Même s'il a publié en 79 et 80 les deux volumes de sa première autobiographie, ça n'empêche pas Isaac Asimov de récidiver; comme il l'avoue, n'est-il pas lui-même son sujet préféré ? Cette seconde autobiographie prolonge la première de la douzaine d'années manquantes mais récapitule aussi les soixante premières années d'existence du bon Docteur. Il y a donc double emploi pour ceux qui auront lu l'autobiographie initiale, mais peu m'en chaut, puisque ce n'est pas mon cas.
Le titre est un régal, un triple jeu de mots : I. Asimov, c'est bien sûr Isaac Asimov, mais c'est aussi Hi, Asimov et c'est I Asimov. Comme on va voir, c'est davantage cette dernière interprétation qui s'applique à l'ouvrage — mais on conviendra qu'une autobiographie n'est pas l'endroit où l'on parle des autres...
Le lecteur est convié à suivre le cheminement de l'auteur depuis sa tendre enfance à Brooklyn (après l'arrivée de Russie en février 23). Asimov était un enfant prodige, sachant lire bien avant de faire son entrée à l'école et possédant une capacité peu commune de déduction et d'intuition, ce qui a souvent contribué à créer un climat antagoniste avec ses camarades d'école, de
high school et de collège. Asimov n'était pas un élève populaire avec les autres enfants, pas plus d'ailleurs qu'auprès des instituteurs qu'il se mettait à dos en les ostinant allègrement. Mais ce côté spectaculaire de son intelligence s'édulcore avec le temps : enfant prodige au primaire, il est exceptionnel au secondaire, très bon au collège et correct à l'université.
C'est aussi un enfant très solitaire, mais heureux de cette solitude car la boutique de son père lui permet de découvrir les
pulps qu'il consommera avec boulimie. Très rapidement, il se met à écrire en cherchant à imiter ces histoires typées, anecdotiques à souhait, menées tambour battant. Dès l'âge de douze ou treize ans, il soumet des nouvelles qui sont refusées. Le déblocage survient vers dix-huit ans, ses premiers textes sont vendus à John W. Campbell, qui devient son mentor et le maître d'œuvre de l'Age d'or de la sf, cette période mythique qui voit éclore les talents d'Asimov, Clarke, Van Vogt, Heinlein, Simak, Bradbury, presque tous de l'écurie Campbell.
Très vite la réputation d'Asimov grandit avec de fort textes et aussi en vertu d'une production prodigieuse. Sa vie professionnelle ira couci-couça. Asimov se cherche un job. Issu du milieu universitaire, la recherche est la seule avenue, mais Asimov est un mauvais laborantin. Chaque fois, ce sera la chicane avec ses supérieurs et les emplois qu'il occupera seront au mieux précaires. Par contre, sa carrière littéraire part sur les chapeaux de roues. Tout ce qu'il écrit, il le vend. À la fin des années cinquante, son champ d'action s'élargit et il commence à publier des textes scientifiques : encore une fois, c'est le succès.
Quand il perd son poste de professeur associé à l'université de Boston, Asimov se lance dans l'écriture à fond la caisse. Déjà, les dernières années, ses revenus de l'écriture étaient trois ou cinq fois supérieurs à ceux de son job. Et comme disent les Anglais :
The rest is history.
Ce qui frappe en premier lieu dans cette autobiographie, c'est l'incroyable auto-satisfaction de l'auteur vis-à-vis lui-même. Il cite d'ailleurs cette maxime qui, juge-t-il, s'applique à son cas : Cet homme est si peu modeste, mais il a tant de bonnes raisons de ne pas l'être.
Asimov est un ermite moderne, préférant vivre dans une pièce éclairée artificiellement avec ses papiers et sa machine à écrire que de parcourir le monde. Il craint d'ailleurs l'avion et déteste généralement les vacances et les voyages.
Dans ce livre il se montre parfois impudique, sa relation avec son fils David est manifestement un échec qui le meurtrit, et dont il ne sort pas grandit; il faut préciser que pour Asimov, l'écriture est la première de ses priorités, et tout le reste vient après. C'est capital pour la compréhension du personnage. Il écrit énormément, extrêmement fier d'une production tenant du phénomène. Dans sa carrière, il a publié plus de 450 livres de tout genre (à ce sujet, la bibliographie de ses livres est tout à fait stupéfiante : il a vraiment touché à tous les sujets — sauf la littérature générale). Il y a une espèce de bonhommie dans cette auto-suffisance qui ne déplaît pas, qui amuse en tous cas. L'homme est un égocentrique et un égoïste, mais pas du genre à écraser les autres pour s'approprier les titres et la gloire, son égocentrisme est de ne pas accorder aux autres toute l'attention dont ils ont besoin, témoin sa première femme, son fils David (dont il parle peu) et sa fille Robyn (à propos de laquelle il est plus prolixe, fier surtout de sa réussite qui s'est faite un peu en dépit de lui). Après l'échec de son premier mariage, Asimov va s'assagir, ou peut-être trouver une âme-soeur de qualité supérieure, et il devient nettement plus attentif aux besoins de Janet.
Le style est modeste, l'écriture claire et précise. La première partie de l'ouvrage, plus récapitulative m'est apparue nettement poussive. Mais, au moment d'écrire ce livre, Asimov se sait gravement malade et il espère seulement le terminer avant de mourir. Ses forces sont déclinantes, après une chirurgie réussie pour enlever une tumeur cancéreuse, un triple pontage, voilà que ses reins et son coeur commencent à céder à leur tour. Après avoir terminé la rédaction d'
I. Asimov, Isaac vivra encore une année en relative bonne santé, puis sombrera dans une léthargie profonde, ses forces l'ayant abandonné, avant de quitter le monde le 6 avril 1992. Mais
I. Asimov, une brique de 450 000 mots aura été écrit en 125 jours, un exploit peu commun dont s'enorgueillit ajuste titre Asimov à la fin de son autobiographie.
Asimov était libéral, athée, confiant dans les capacités de la science à apporter des solutions aux problèmes de l'humanité, et surtout prolifique, prolifique, prolifique...
L'épilogue, écrit par la seconde femme d'Asimov, Janet, raconte les deux années qui séparent l'écriture de l'autobiographie de la mort du bon Docteur. Pour cet homme si fier de ses capacités apparemment sans fin de travail, pour cet homme pour qui l'écriture était la justification de son existence, les derniers mois où il écrivait à peine quelques mots par jour, dans un état de prostration et de fatigue incessante, ont dû être une plongée dans un enfer imméritée...
I. Asimov
Isaac Asimov
1995, Bantam
édition originale 1994
563 pages avec introduction, photos
épilogue par Janet Asimov et bibliographie
lu: avril 95