ATTENTION SPOILERS PARTOUT

mardi 26 juillet 2011

Le Der des Ders - Didier Daeninckx

Paris, un an ou deux après la fin de la Der des Ders.

René Griffon a fondé sa propre agence de détective privé spécialisée par la force des choses dans les affaires matrimoniales. Les soldats de retour au foyer sont nombreux et les veuves de guerre ont la cuisse légère, elles avaient dans bien des cas perdues l'espoir de revoir leurs hommes. Griffon vivote dans son meublé en compagnie d'Irène, sa secrétaire, avec lequel il partage une passion identique pour le sexe.

Le colonel Fantin de Larsaudière fait appel à ses services car on le menace de chantage. Pour lui, aucun doute, c'est sa femme qui est derrière tout ça. D'autant plus que c'est la vraie madonne des anciens combattants, n'aimant rien mieux que de s'envoyer en l'air — surtout — avec des vétérans de l'aviation. Le colonel charge Griffon de faire cesser ces tentatives de chantage et de démasquer la coupable, c'est-à-dire madame la Colonelle.

Très vite, Griffon soupçonne la maldonne quand la fille du colonel rate son suicide et que lui-même intercepte un message du maître-chanteur que le colonel ne lui délivrera jamais. En effet, il ne s'agit pas d'une banale histoire de mœurs, c'est une histoire politique. Celui qui cherche à faire chanter le colonel est un infirmier du sanatorium des vétérans où meurent les derniers gazés du conflit. Cet infirmier a recueilli les confidences d'un soldat, entre-temps décédé, qui jette la lumière sur le comportement du colonel durant la guerre, notamment à la bataille où le régiment fut complètement décimé et le colonel un des rares survivants. Durant cette bataille, le colonel s'est conduit avec la plus extrême pleutrerie (c'est pardonnable), allant jusqu'à abattre un subalterne lui reprochant son incapacité à commander (ça l'est moins). C'est le motif du chantage, le retour des assassinés, de ces soldats envoyés à la plus grande boucherie de tous les temps pour la gloire de la Patrie et du colonel. Le maître-chanteur ne veut rien d'autre que faire mijoter le colonel dans son jus avant de couler l'histoire aux journaux.

Pour d'autres motifs, le colonel a décidé de se débarrasser de la colonelle. C'est pourquoi il a orienté l'enquête de Griffon vers celle-ci. Mais, de découvertes en découvertes, Griffon voit la vérité lui éclater en pleine face. Après l'homicide de l'infirmier maître-chanteur, Griffon, lui-même ancien combattant et gardant rancœur de ce carnage, décide de poursuivre l'oeuvre vengeresse et de faire publier lui-même le texte infamant. Suite à une méprise, car Griffon a dû assommer un communiste pour reprendre le texte de l'infirmier, le communiste et ses amis tuent Griffon et Irène, brûlant par le fait même le manuscrit compromettant et sauvant la réputation du colonel. Le roman s'achève ironiquement sur une invitation à l'inauguration du Monument aux Morts de Courvilliers, sous la Présidence d'Honneur du Colonel Fantin de Larsaudière, de l'Héroïque 296e régiment, avec Concert Patriotique par la Fanfare des Invalides.

Daeninckx est un fouille-merde accompli. Ici, il déterre une période historique pratiquement oublié, celle de l'après première guerre. Il a le sens du mouvement social et des luttes qui déterminent le sens que celui-ci prendra. Cette partie-là du roman est une exemplaire réussite. L'histoire du lâche que l'on prend pour un héros, doublé d'un fourbe assassinant ceux qui l'ont surpris en pleine lâcheté, ça ne brise rien. On a déjà vu, ou on a l'impression d'avoir déjà vu — ce qui du point de vue du lecteur revient au même, la surprise n'existe pas. Et le ton qu'emploient les personnages de Daeninckx, débonnaire, farci de bons mots, de répliques faciles, s'il est justifié par une apparente fausse gaieté — un petit je ne sais quoi — en prise directe sur la réaction au plus grand des carnages injustifiables de l'histoire de l'humanité; ce ton-là n'emporte pas mon adhésion et me fait l'effet d'une intrusion de l'auteur; la preuve étant que tous les personnages en sont affectés, ce qui est faux, bien entendu, mais j'essaie de justifier mes affaires, na. En résumé, mi roman à l'intrigue bien faite bien que sans surprise, mené dans un contexte social magistralement exposé, où la douleur des personnages est parfois dite en images brèves, ironiques et implacables : le mariage de l'amie d'Irène à un cul-de jatte, l'armée française bombardant un contingent russe à l'arrière des lignes, tout cela soulignant l'extrême dureté d'une époque cynique, agonisante et frivole, d'une jeunesse arrachée à des hommes comme un membre perdu dans une bataille inutile.

Le Der des ders
Didier Daeninckx
1984, Série noire
édition originale 1984
216 pages
Lu : février 95

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