ATTENTION SPOILERS PARTOUT

lundi 17 janvier 2011

Sur la scène des siècles - Daniel Sernine

SOUVENIRS DE LUMIÈRE. En Égypte ancienne, Neferkh ressasse des souvenirs de la mort, des interrogations qu'il se faisait sur la vie après la mort. Les souvenirs sont doux, lumineux, élégiaques, Neferkh est mort depuis des millénaires, c'est son corps momifié qui interroge et se souvient et qui appelle une délivrance car la vie maintenant, c'est cette longue éternité dans le caveau d'un mastala... Une très, très belle nouvelle évocatrice, écrite soigneusement, avec ce qu'il faut de retenue et une sensibilité de tous les instants. L'écriture de Sernine est absolument à point, une merveille.
BABYLONE. Artash court de ville en ville afin de rattraper celle qui a tué sa mère lors d’un avortement raté. C'était il y a très longtemps car Artash est très vieux et sa course presque aussi vieille que lui. À Kadingirra, en Mésopotamie, il la rattrape; c'est encore une jeune femme, si jeune, et toujours avorteuse. Elle se repaît des fœtus qu'elle dévore. Artash tente de la détruire, il est vieux, elle est jeune, elle est éternelle comme le mal, c'est elle qui le tue... Une reconstitution minutieuse de l'époque babylonienne; l'histoire est un peu surchargée, litotique au point d'être obscure, mais c'est une nouvelle dont l'auteur peut être fier. HISTOIRE DE L'OISEAU D'ALEP ET DES SIX VOLEURS. Un marchand laisse à son frère sa boutique et sa fille à garder. Le frère, qui est illusionniste, vend l'illusion de toutes ces richesses à des voleurs, v compris le perroquet de la fille. La fille est bien malheureuse, mais le perroquet revient trouver sa maîtresse et dénonce le frère malveillant au père qui va venger pareille vilenie... Sur le ton des Mille et une nuits, Sernine raconte une histoire dans l'histoire. Par-dessus, il y a Shéhérazade pressée de se faire masser le potiron par les jeunes scribes qu'elle a engagé pour écrire les histoires qu'elle raconte à son maître la nuit. LE VOYAGE DE SALAH. (?) LA TÊTE DE JOKANAAN. Sur un site archéologique, on retrouve l'urne contenant la tête de Jokanaan, celui que Salomé avait fait décapiter au temps de Jésus. Les archéologues sont très émus. Il s'agit d'une découverte fantastique, d'autant plus que le cerveau est parfaitement intact. Au moment où ils se font part de leurs impressions, surgit la jeune amante de l'un d'eux, une danseuse nommée Salomé (qui l'eût crû ?) qui vient réclamer la tête de Jokanaan. Il y a une bagarre, un archéologue — l'amant — est blessé tandis que Salomé s'enfuit avec le trésor... Une étonnante histoire au climat trouble. Ça bouge, il y a de l'action et une atmosphère pas banale, celle des sites d'archéologie où sévissaient au début du siècle des chercheurs romantiques aux allures d'espions. La présence de cette Salomé est mystérieuse, est-elle la réincarnation de l'antique danseuse venant réclamer son dû à travers les siècles où une simple espionne nationaliste voulant empêcher un trésor national de quitter le pays ? L'auteur ne déflore pas le mystère dans cette nouvelle qui est parmi les meilleures du recueil. LE LIBÉRATEUR. Au balcon d'un hôtel d'une république de bananes, un touriste croit entendre les bruits d'une révolution, un paysan monte à sa fenêtre l'inciter à participer à la révolte du peuple. Le lendemain, le touriste descend dans la rue craignant le pire. Aucun signe de tumulte. Il s'informe. La dernière révolution qu'a connu le pays, c'était il y a des décennies, voyez le monument commémoratif là-bas. Monument constitué d'une statue— celle de l'homme qui grimpa à sa fenêtre le soir d'avant... Très brève histoire de laquelle il n'y a presque rien à dire sinon qu'elle est trop courte pour que le charme opère et que la chute est prévisible. DEUX FRAGMENTS. Ces deux courtes scènes ne racontent presque rien et se résument fort mal. SUR LA SCÈNE DES SIÈCLES. Des acteurs préparent une pièce à Montréal. Les mêmes acteurs préparent une pièce dans la Rome antique, et les mêmes en préparent une à l'époque de Racine. Ces acteurs sont éternels, les rôles changent, les êtres vivent et ne meurent jamais, l'art vampirise les gens et leur accorde l'immortalité... Cette nouvelle-là est excellente quand elle met en scène les acteurs contemporains : les personnages sont vrais, ils collent à la réalité, Sernine prend le temps de bien les mettre en situation. À cause de leur brièveté, ce sont les scènes historiques qui affaiblissent sérieusement le propos (même si elles en renforcent la trame). Voilà une histoire qui aurait gagné à rester dans le registre de la fiction canonique et à ne pas se retrouver dans celui du fantastique.

Finalement, c'est un excellent recueil, avec au moins deux histoires très supérieures, Souvenirs de lumière et la Tête de Jokanaan. Finalement, je retrouve plaisir à lire Sernine. Ses deux derniers romans, Chronoreg (surtout) et Manuscrit trouvé dans un secrétaire étaient en-dessous de ses moyens; Sur la scène des siècles montrent un retour à la forme.

Sur la scène des siècles
Daniel Sernine
1995, Ianus
édition originale 1995
136 pages
lu: février 96

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