I HAVE NO MOUTH, AND I MUST SCREAM. Pris dans la logique de la Troisième Guerre mondiale, les Américains ont construit un gigantesque ordinateur de contrôle, les Russes aussi, idem pour les Chinois. Ces ordinateurs se sont amalgamés et ont ainsi donné naissance à AM, une super machine qui a pris le contrôle de toutes les opérations, puis de la destinée du monde. En conséquence, l’espèce humaine a été complètement éliminée à l’exception de cinq individus, qui ont été conservés pour expier par la souffrance les crimes de l’humanité. Depuis sept cents ans, ils attendent une délivrance que seule la mort peut leur apporter. AM qui est un avatar de Dieu les empêche de mourir, car il a ce pouvoir. Les frustrations sont grandes, les corps mutilés. Dans un moment de démence, le narrateur parvient à déclencher une tuerie hystérique et à prendre AM de vitesse. Quatre des cinq survivants périssent. Le narrateur sera gardé en vie, au prix d’une affreuse mutilation. D’où le titre de la nouvelle... Ellison fait dans la nouvelle coup-de-poing, pas dans l’œuvre d’art. Ce sont des cris contre des crimes ponctuels, de sorte que les textes passent mal la rampe des siècles. La nouvelle est cousue de gros fils bien épais, tissée sans beaucoup de finesse. Dans l’univers constipé de la sf des années soixante, cette nouvelle a eu l’effet d’un électrochoc, trente ans plus tard, le choc n’est plus et la pertinence est passée.
BIG SAM WAS MY FRIEND. Un très ordinaire petit cirque galactique engage un humanoïde capable de se téléporter qui monte un numéro spectaculaire et faussement dangereux. L’homme s’appelle Sana, il est grand comme c’est pas permis et il recherche une jeune femme, Claire, morte en raison de son inaction. Sur la planète Giuliu II, au cours de la cérémonie du sacrifice de la vierge, Sam croit reconnaître Claire dans la victime destinée au supplice et il la sauve de la décapitation. En réparation de son acte, Big Sam est condamné à la pendaison. Il aurait toutes les occasions de ne pas mourir, avec le pouvoir qu’il a, mais il accepte son sort et meurt sous les yeux de la petite troupe qui ne réagit pas... Une histoire qui aborde le thème de la culpabilité, celle de Sam à l’égard de celle qu’il aimait et celle des gens du cirque vis-à-vis de Sam qu’ils laissent mourir sans agir car cela sert bien leurs intérêts sur la planète. Mais malgré les bonnes intentions, ce n’est pas très fort, ni surtout original. Une histoire bien banale sur un fond de beau décor un peu gaspillé.
EYES OF DUST. Dans la Cité de la Lumière, sur la planète Topaz, au milieu de la perfection des êtres, un aveugle et une femme défigurée par un grain de beauté ont un enfant aux yeux vides, comme remplis de poussière grise, qu’ils élèvent en paria car l’absence de perfection est une horreur inadmissible sur la planète. La maison qu’ils habitent est anéantie lors d’un accident et les parents perdent la vie; des sauveteurs retrouvent le jeune enfant, si laid, si laid, et lui font la faveur de l’abattre. Mais depuis ce crime, un lourd nuage gris flotte à la surface de Topaz, enlaidissant la ville, empêchant les habitants de vivre dans l’innocence du crime commis... L’enfer est pavé des meilleures intentions. Texte dogmatique à la symbolique lourdement mise en scène. Pourtant, c’est assez bien raconté, sans les excès habituels de l’auteur. Lecture légère et agaçante.
WORLD OF THE MYTH. Gornfeld, Rennert et Iris se retrouvent naufragés sur une planète inconnue. Ils sont tous plus ou moins amochés : Iris a les jambes brisées, Cornfeld un bras cassé et Rennert souffre de contusions. En attendant les secours, ils doivent vivre ensemble. La tension est grande car Rennert a déjà violé Iris et semble sur le point de récidiver. De mystérieuses fourmis entourent le campement, fourmis capables de concrétiser certaines de leurs visions. Après que Rennert eut tenté de violer encore une fois iris, Cornfeld le supplie de demander aux fourmis de lui montrer son vrai visage. Rennert se tue, incapable de supporter l’incarnation du mal qu’il est. Cornfeld annonce à Iris la nouvelle de la mort de Rennert et les raisons qui en sont la cause. Elle est abasourdie. Cornfeld comprend que ce serait le suicide pour elle aussi si jamais les fourmis lui montraient son vrai visage. Dans le crime de Rennert, elle était aussi coupable que lui... Nouvelle rétrograde pourrait-on dire à prime abord, puisqu’elle confond victime et prédateur dans le même crime. Mais ici le viol est un accessoire à la question plus fondamentale sur le partage de la culpabilité. On a toujours quelque chose à se reprocher, une partie noire cachée au fond de notre âme qu’on souhaite jamais ne voir émerger. Une bonne nouvelle mélodramatique quant à la forme mais qui a gardé son impact en dépit des décennies accumulées.
LONELYACHE. Un gars que sa femme a quitté se languit de désespoir. Sa vie n’a plus de sens. Il baise à gauche et à droite des femmes aux noms qu’il ne retient pas. Il vit une déliquescence de l’âme. Une ombre vit dans le même appartement que lui, le monstre de toutes ses culpabilités diffuses. La bête prend de plus en plus d’expansion. Lui devient fou et se suicide d’une balle dans l’œil quand il ne parvient pas à faire partager son mal de vivre à une prostituée qu’il avait levé en dernier recours. .. Très puissante nouvelle au propos extrêmement obscur. La déchéance de cet individu, son drame égoïste et pourtant universel est prenant; on tombe là-dedans comme dans une ouate oppressante, humide, on glisse lentement vers la décomposition. Mais Ellison abuse d’images fortes qui produisent un effet de saturation.
DELUSION FOR A DRAGON SLAYER. J’ai lu cette histoire sans rien y comprendre et sans accorder la moindre importance à cette incompréhension. Ça dit tout. Ça a une allure de texte écrit à l’hallucinogène, Ellison dément la rumeur et parle plutôt de tentative de mysticisme. Ce lecteur-ci, lui, a été mystifié.
PRETTY MAGGIE MONEYEYES. Kostner tente sa dernière chance à Las Vegas, la ville du Péché. Il en est au dernier dollar de sa misérable vie qu’il joue dans une machine à sous. Les roues tournent, s’arrêtent sur trois yeux bleus qui le regardent intensément, qui lui parlent. C’est le jackpot. Kostner gagne deux mille dollars. Il rejoue et gagne immédiatement. Il va gagner dix-neuf fois en ligne, à un point tel que l’administration du Casino va lui demander d’aller se coucher quelques heures afin que l’appareil soit inspecté. Kostner accepte. (Six semaines auparavant, Maggie aux yeux bleus, une fille sortie de l’Amérique moyenne, montée au sommet de la prostitution de luxe grâce à un insatiable appétit de pouvoir et un sens remarquable de la ruse, est morte à cet appareil. C’est son âme qui appelle maintenant Kostner, qui lui promet qu’il va gagner éternellement.) Le lendemain, Kostner se remet à la machine à sous. Un éclair intérieur. Il meurt lui aussi. La machine maudite (deux morts et une fortune coulée pour le Casino, trop c’est trop) est expédiée à la ferraille. Sur les roues internes, on voit maintenant trois yeux bruns, la couleur des yeux de Kostner... C’est une bonne histoire, très très maniérée, mais efficace et bien construite. Il faut admirer la cohérence du symbolisme ellisonnien, idem pour sa stratégie métaphorique. Deux destins opposés, un qui monte, un qui plonge vers le néant, avec un arrêt final dans la mort, au même endroit, voilà qui est assez hallucinant. Tout nous ramène à la mort avec l’auteur. Les destins ne s’entrecroisent pas, ils se cognent l’un à l’autre, brutalement, une seule fois, et il n’y a pas de reprise. Ça se termine généralement en tragédie disproportionnée quant aux malheurs des individus. En prime, la culpabilité, mais ici sous la forme d’un destin flou auquel les protagonistes n’échapperont pas.
PRETTY MAGGIE MONEYEYES. Kostner tente sa dernière chance à Las Vegas, la ville du Péché. Il en est au dernier dollar de sa misérable vie qu’il joue dans une machine à sous. Les roues tournent, s’arrêtent sur trois yeux bleus qui le regardent intensément, qui lui parlent. C’est le jackpot. Kostner gagne deux mille dollars. Il rejoue et gagne immédiatement. Il va gagner dix-neuf fois en ligne, à un point tel que l’administration du Casino va lui demander d’aller se coucher quelques heures afin que l’appareil soit inspecté. Kostner accepte. (Six semaines auparavant, Maggie aux yeux bleus, une fille sortie de l’Amérique moyenne, montée au sommet de la prostitution de luxe grâce à un insatiable appétit de pouvoir et un sens remarquable de la ruse, est morte à cet appareil. C’est son âme qui appelle maintenant Kostner, qui lui promet qu’il va gagner éternellement.) Le lendemain, Kostner se remet à la machine à sous. Un éclair intérieur. Il meurt lui aussi. La machine maudite (deux morts et une fortune coulée pour le Casino, trop c’est trop) est expédiée à la ferraille. Sur les roues internes, on voit maintenant trois yeux bruns, la couleur des yeux de Kostner... C’est une bonne histoire, très très maniérée, mais efficace et bien construite. Il faut admirer la cohérence du symbolisme ellisonnien, idem pour sa stratégie métaphorique. Deux destins opposés, un qui monte, un qui plonge vers le néant, avec un arrêt final dans la mort, au même endroit, voilà qui est assez hallucinant. Tout nous ramène à la mort avec l’auteur. Les destins ne s’entrecroisent pas, ils se cognent l’un à l’autre, brutalement, une seule fois, et il n’y a pas de reprise. Ça se termine généralement en tragédie disproportionnée quant aux malheurs des individus. En prime, la culpabilité, mais ici sous la forme d’un destin flou auquel les protagonistes n’échapperont pas.
[Some readers contend that] I’m a poor lousy hack with a tiny gift for explosiveness, dit Ellison dans la préface à PMM (p. 147). Ceux-là n’ont pas complètement tort. Mais Ellison est plus qu’un écrivaillon sans talent. Ses nouvelles sont des cris du cœur écrites dans la passion, avec rage et débordement, dans un style baroque, excessif, brut... et lassant quand ça ne fonctionne pas. Il y a tant de scories. Et les clous qu’il enfonce sont parfois tellement énormes et si peu subtils que la sensibilité du lecteur peut en être froissée. Mais brèfle, Ellison est surtout un pur produit des années soixante soixante-dix, des années de rêve et de poudre, d’exorcisme social et de rage brûlante. Si le message qu’il nous laisse est primordial; le contenant a vieilli.
I Have No Mouth & I Must Scream
Harlan Ellison
1977, Pyramid
édition originale 1967
175 pages
avec introduction de T. Sturgeon et introductions de l’auteur
lecture : mars 9