ATTENTION SPOILERS PARTOUT

mardi 26 juillet 2011

Zapping - Didier Daeninckx

LA PLACE DU MORT. Profitant du bouleversement des mœurs politiques après la victoire socialiste de 80, un journaliste de province s'est hissé au firmament des vedettes locales. Il met à jour une magouille de spéculation immobilière incriminant le maire de la ville, qui doit fuir. Usant de son pouvoir médiatique, le journaliste Tolona s'impose comme le chevalier Bayard de la lutte à la corruption. Puis il est assassiné. Le réseau décide de poursuivre son émission télé en mettant à sa place une marionnette de latex à son image... Grinçant et cynique, ce texte est quand même difficile à lire en raison de l'idiome argotique utilisé dans les milieux de la télé française et des références culturelles dont on saisit parfois mal le sens.

LA CHANCE DE SA VIE. À l'émission de Jacques Pramarre, on sollicite les dons pour aider des démunis face à des injustices. Cette semaine, Adélaïde, victime d'une erreur médicale, a perdu sa cause en appel et doit maintenant rembourser 700 000 francs. Pendant une heure, les téléspectateurs vont contribuer au téléthon. C'est la générosité médiatique. On accumule la somme. Adélaïde retourne chez elle, le cœur léger. A la maison, son père et ses frères veulent la forcer à leur remettre l'argent. Elle attrape un fusil et les tire à bout portant; quand la police intervient, devenue paranoïaque, Adélaïde défouraille à tout venant... Virulente critique des médias de la charité, avec un dérapage familial en bonus à la fin. C'est court et c'est merveilleux.

UNE QUESTION POUR UNE AUTRE. François Lincan a perdu le gros lot à l'émission Commando. Revoyant la vidéo, il se persuade que son concurrent a été aidé par l'animateur, Michel Ferriot. Lincan voue une haine féroce à Ferriot. Il le tue, puis Lincan meurt peu après dans un accident bête. Le lecteur apprend que c'est la femme de Ferriot qui renseignait le concurrent qui, finalement, la prend pour épouse... Convenable mais moins convaincant que les autres textes.

SANTÉ A LA UNE. Alain et Elisabeth font du tourisme lorsque Alain reconnaît une ancienne flamme, Michèle. Il se met à ses trousses. Elle est salement amochée par la drogue et elle ne le reconnaît pas. Alain se fait tabasser par ses pushers. Un peu plus tard, Alain abandonne carrément Élisabeth au profit de l'ombre de Michèle qu'il a une encore entrevue; mais là, Michèle vient de commettre un meurtre et Alain perd aussi Michèle... Pas très réussie la nouvelle, le lien avec la télé est quasi inexistant, et on ne croit pas à la ferveur qui pousse Alain vers Michèle.

CINQ SUR CINQ. La présentatrice d'une émission d'actualités négocie ferme un contrat blindé parsemé de privilèges éhontés. Puis elle court animer une émission qui porte sur la pauvreté qui ravage le pays et à propos de laquelle personne ne fait rien... Celle-là, c'est un chef-d’œuvre de cynisme avoué et d'hypocrisie crasse.

RODÉO D'OR. Parce qu'il a manqué une nouvelle régionale importante, un réalisateur tourne un remake en demandant aux protagonistes de refaire leur numéro. Un des gamins meurt quand une voiture dérape et prend feu. Grâce à ce reportage en direct, le réalisateur se mérite un Sept d'Or couronnant les meilleures émissions de la télé... Banlieue arabe, jeunes loulous prêts aux quatre cents coups, une atmosphère absolument réussie, mais un texte qui laisse sur sa faim à cause d'une faiblesse bon sentiment à la fin.

LE PSYSHOWPATHE. Dans son immeuble aux murs de papier, Valérie est intrigué par un nouveau voisin. Elle se met à l'épier quand elle l'entend au lit avec une femme. Elle le voit nu, ça l'excite secrètement. À la fenêtre, elle le voit en train de frapper sa compagne avec des ciseaux, Valérie se précipite, enfonce la porte. Le gars est en train de poignarder une poupée gonflable. Devant Valérie, il fond en larmes et avoue avoir besoin d'elle. Valérie se jette contre lui... Détails évocateurs, chantournage riche et précis des éléments du texte, qui s'ouvre sur une fausse piste, un genre de chute — si on veut — placé en début d'histoire plutôt qu'en fin. Une excellente nouvelle, érotique de surcroît.

TIRAGE DANS LE GRATTAGE. Stan, Norbert et Cyrille braquent une banque et se terrent dans une villa louée à la campagne. Quand Cyrille va faire des courses, la police fait une descente, met la main au collet de ses comparses suite à une délation. C'est normal puisque la banque offre 10 millions de récompense. Cyrille entend que le père Chassagne a été vu avec une très grosse somme d'argent qu'il tentait de cacher. Voilà le délateur. Cyrille tue le père Chassagne et fait main basse sur le magot. Le père Chassagne venait de gagner le loto, c'était la chance de sa vie... Une méprise, un crime qui en amène un autre. Les histoires de Daeninckx n'offrent pas toujours tous les éléments de résolution souhaités, ici, par exemple, on ne sait pas et on ne saura jamais qui a vendu les braqueurs.

VOIX SANS ISSUE. La nuit venue, une femme écoute la voix onctueuse de Bruno sur les ondes de Radio-Solitude en se masturbant secrètement. Seulement c'est interdit dans cette maison pour retraités... Une histoire triste, moche, de vieillards parqués dans des chambres sans intimité, impitoyablement réprimés quand la solitude les gagne et qu'ils tentent de se réconforter.

LES ALLUMEUSES SUÉDOISES. Jacques Vidal a vécu son éveil sexuel grâce à la cinématographie suédoise, à ces actrices peu inhibées et à ses metteurs en scène pour qui le sexe était une source de joie et d'humour ou de poésie. Les temps ont changé, à son plus grand scandale, sa fille s'intéresse au cinéma suédois pour la valeur de ses productions... Très anodin, quelques souvenirs heureux de films connus et d'actrices, ah Bibi, ah Liv, charnelles et si belles et si délectablement femme.

RAFLE EN DIRECT. Le gouvernement français rafle tous les étrangers et les expédie manu militari sous d'autres cieux. A l'aube du 15 juillet de l'an 2000, la France se réveille bien grasse et toute blanche... Cinglante dénonciation de l'intolérance. Ça tient plus du pamphlet que de la fiction.

POURSUITE TRIVIALE. Dans un futur proche, une famille joue à un incessant jeu télévisé qui leur assure des pilules d'amour, des heures de sommeil, de la nourriture pour le chien, des heures de sortie, et ainsi de suite... Le sarcasme est vite anodin, et la nouvelle offre finalement peu de choses sinon cette vision bancale d'un futur rigidement soumis au diktat des jeux télévisés (sans qu'on nous explique pourquoi : la méthode Daeninckx montre sa faiblesse dans les textes plus SF qui justement doivent se déployer autour d'une simili-explication).

F.X.E.E.U.A.R.F.R. En 1944, les hommes et les garçons du village de Nothange sont emmenés pour être exécutés par les soldats de la division SS Das Reich. Seul Patrick en réchappe, on ne sait comment. Quarante ans plus tard, lors de l'émission Au nom de l'amour qui met en contact des personnes depuis longtemps séparés, la sœur de Patrick lance un appel pathétique. Patrick est retrouvé par la police car on le cherchait aussi pour un braquage d'épicerie. Il écoute Des chiffres et des lettres (d'où le titre) au moment où la gendarmerie intervient : c'est la grosse vilaine canonnade, Patrick est abattu. Le mot qu'on cherchait à DC&DL, c'était faux-frère... La télé comme instrument de la justice immanente et comme révélatrice des fautes du passé.

ŒIL POUR OEIL. Pour l'émission hebdomadaire de Légendes du pays, Roland Rastrols a invité les héros d’un sauvetage hors du commun à tenter de gagner une cagnotte en faveur de Véronique, une jeune aveugle à qui une opération dispendieuse rendrait la vue. L'émission va bon train, mais au moment de doubler la mise finale, le concurrent rate la question et c'est tintin pour Véronique qui devra se contenter d'une moitié de cagnotte. Elle va aux USA se faire opérer un seul œil. « D'aveugle, elle devint borgne .» (p.155)... Cruelle et ironique, c'est une excellente nouvelle où la télé et les faux jetons pieux et charitables qui l'animent n'en ont que pour l'audimat.

BIS REPETITA. Bernard soupçonne sa femme d'avoir une liaison avec un certain Marc Laurenti, probablement un écrivain, car un manuscrit portant ce nom la suit en tous temps. Bernard est sidéré par le manuscrit, c'est un roman porno, dans lequel les comportements amoureux de l'héroïne rappellent beaucoup ceux de Nadine. Bernard laisse l'amertume le gagner, qui se change en volonté assassine quand il tombe sur une description très précise des grains de beauté qui se cachent entre les lèvres du sexe de Nadine. C'est la preuve qu'il ne souhaitait pas. Il tue Nadine et se précipite chez l'éditeur de Marc Laurenti pour lui faire un mauvais parti. Il apprend la vérité : Laurenti est un nom d'emprunt sous lequel travaillent les auteurs d'une série érotique parmi lesquels cette nouvelle venue, Nadine... Ouille ouille ouille que cette nouvelle-là est délicieuse. Exemplaire, la dérive paranoïaque de Bernard, incapable de distinguer la réalité de la fiction qu'il se met lui-même en tête. La meilleure du recueil.

TICKET TOUT RIDÉ. Jessica gagne la cagnotte au loto télévisé. Elle se précipite vers l'aéroport où elle est rejoint par une autre femme qui l'abat. La police intervient. Jessica n'était pas Jessica, c'était une amie envoyée à la télé car la vraie Jessica est une criminelle en fuite, recherchée par toutes les polices. Seulement après le tirage, la fausse Jessica a voulu prendre la fuite avec le magot... Bof. Les textes ne peuvent pas être tous gagnants.

FARMING CLASS HERO. Jean-Claude Charlois fait l'objet d'un reportage à une émission de prestige. Il est devenu un héros parce qu'il a sauvé des gens d'un incendie. Après quelques semaines, la gloire s'étiole. Jean-Claude, sans le sou, échaudé, décide de mettre le feu lui-même à une ferme et de jouer de nouveau les héros. Ça foire, la grange et la maison brûlent, en périssent les occupants. Jean-Claude est écroué. Mais il refera une émission, sur les pyromanes, cette fois-ci... Les histoires deviennent plus ordinaires en fin de volume — est-ce la tolérance du lecteur qui va diminuant ou l'effet de nouveauté s'affaiblit-il ?

UNE FAMILLE DE MERDE. Sur le plateau de Plein aux as deux familles s'affrontent, une haut de gamme, l'autre bas de gamme. Les riches contre les pauvres. Évidemment, les pauvres sont parfaitement nuls mais hautement pittoresques et bientôt le public en studio les encourage vivement, chahutant les riches. Des révélations sont faites dans le courant du jeu, le père des riches est l'amant de la fille des pauvres, la chicane pogne pour de vrai et ça finit en bagarre où se mêlent les participants, le public et l'équipe technique... Le plus amusant des textes de ce recueil, qui n'a d'autre but que de faire rire.

LEURRE DE VÉRITÉ. Demandé pour faire la régie d'une émission d'affaires publiques dont l'invité est Gilles d'Auray (c-à-d gueule de raie, alias Le Pen), Simon Elmaz qui le déteste s'arrange pour le montrer sous ses plus mauvais angles, avec d'interminables gros plans qui mettent en évidence ses bajoues et sa couperose. Durant l'émission, des militaires font irruption et emmènent Elmaz. C'est le coup d'État, D'Auray vient de prendre le pouvoir avec l'aide de l'armée... La verve de Daeninckx prend une tournure amère. L'histoire relève ici de la politique-fiction, et malgré l'ironie finale, le lecteur reste pantois devant la fulgurance des évènements qu'il n'attendait pas.

LE PENOCHET. Le Penochet est au pouvoir. Les grandes manœuvres pour purifier la France ont commencé. Profitant d'un grand rassemblement pénochettiste à Dreux, Maurice Laurint sort de la cachette où il se terrait depuis le coup d'État, revêt son ancien costume de déporté et va abattre Le Penochet. Il est abattu en retour par les skins du service d'ordre... Un texte brutalement simple, sans effet ironique, juste une fiction dénonciatrice.

Un excellent recueil de nouvelles. Le talent de l'auteur est immense, il sait y faire. Je retiens tout particulièrement : La Chance de sa vie, Cinq sur cinq, Le Psyshowpathe, Œil pour œil, Bis repetita et Une famille de merde. Ce qui en fait beaucoup, non ?

Zapping
Didier Daeninckx
1994, Folio
édition originale 1992
228 pages
lecture : janvier 95



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