ATTENTION SPOILERS PARTOUT

dimanche 19 décembre 2010

Solaris n° 101

Spécial Langue. Cinq nouvelles.

Base de négociations de Jean Dion. L'auteur dresse un portrait ironique et dur d'un Québec futur, dit l'Enclave, où chaque ethnie est hors de contrôle, réclamant et prenant ses droits, où les droits individuels empêchent le surgissement d'un État véritable et où les contestations diverses s'appuyant sur diverses contestations viennent miner les fondements mêmes de la démocratie. C'est vraiment amusant et troublant. Sur ce fond, la nouvelle raconte l'histoire d'une délégation diplomatique non-officielle française (bravo pour l'alignement des qualificatifs) venue dans l'Enclave faire une proposition au gouvernement québécois. Pendant que Madame connaît des aventures très amusantes sur une réserve mohawk en plein coeur de Montréal, M. le plénipotentiaire dépose son offre au gouvernement. Cette offre consiste en la reddition du fait français en Amérique. En substance, dit le diplomate, soyez modernes, soyez avant-gardistes, acceptez l'assimilation et soyez-en fiers. Le texte est à la limite du cynisme noir. Presque choquant. Un bon texte, fort bien écrit (mais ça, ça va de soi, on parle de Jean Dion).

Report 323 : A Quebecois Infiltration Attempt de Jean-Louis Trudel. Un Ontarien francophone est pris pour un espion québécois en territoire du Canada. On cherche à lui faire signer une déclaration avant de l'échanger contre un espion ontarien qui vient d'être pris au Québec. Une très agréable et surprenante nouvelle de Trudel (dont les textes souffrent souvent d'un style raide et carré). Écrite en partie en anglais (c'est justifié !) sur le mode de la retranscription d'un interrogatoire, tout dans cette nouvelle est adéquat : depuis le style, jusqu'à la motivation suprême du protagoniste.

Dégénérer de Carl Kleinberg (pseudonyme plaisant de Charles Montpetit). Un virus attaque sournoisement les personnes bilingues et perturbe leurs activités intellectuelles. Sur ce sujet brûlant, on fait une émission de télévision. Ce qu'on lit, c'est le script de cette émission. C'est léger, hautement amusant, sur un sujet quand même sérieux. Montpetit est en verve.

La collection Galloway de Francine Pelletier. Un millionnaire mystérieux, Jeff Galloway, a réuni quelques artistes éminents dans une villa-forteresse d'où ils ne sortiront que s'ils en expriment l'envie. Le but : leur permettre de créer dans une ambiance calme, propice aux échanges culturels. Comme l'un d'entre eux vient de mourir, on se prépare à accueillir le petit dernier : François Laliberté. Malheureusement, ce havre est en fait une cage dorée, car depuis qu'ils y sont, aucun des artistes n'a produit quoi que ce soit. On s'interroge surtout sur l'existence de Galloway — existe-t-il vraiment ou non, est-il même parmi eux ? Francine Pelletier donne une nouvelle litotique en diable, qui évite constamment d'appeler un chat un chat... La caractérisation des personnages est par moment très faible puisqu'elle n'évite pas toujours le cliché (la tapette italienne et l'Allemand arrogant). Reste que c'est un texte intéressant, mais qui est la cause d'une certaine irritation parce qu'on a l'impression que l'auteure n'est pas au foyer avec son histoire et aussi en raison des clichés.

Le Projet d'Harold Côté. Je n'ai pas été capable de supporter cette monstrueuse niaiserie jusqu'à la fin. L'auteur ratiocine ad nauseam (et osti que la nouvelle est longue) sur les capacités d'une machine à écrire tous les textes. Le temps que ça lui prendrait, si elle était capable d'une vitesse telle et s’il y avait tant de machines dans l'univers, multiplié par le sous-ensemble de la racine exponentielle du nombre de signes potentiels de la langue, etc. Et la forme adopte le fond, puisque nécessairement, avant de reproduire toutes les possibilités de texte, la machine se répéterait à satiété. Bon. Répétitif, ridicule, sans intérêt et ennuyeux. Je mets en marche ma propre machine littéraire qui tape uniquement deux mots : à éviter.

Solaris n° 101
édition originale 1992
83 pages
lecture : juin 93

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