ATTENTION SPOILERS PARTOUT

vendredi 29 juillet 2011

La sirène rouge - Maurice G. Dantec

La petite Alice Kristensen s'enfuit de chez elle quand elle acquiert la preuve que sa mère et son beau-père ont assassiné de manière affreuse la jeune préceptrice srilankaise qu'elle adorait. Alice court chercher refuge à un commissariat de la police d'Amsterdam où elle est accueillie par l'inspectrice Anita Van Dyke. Dans sa fuite, Alice a chipé la cassette vidéo de la mort de la préceptrice, un snuff movie de qualité professionnelle (ce qui fera dire à l'auteur que l'entreprise vampirique d'Eva Kristensen se situe à la confluence de l'industrie nazie et de la production hollywoodienne). Malheureusement, en dépit des apparences, la cassette ne peut servir à inculper Mme Kristensen qui, de son côté, avec l'aide d'une batterie d'avocats jouant de moyens absolument légaux, demande une injonction pour récupérer sa fillette. Alice se doute que le pire l'attend si elle retourne chez sa mère : aussi profite-t-elle d'une défaillance du système de sécurité policière érigé autour d'elle pour mettre les voiles.

Elle court, elle court, elle est poursuivie sans relâche; elle se cache sous une couverture dans une Volvo mal verrouillée. Il s'agit de la voiture de Hugo Toorop, mercenaire néerlandais combattant du côté de la jeune république bosniaque. Il est alerté par le manège d'un van qui arpente les rues du quartier (il croit d'ailleurs que c'est lui qu'on recherche). Il découvre Alice dans l'auto. N'écoutant qu'une vague impulsion, il adhère aux bribes d'information qu'Alice lui sert. En sa compagnie, il part à la recherche de son père -- Stephen Travis -- pour lui remettre la fillette. Alors là, c'est le début de la grande cavalcade cauchemardesque qui va les mener sans répit du nord des Pays-Bas jusqu'à la côte portugaise, laissant derrière elle une véritable piste de cadavres pis que celle d'Attila.

Mme Kristensen est vraiment sérieuse, elle veut ravoir sa fille. On peut vouloir revoir la Normandie, elle veut ravoir le fruit de ses entrailles. Son empire morbide est menacé, la découverte de la vidéocassette peut mener à l'éventuelle découverte de toutes les autres vidéocassettes — car il y en a des milliers, Mme K a tiré de son vice un max de profit. Car Mme K est riche, fabuleusement, et pleine de ressources, diaboliquement. Elle met sur la trace d'Alice plusieurs équipes multi-ethniques composées pour l'essentiel d'éléments très douteux choisis dans les services spéciaux des polices de régimes déchus (Roumanie, Afrique du Sud, Bulgarie, Allemagne de l'Est — des gars capables de tout contre n'importe qui, on comprend vite que ce ne sont pas des ballerines). Ils allument rapidement, pour un oui, pour un non.

La piste pour retrouver Stephen Travis est longue, sinueuse, déroutante. L'homme se terre, il connaît bien son ex.

Hugo et Alice vont se reconnecter par le plus grand des hasards au cours d'un carnage épique dans un gite du passant retiré et sublimement tranquille — pas pour longtemps. Boum boum. Dix morts sur le terrain, des hommes de Mme K, un policier, des aubergistes innocents. Depuis Salazar, jamais tant de sang n'aura coulé au Portugal. Heureusement, l'entraînement militaire d'Hugo porte fruit et tous les trois s'en tirent sans trop de mal (Anita se fait casser un bras et la vareuse d'Hugo est transpercée, heureusement ça ne se voit pas). C'est le hit squad de Mme K qui est mis à mal. Pourtant, comme dans un cauchemar, la chasse reprend; Hugo et Anita courant après le père d'Alice, les hommes de Madame courant après le même ainsi qu'après la fillette.

La frontière hispano-portugaise ne sera plus jamais la même (il y manquera du monde en tous cas). Finalement, à force de rabouter des indices, on localise Travis dans un petit village de la côte. Hugo et Anita doivent faire leur chemin à force de persuasion et d'ingéniosité, les hommes de Mme K ne font pas, quant à eux, dans la dentelle; on prendra pour témoin le Grec, un ami de Travis, qui y laissera salement sa peau, là sur la table de sa cuisine après que des petits rigolos l'aient littéralement charcuté vivant (c'est moins plaisant qu'on ne peut se le représenter, et l'auteur a le don très vif de l'évocation). Chez le Grec, les deux groupes trouveront les indices nécessaires menant à Travis.

Hugo et Anita retrouvent Travis. Il raconte son histoire de dealer repenti qui fait maintenant dans la contrebande d'armes en direction de la Bosnie (ici, Hugo se dit que le monde est petit, non ?), son divorce d'avec Eva Kristensen avant qu'elle ne dégénère (ce qu'il pressentait vaguement), le super voilier qu'il a fabriqué (avec l'argent de la contrebande) et avec lequel il fomentait le projet d'enlever Alice et de partir vivre avec elle au Brésil dans la clandestinité, avant que les événements ne se précipitent.

Mais le dernier carré d'hommes de Mme K rattrape lui aussi Travis. Autre carnage; les hommes se saisissent d'Alice qu'ils embarquent sur un gros hors-bord avec l'idée de la transborder sur le luxueux yacht de la millionnaire du snuff movie. Travis met son voilier à l'eau dans l'espoir de rattraper les truands. Poursuite sur océan démonté. Le transbordement de la fillette s'effectue. Aiguillonné par Hugo qui ne conçoit pas d'autre solution, Travis éperonne le yacht de son ex, The Red Siren (d'où le titre, on se demandait bien comment l'auteur le justifierait). Madame se tue à la grenade après un speech revivialiste sur les joies du culte vampirique, sur le pouvoir du prédateur, « la prédation est un jeu » affirme-t-elle à Alice. La grenade explose, décapite Eva Kristensen, c'est moche à voir. Alice s'en sauve in extremis.

Les méchants sont tous morts et les bons sont presque entiers (un ami de Travis y laissera sa peau). On pressent que l'empire de Mme K sera démantelé, mais que ce n'est que la pointe de l'iceberg. La demande pour son produit est si grande... Alice retrouve donc son père qui peut enfin sortir de la clandestinité. Une fugace histoire d'amour s'amorce entre Anita et Hugo, à laquelle Hugo trouve le moyen de ne pas céder — préférant le retour à la vie cachée, riche d'un sens obscur.
Un très haletant roman sur le mode picaresque. Le gars sait faire en ta. Ça déménage hardiment. Il y a des coïncidences très grosses, on ne comprend pas toujours pourquoi les hommes de main de Mme K réagissent si lentement quand ils retrouvent Hugo, ou alors on se demande pourquoi ils agissent si peu quand, pourtant, ils le suivent quasiment pas à pas. On se fout des raisonnements et des questionnements. C'est du grand roman d'action, sans répit, sans jamais un petit air de flûte pour ralentir le mouvement. C'est un road movie adapté à la littérature. Juste pour la forme, on pourra reprocher à l'auteur un usage par moments inusité de la virgule...

La Sirène rouge
Maurice G. Dantec
1995, Série noire Gallimard
édition originale 1993
479 pages
lu: août 95

2 commentaires:

  1. Oui, "un très grand roman".
    Qu'on a du coups plus envie de lire puisque vous le racontez par le menu jusqu'à son final...
    Quel intérêt ? Une critique aurait été mieux qu'une fiche de lecture.

    RépondreSupprimer
  2. C'est la nature de cette bête-ci. Si on n'aime pas, la blogosphère est vaste...

    RépondreSupprimer