Deux nouvelles.
Le Monde est un parc où la folie est le dernier plaisir de Guillaume Demers. Un fonctionnaire qui travaille avec des aliénés reçoit une grosse boîte de documents divers : rapports, vidéos, notes, etc. C'est le cas d'un pauvre fou qui croit que la Terre a déjà été peuplée par des dinoscloportes (mélange de dinosaures et de cloportes — le plus gros et le plus petit). Le dossier est impressionnant de véracité. Aussi le fonctionnaire devient-il complètement accaparé par la lecture du dossier. Tout devient véridique: «Bien que vous saviez que tout était faux, vous aimiez l'imaginer vrai. » (p. 9) Ayant cru à la vérité d'un fou, le fonctionnaire devient fou lui-même... ce qui est une fin appropriée et parfaitement prévisible pour un texte de ce genre. Pour cette raison, la fin déçoit, le lecteur que je suis aurait apprécié une fin plus sf. Le texte est bien écrit, malgré le vouvoiement de la narration qui provoque une distance vraiment inadéquate dans les circonstances (mais appropriée dans le cas de la folie, puisqu'elle suppose une voix, un jugement de valeur sur le lecteur assimilé au narrateur); bref, non seulement le texte est-il bien écrit, il est aussi bien documenté et habilement mis en scène.
Ceux qui viennent d'en bas de Stéphane Langlois. Rachel Varga, administratrice de la station A, accueille le convoi Magellan parti de la Terre vingt-cinq ans plus tôt. La station A vient d'être victime de terroristes et le convoi porte à son maximum la capacité d'accueil de la station. Mais ça s'arrange. L'assistant de Rachel vient l'avertir que l'arrivée d'un très important convoi est signalée. Cette arrivée imprévue d'un convoi de vingt-quatre vaisseaux bouleverse tous les plans de Rachel. La station A ne peut accueillir tant de monde et les transferts vers Uma II (la planète dont la station A est une douane, un lieu de transit et de quarantaine) sont si lents à cause de l'action terroriste que ça risque rapidement de tourner au vinaigre. Le convoi est dirigé par un homme qui se fait connaître sous le titre de l'Archevêque. Ce sont des zélotes chrétiens qui viennent en terre d'asile, après une longue traversée du désert. Ils sont poursuivis par un vaisseau de guerre de Spacegate, organisation politico-commerciale (ce n'est pas clair) dont les rapports avec Uma II et, partant, la station A, ne sont plus clairs en raison de l'éloignement. Sur le Testament, Rachel tente de négocier avec l'Archevêque un report du transfert des effectifs de son convoi (24 000 personnes, et d'autres en cryo) vers la station A, c'est difficile; ces chrétiens orthodoxes veulent accéder à la Terre promise. Arrive un vaisseau de Spacegate. Des coups sont tirés. Rachel quitte le Testament juste assez vite pour éviter l'explosion du vaisseau. Sa mission accomplie, le vaisseau de Spacegate repart vers la Terre tandis que Rachel commence à préparer les équipes de secours qui viendront à la rescousse des vaisseaux du convoi de chrétiens... Langlois ne regarde pas à la dépense de péripéties. Ça part sur les chapeaux de roues et ça roule en fou jusqu'à la fin. Son écriture est extraordinairement lisible, elle ne s'affuble ni de poésie, ni de contemplation, ni de psychologisme. Tout est efficace — ça marche, et comment! J'en suis resté bouche bée. Ce type de sf n'innove pas, elle reste cantonnée dans l'aventure, le mouvement, le rebondissement... Mais l'auteur enrichit sa fiction de deux manières : primo, il foule le terrain miné de la religion, secundo, l'arrière-plan politique Spacegate versus les mondes colonisés est fascinant. En raison de la dissémination d'informations incomplètes, ce texte donne l'impression de s'inscrire dans un cycle quelconque : j'exige de lire la suite !
Le numéro est complété par une longue entrevue d'Élisabeth Vonarburg à propos de la parution des Chroniques du pays des Mères. C'est long, mais c'est typique de l'auteure : interrogations à tiroirs, doute et curiosité, féminisme, parole du délire rationnel et paranoïaque...
Solaris n° 106
été 1993
67 pages
lecture : mai 94
mercredi 22 décembre 2010
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