Bureau explore les liens entre la géographie et l'imaginaire. Dans la première partie, la géographie est ici donnée comme une science imprécise qui se pare de concepts aux définitions incertaines, voire contradictoires. Par exemple, qu'est-ce qu'un continent ? Il n'y a pas d'explication véritablement technique (et incontournable) de ce phénomène. Le continent est le résultat de l'expérience des peuples : pour les Européens, il y aura deux continents (le Vieux et le Nouveau) ou alors cinq ou six, dont la définition est centrée autour d'une terre entourée d'eau. Pour les Américains, le nombre variera sensiblement entre cinq et sept (l'Amérique du Nord étant un continent séparé de l'Amérique du Sud) et la définition se déploiera autour d'un bloc de terre.
La géographie devient essentiellement culturelle. Les pays sont des entités culturelles qui n'ont pas d'existence géographique, c-à-d que leurs frontières sont généralement artificielles et basées sur des contentieux historiques.
La ville aussi est une créature artificielle, culturelle, politique, dont traite pourtant la géographie, science dite naturelle.
On ne peut donc traiter réellement de la géographie et du monde que par son expérience personnelle, qui est forcément limitée. L'expérience personnelle est une expérience culturelle et politique.
En deuxième partie, Bureau montre quelques paradigmes de l'existence du Québec. D'abord l'existence du bois, du fleuve et de la montagne, puis la toponymie animale et occulte.
La mythologie québécoise (et canadienne) se compose très largement de héros collectifs (le coureur des bois, le draveur…) qui sont autant de modèles anonymes dont le comportement imprègne notre psyché. Ce sont des héros voyageurs, sans domicile fixe, sans ancrage, emportés par la démesure du pays. Ce trait de caractère, note l'auteur avec humour, se retrouve encore dans la passion qu'ont les Québécois du déménagement.
Le Saint-Laurent coupe en deux le Québec comme une plaie vive et le fait vivre. L'œkoumène québécois cerne le fleuve et quelques affluents. Le climat y est plus doux et les terres arables s'y trouvent; pourtant dans l'imaginaire collectif, on retrouve plutôt les lacs et les rivières (conséquence du mythe des coureurs de bois ?)
La montagne. Le Québec fait un peu chiche avec ses montagnes rabotées et ses collines. Ils ont pourtant une forte récurrence au niveau de l'imaginaire et des images qui en découlent. Québec est bâtie sur le cap Diamant (la montagne en tant que forteresse), Montréal s'étend autour du mont Royal (la montagne en tant que lieu rassembleur), des villages se blottissent dans le giron des Laurentides ou des Appalaches (la montagne comme lieu protecteur et maternel). Pour nommer tous ces lieux (il y aurait 1 000 000 d'entités géographiques nommables au Québec — et environ 93 000 officiellement nommés), les Québécois ont beaucoup fait usage de l'animalier sauvage (lac à l'Orignal, rivière aux Castors) et à la nomenclature occulte (lac du Diable, trou de la Fée, lac Maudit, montagne du Loup-Garou). Si les Québécois ont beaucoup fait appel aux saints de tout acabit pour nommer les lieux (mais les saints ne sont pas des créatures surnaturelles, ce sont des êtres de chair qu'une vie exemplaire aura transfiguré), il ne faut pas oublier les deux axes précédemment mentionnés
La Terre et Moi
Luc Bureau
Boréal, 1991
266 pages (avec des illustrations et des schémas)
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