sans condition (personne en fait) et tous les autres qui cherchent à le ruiner, à le casser, etc., à l'empêcher d'accéder aux plus hautes cimes du rêve américain. Leo a une relation torturée avec le monde, et c'est finalement le meilleur personnage de ce roman.
C'est le roman des frustrations. De la culpabilité maladive. De la culpabilité à tiroirs. Cette culpabilité est aussi la faiblesse de ce roman parce que, au bout du compte, tous les personnages fonctionnent sur le même mode de pensée et de culpabilité. Un personnage, à ce compte-là, en vaut un autre; il y a une grisaille un tantinet ennuyeuse. L'anecdote du roman est minime, l'histoire d'une vengeance, et la sauce est un tout petit peu étirée. Dick, en écrivain de fiction canonique, est nettement moins intéressant que Dick l'auteur de SF. Sa SF est unique, voire révolutionnaire, sa fiction canonique est assez platement canonique; innovation, ici, nenni.
Mais le lecteur de Dick pleure de joie et remercie le ciel pour chacun des romans de l'auteur, fussent-ils moins bons que les Grandes Œuvres
L'Homme dont les dents étaient toutes exactement semblables
Philip K Dick
1989, Terrain Vague, Losfeld
édition originale 1984
The Man Whose Teeth Were All Exactly Alike
385 pages
lecture : mars 93
édition originale 1984
The Man Whose Teeth Were All Exactly Alike
385 pages
lecture : mars 93
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