ATTENTION SPOILERS PARTOUT

lundi 24 janvier 2011

Le troupeau aveugle - John Brunner

Brunner est l'auteur de trois livres remarquables : l'Orbite déchiquetée, Tous à Zanzibar et le Troupeau aveugle. Trois gros romans qui ont en commun une architecture similaire, éclatée, fourmillante et qui va en une pointe extatico-déguinglée sur la fin. Les trois romans parlent sensiblement de la même chose : la pollution, la vie moderne bombardée d'informations (l'intox, en fait), le choc de la modernité, l'acculturation découlant de l'environnement culturel insipide.

Brunner met en scène des bons et des méchants : c'est simple, c'est manichéen, mais c'est efficace en diable. Le combat entre les intervenants prend des allures de duel symbolique entre le Bien et le Mal, tout devient magnifié. Son héros, Austin Train, a un air christique parfaitement assumé; et les métaphores habituelles suivent : on veut le « crucifier », il a des apôtres, il a écrit une bible moderne, etc.

Le Troupeau aveugle est un roman dur et noir, qui ne pardonne pas. L'époque est contemporaine, les USA sont la victime d'une pollution sans rémission qui a les allures de fin du monde. La violence est endémique, universelle, elle n'épargne personne.

Et la situation ne va pas s'améliorer. On part du point zéro et on se précipite vers pire. D'ailleurs rien ne sera fait pour améliorer les choses; les personnages craignent cette pollution qui les rend tous malades et les fait mourir, mais leurs préoccupations sont sans envergure : aucune solution n'est amenée, on se contente d'observer le spectacle en le redoutant, comme une expérience en montagnes russes.

Cette dichotomie est un élément très réussi de l'oeuvre de Brunner, elle en est même la clé de voûte. Ça, et la structure très éclatée du roman, sont les éléments majeurs de l'innovation brunnérienne. La dichotomie est essentielle car elle montre des personnages sans emprise sur leur monde; leur colère est un peu factice et toujours vaine car elle ne débouche sur rien de concret, sinon sur la violence gratuite. Les personnages de Brunner sont des intellectuels (ou assimilés) déconnectés de leurs émotions, émotionnellement acculturés si j'ose dire.

Le Troupeau aveugle est une lecture dérangeante à cause justement de cette précipitation vers la Géhenne d'une société toute entière qui ne réagit plus, qui est morte depuis un certain temps. Et la vision noire qu'a Brunner de cette société lancée à sa perte est d'un réalisme à faire frémir...

Le Troupeau aveugle
John Brunner
Robert Laffont, 1975
417 pages
(The Sheep Look Up)

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