ATTENTION SPOILERS PARTOUT

samedi 18 décembre 2010

Solaris n° 100

La Milliriard de Natasha Beaulieu. Vincent Beauvoir emménage sur la rue Milliriard, dans le quartier Genonçon, une rue déformée et la rumeur veut que soit à la suite d'une colère de Dieu car, chuchote-t-on, il s'y déroulait la nuit des cérémonies démoniaques et même des mutilations humaines. Beauvoir est sceptique. Mais il fait des rencontres bizarres, voire inquiétantes, dans ce quartier qui est habité par des pauvres, des indigents, des intoxiqués et peut-être par des bandits. Un jour, il est invité à une fête auquel il se rend sans enthousiasme. C'était un piège, on s'apprête à lui faire subir une mutilation des deux mains. Il s'en sort de justesse; ainsi la rumeur était vraie. Un très bon texte de Natasha Beaulieu (inconnue au bataillon), qui baigne dans une riche atmosphère évocatrice, bizarroïde et prenante. Est-ce de la sf ou du fantastique, la fin finale est ambiguë à souhait et on en redemande.

Luckenbach, les mathématiques et autres dangers de Montréal de Joël Champetier. Le professeur Luckenbach a mis au point une expérience pour tester la constante cosmologique. De son laboratoire de Verdun, il augmentera localement celle-ci et on verra bien ce que ça va donner. Il a pris un jeune mathématicien québécois, Michel Grandmaison, pour l'aider à mettre au point sa machinerie technique. L'expérience est un succès colossal. La structure de l'espace se tord, la lumière subit un décalage vers le rouge à l'échelle humaine, sans compter le ralentissement temporel et l'accroissement local de la gravité. Ils arrêtent la machine et attendent qu'on retrace leur piste. Arrive la Némésis de Luckenbach, le professeur Welsh (qu'en début de nouvelle, Luckenbach humiliait devant un auditoire international) courroucé, armé et plus qu'heureux de s'occuper personnellement de Luckenbach. Pour se défendre, Luckenbach remet in extremis sa machine en marche, à très grande puissance, et le monde bascule. Les effets sont fantastiques et baroques même si l'opération ne dure que quelques secondes. Verdun est dévasté et les habitants sont transportés instantanément un peu partout à travers le monde. Michel et Lulita (le bras droit et un peu l'âme damnée de Luckenbach, ainsi qu'une très belle fille qui fait des avances à Grandmaison) sont expédiés une semaine dans le futur et en Australie par-dessus le marché. Remis de ses émotions grâce à des antidépresseurs, Michel Grandmaison se promet bien de ne plus jamais travailler avec Luckenbach. C'est un peu la suite de la nouvelle Dieu, un, zéro parue dans l’Année de la SFFQ 1990 qui me reste encore à lire, mais c'est absolument divertissant. La caractérisation des personnages est du tonnerre, les anecdotes bien tissées ensemble, sans ficelle qui dépasse, la sf est plutôt hard et le traitement rappelle les aventures du prof Gallagher de Lewis Padgett; c'est loufoque, drôle, un pur divertissement.

Pluies amères de Daniel Sernine. Nicolas Dérec vient en mission sur Terre aider Érymède à assurer un transfert de matériel entre deux compagnies de lutte contre la pollution. Voilà l'idée, voilà le texte, c'est tout. Ce qui est nouveau dans ce texte, c'est qu'Érymède a maintenant une opération commerciale sur Terre, afin d'assurer un transfert de technologie anti-polluante pour aider la planète; Argus ne se contente plus d'observer, mais agit directement. Le texte est surtout un constat amer et désenchanté sur la condition générale de la planète. Tout y passe : pluies acides, réchauffement global, épidémies virulentes, pauvreté endémique, dégradation urbaine, délabrement affectif... Rien pour rire — en effet, nous ne sommes pas là pour rire, et la fin, d'une amertume infinie (« On a retardé un peu l'échéance... »), vient le prouver. Sernine écrit très efficacement, et ce genre de texte à la déprime gluante est un bon exemple de ce qu'il peut faire.

Chanson pour une sirène d'Yves Meynard et Élisabeth Vonarburg. Montréal est enseveli sous les eaux. Y vivent des plongeurs et aussi des Dauphins et de mythiques sirènes, tous produits de la biotechnologie. Antoine est un plongeur qui mène les touristes au fond des eaux de Montréal, leur montrer la ville engloutie. Un jour, il y amène Emmanuel Adoma, dite Manou, et ensemble ils assistent au spectacle horrible d'un requin artificiel attaquant et enlevant une sirène. Antoine s'aperçoit que Manou en connaît long comme ça sur les sirènes. Ensemble ils sont invités chez Grail Marchesso, homme d'affaires et biosculpteur de génie hors-la-loi depuis que la biosculpture a été bannie. Là, ils découvriront la caverne des secrets de Marchesso : le requin artificiel y est, de même qu'une licorne et la sirène auparavant enlevée. Avec l'aide de nains génétiquement altérés, Antoine et Manou délivrent tout ce beau monde. Antoine apprend alors le secret de Manou, elle aussi est un artefact génétique, une créature artificielle. Antoine cesse de vouloir être un Dauphin. Il se contentera d'être ce qu'il est : un être humain vivant sur la terre ferme.

Une histoire emberlificotée et litotique en diable (ah la Vonarburg, c'est pas à son âge qu'elle va changer), mais bien enlevée, et l'action ne dérougit quasi jamais. Ça se bouscule gaillardement (]'influence de Meynard ?) et les quelques endroit où ça ralentit avec sérieux semble être l'oeuvre de Mme Vonarburg puisque on y surprend tous ses petits tics habituels.) Outre la longueur considérable du texte (20 pages Solaris, soit aux alentours de 150 pages standard en typescript, ça me les coupe !), on reste impressionnée —ABASOURDI — par la grande lisibilité d'une fiction commise par Élisabeth. Le texte lui-même ne laisse pas un grand souvenir en raison de la banalité du propos, des images qui sont presque des clichés et qui ne renouvellent rien; mais ça se lit et, par moment, on y prend même intérêt. Wow!

Solaris n° 100
printemps 1992 
84 pages
lecture :juin 93

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