ATTENTION SPOILERS PARTOUT

mardi 20 avril 2010

Patience et Firlipon - Jacques Benoît

Patience Blondin quitte sa famille pour venir habiter dans la grande ville, chez la logeuse Mme Tremblée. Là, elle fait la rencontre de Firlipon Roger, fonctionnaire à l'appétit sexuel colossal. Elle en tombe amoureuse.

Firlipon Roger est une force de la nature. En fait, c'est le symbole de la Nature tumultueuse, irrépressible, la force du désir brut, l'illustration des forces pélagiques qui habitent et agitent l'homme : il est le feu ardent du sexe, il vole dans les airs, boit comme un trou, se terre et disparaît dans la ville. Les autres logeurs de Mme Tremblée le redoutent : ce sont des âmes soumises, des êtres mous abandonnés, des êtres peureux, qui baissent la tête, plient l'échine, marchent lentement sans faire de bruit.

Patience est désirée par tous les hommes de la pension. Mais elle n'en a que pour Firlipon Roger, elle est séduite par son apparence d'ours, par ses manières pas toujours délicates, elle veut se donner à lui très délibérément parce que, inscrit-elle dans son journal, « il a une grosse verge ». La première nuit, ils font l'amour. Cet acte bouleverse la microsociété de la logeuse Tremblée. À tel point que Firlipon Roger s'enfuit en volant une fusée à un policier et qu'il perd de vues tous ses poursuivants pendant plusieurs jours. Mme Tremblée elle-même se remet très mal de ce coït entre Firlipon et Patience car elle a l'œil sur Firlipon depuis longtemps (comme elle est âgée de près de soixante-dix ans, les chances qu'il vienne tremper son biscuit chez elle sont nulles — mais elle en garde une envie jalouse). Elle subit une crise catatonique qui la met sur le carreau pendant toute l'absence de Firlipon. Les autres logeurs sont si furieux de la perte de leur logeuse et du bouleversement de leurs vies qu'ils veulent faire un mauvais partie à Patience qu'ils prennent pour une vampire. Sur ces entrefaites revient Firlipon qui remet les choses à leur place en intimidant tout le monde jusqu'à la soumission. Firlipon et Patience vivront plus ou moins discrètement leur amour dans leur chambre jusqu'à l'annonce de la célébration de leur mariage.

Ce mariage donne lieu à une belle fête où toute la pension est invitée, et quelques musiciens par-dessus le marché. Ça boit solide. Firlipon ne peut résister à sa libido et il entraîne deux des locataires de Mme Tremblée dans la cuisine où il entreprend de leur faire brutalement l'amour pendant que Patience s'endort sur sa chaise dans le salon.

Firlipon revient prendre Patience dans ses bras et monte avec elle à l'étage. Là, il s'endort dans ses bras. Firlipon fait un rêve : une femme qu'il ne connaît pas, très belle, lui tend les bras en écartant les cuisses. Il lui fait l'amour. Il éjacule et un enfant sort immédiatement du ventre de la femme. Ils refont immédiatement l'amour et un autre enfant sort. Et ainsi de suite. Le roman s'achève sur ce rêve.

Ce roman est curieux. Il y a un épisode sf en plein milieu qui fait presque le tiers du livre. Cet épisode est inattendu et très peu justifiable puisqu'on ne reviendra jamais sur l'aspect futuriste de la société. Cette sf fait très Flash Gordon avec sacs à dos-fusée et très Big Brother avec appareils de communication, etc. Une sf datée qui donne une connotation vieillotte au roman.

C'est un roman des forces vitales. Du désir en tant que perturbation, révolution. Ce n'est pas un amour romantique, c'est la grande attraction physique, la poussée des hormones et tout ce qui s'ensuit.

L'articulation de cette fable est plutôt obscure : les éléments mythiques sont facilement discernables (la grosse verge, la constante poussée libidineuse, la société secrète, réprobatrice et hypocrite, les enfants qui naissent subitement après chaque coït), mais je comprends mal comment tirer un sens supérieur (c-à-d plus grand) de cet amalgame.

Patience et Firlipon
Jacques Benoît
Éditions du Jour, 1970
183 pages
lecture : novembre 92

Jos Carbone - Jacques Benoît

Jos Carbone vit dans une cabane dans le bois avec sa blonde, Myrtie. Ils vivent en reclus et ne fréquentent qu'un couple d'amis, Pique et Germaine qui vivent dans un souterrain près d'une clairière.

Un jour, Myrtie croit remarquer qu'un homme l'observe par une des fenêtres de la cabane. Tous les quatre montent la garde afin de donner la chasse à cet intrus et lui tendre un piège : Myrtie, la belle blonde sert d'appât car on suppose avec justesse que l'homme cherche une femme. Myrtie s'offre donc, tandis que Pique et Jos montent la garde à proximité. L'homme, dont le prénom est Pierrot, en profite pour enlever et séduire Germaine et lui faire l'amour dans une cabane montée sur un radeau — au début, elle est réticente, mais elle cède rapidement devant les manières frustres et la vitalité animale de son ravisseur.

Puis Pierrot s'enfuit, et Germaine, subjuguée, cherche à le rejoindre car la vie avec Pique lui apparaît insatisfaisante. Une longue chasse s'ensuit où tour à tour Pique et Jos blessent Pierrot et se blessent mutuellement. Mais la chasse est futile car Pierrot leur échappe. Quand Pique, qui a sérieusement blessé Jos Carbone d'un coup de fusil à la tête, revient chez lui, c'est pour trouver Germaine et Pierrot vivant dans le souterrain. Les deux amants décident de se débarrasser de ce gêneur, l'attachent et l'enferment dans un coffre de bois. Mais Pique s'est bien défendu et Pierrot est mortellement blessé. Tentant de fuir par le souterrain, Pierrot et Germaine ne vont pas très loin : Pierrot n'arrive seulement pas à en sortir et meurt au bout de son sang. Plus tard dans la nuit, Germaine amène Jos et Myrtie sur les lieux du drame. On met Pierrot au lit, il est mort.

Quelques jours plus tard, Jos et Myrtie reviennent au souterrain. Jos est le seul à descendre. Myrtie ne peut pas soutenir l'odeur, elle choisit d'attendre Jos Carbone.

La nature est omniprésente. C'est le plus grand des personnages du roman, sans elle pas d'histoire. Les personnages ont une relation charnelle et sensuelle avec la nature; quand Jos Carbone se couche contre un arbre, il peut entendre la montée de la sève des racines vers les branches.

Benoît est romancier des forces ardentes. La nature est une puissance primordiale sous laquelle tous les dérèglements et toutes les audaces sont permis. La psychologie ici n'existe pas en tant qu'explications du comportement des individus : Jos Carbone, Pique, Germaine, Myrtie et Pierrot sont l'objet de pulsions plus ou moins frustes : recherche de solitude, satisfaction de la libido, protection du territoire — de sorte que les résultats des actions prises par les personnages déboucheront sur des évènements forts mais hautement prévisibles : viol (encore qu'il vaudrait mieux parler de ravissement puisque Germaine y cède bien volontiers), violences, chasse et meurtre.

Les hommes sont les médiateurs de la violence : ils l'administrent et la subissent. Les femmes agissent comme catalyseurs, elles sont les moteurs qui font bouger les hommes, elles sont les grandes puissances obscures qui font que nous nous agitons, que nous nous abandonnons aux plus extrêmes comportements.

Jos Carbone
Jacques Benoît
Éditions du Jour, 1967
120 pages
lecture : novembre 92

A Scandal in Belgravia - Robert Barnard

Après avoir été poussé hors de l'arène politique, Peter Proctor, un ministre conservateur à la retraite, décide d'écrire ses mémoires. Il a été un politicien mineur, sa vie comme sa carrière ont été plutôt ennuyeuses. Pourtant un épisode lointain et enseveli émerge tout à coup. Au début des années cinquante, il a été l'ami et le collègue au Foreign Office de Tim Wycliffe, un fils de bonne famille, éduqué à Eton et Harvard, homosexuel avoué, un garçon tout à fait séduisant et charmant. Lui et Proctor ont noué une amitié qui a duré quelques années jusqu'à ce que Proctor quitte le F.O. pour l'entreprise privée. Un peu plus tard, Tim Wycliffe devait être assassiné chez lui, crime passionnel pour lequel le meurtrier a fui le pays. L'épisode s'impose à Proctor (on comprendra sa motivation à la fin du roman) : à trente ans de distance, il entreprend une enquête personnelle.

Les gens qui ont côtoyé Tim Wycliffe ont gardé de lui un souvenir impérissable. L'enquête s'en trouve facilitée, on se rappelle parfaitement bien le garçon. Son assassinat a fait peu de bruit à l'époque, pourtant la presse aurait dû s'en réjouir, après tout, immédiatement après la défection de Guy Burgess (célèbre affaire anglaise), les homosexuels sont devenus des facteurs de risque au F.O. Et comme Tim Wycliffe était le fils d'un ministre du gouvernement en place, on imagine le double objet de scandale. Mais Tim a été assassiné durant la crise de Suez, un moment déterminant dans l'histoire contemporaine britannique, de sorte que l'événement est passé inaperçu.

Proctor remonte la filière et découvre que le présumé assassin vit toujours mais à San Diego. Il le rencontre et est convaincu de son innocence. C'était un ami de Wycliffe, un hétéro qui, un jour, a flanqué une raclée à Tim parce qu'il lui faisait des avances. C'est sur la base de cette animosité que l'accusation a bâti l'argument de sa preuve.

Proctor revient en Angleterre. Il enquête dans la famille de Wycliffe. Sa sœur adorait son frère, elle est innocente; son frère aîné est un homme plus secret, dominé par sa femme, et Proctor le juge peu capable d'un acte pareil. La filière familiale culmine avec une rencontre avec le vieux John Wycliffe, le père, le ministre conservateur retraité lui aussi. Une rencontre étonnante où Proctor extirpe la vérité du vieillard. C'est lui l'assassin. Son propre fils ! Mais voilà, les frasques homosexuelles de son fils nuisaient à sa carrière, d'autant plus que Tim avait surpris des secrets sur les relations plus qu'amicales unissant son père à l'ancien régime nazi qui aurait sans doute torpillé la carrière du paternel. Le père, dont la carrière commençait à plafonner, en était venu à en rejeter la faute sur son fils. A la première occasion, et profitant de ce que l'attention était centrée sur Suez, il l'a assassiné de ses propres mains. Le vieillard rit à la face de Proctor car maintenant on ne peut rien faire contre lui. Il a parlé à Proctor, mais il ne dira plus rien. La vérité sera tue à jamais. Plutôt que ses mémoires qui ennuieront tout le monde, Proctor décide d'écrire un livre sur le meurtre de son ami disparu.

Portrait attentif d'une société à un point critique de son développement (Suez, puis le mouvement gai), Barnard rapporte avec minutie la trame anecdotique du roman, saupoudrant la narration de commentaires historiques. Si le bouleversement de la vieille société est décrit, par contre rien n'est fait pour que le lecteur le ressente et le vive. D'où cette impression d'avoir visité un roman, comme on visite un musée, sans jamais être touché par les personnages.

Mais le roman se termine sur une entourloupette magistrale à la toute dernière phrase, une révélation mineure pour l'économie du roman mais tellement étonnante, que je n'ai pu m'empêcher d'admirer le brio de l'écrivain de n'avoir jamais, tout du long, révéler l'homosexualité de Peter Proctor même si le texte est semé d'indices qu'une lecture a posteriori met en lumière. Les faits n'ont pas été assimilés par le lecteur mais acceptés subrepticement comme plausibles par son inconscient; de sorte que la révélation finale soulève une sorte de jubilation libératrice — libère le lecteur d'une tension qui ne trouvait pas sa catharsis. D'où l'impression de partager un secret avec le personnage... et ce moment-là, ce précieux moment-là, c'est de la littérature, de la mémorable.

A Scandal in Belgravia
Robert Barnard
Dell, 1991
232 pages
lu: septembre 95

Death of a salesperson - Robert Barnard

Seize nouvelles policières dans ce recueil. Les quelques premières sont si conventionnelles qu'on peut les trouver ennuyeuses un peu. Ce sont des histoires à chute, souvent ingénieuses mais leur traitement est couci-couça, très ordinaire.

Ça décolle sérieusement avec une nouvelle qui s'appelle Blown Up et qui raconte le voyage gastronomique de deux obèses à travers l'Angleterre. Il s'agit du fils et de la mère qui viennent d'assassiner le père par abus de nourriture. C'est très amusant, Barnard fait preuve de tous ses moyens. Suivent alors une série d'excellentes nouvelles : A Process of Rehabilitation, une vieille dame paranoïaque reçoit chez elle un jeune homme qui fait des travaux utilitaires par mesure de réhabilitation. Finalement, c'est elle qui va assassiner le jeune homme. Réplique du policier à la fin de l'histoire : maintenant il va falloir en plus enquêter sur les bénéficiaires des travaux communautaires... The Oxford Way of Death est un pur joyau. Dans un tout petit collège associé à Oxford, un des professeurs titulaires vient de mourir et il faut le remplacer. Les autres professeurs titulaires sont de très vieux messieurs (si vieux qu'ils éclatent de rire en lisant les noms des membres du Politburo chinois), tout encroûtés dans des traditions auxquels ils s'accrochent : or, celui qui vient de mourir détenait la chaire de Langue persane et la seule personne en Angleterre qui peut lui succéder est une jeune et jolie Noire aux allures très modernes (on la voit danser les seins nus sur une photo). C'est la catastrophe au Collège. Comment empêcher cette intrusion de la vie moderne dans le cénacle ? Des factions s'opposent, il y aura un meurtre et la tradition du Collège sera finalement sauvegardée. C'est tout à fait extraordinaire de drôlerie et de cynisme.

Cette nouvelle est suivie par Daylight Robbery. Une intrigue simple et légère mais une description hilarante d'un couple de châtelains anglais qui ont transformé leur château en attraction touristique même si leur château est absolument nul et ne contient aucun objet de valeur, juste les ustensiles de tante Rita.

Happy Release, c'est l'histoire du comptable Albert qui quitte sa femme au profit de sa jeune maîtresse avec le magot de la compagnie. Il laisse un pâté empoisonné à sa femme, celle-ci lui fabrique des sandwichs tout aussi empoisonnés et sa maîtresse le tuera avant de manger les sandwichs. C'est triste, c'est noir et on rigole bien.

Dans l'ensemble, il s'agit d'un très bon recueil de nouvelles même s'il démarre lentement. La première demie est conventionnelle et, à vrai dire, un peu plate. Mais la seconde demie est absolument formidable, Barnard y est en très grande forme.

Death of a Salesperson : and Other Untimely Exits
Robert Barnard
Dell, 1991
200 pages

dimanche 11 avril 2010

Du sommet d'un arbre - Yves Beauchemin

Le livre se compose de quatre œuvres radiophoniques écrites et créées entre 74 et 85. Les deux premières sont des récits, l'une de l'enfance de l'auteur à Clova en Abitibi, l'autre sur son amour de la ville et de Montréal en particulier; tandis que les deux dernières sont des journaux expressément tenus pour la radio, car Beauchemin professe n'en tenir aucun, trouvant la vie intransposable.

Le premier texte raconte donc des souvenirs de l'enfance de l'auteur dans le minuscule village de Clova, un village forestier appartenant à une grande firme américaine. Son père s'étant fait offrir une place avec une augmentation de salaire considérable, la famille Beauchemin part s'y installer. Yves a cinq ans. Clova, avec ses 30 familles et ses 2500 bûcherons, c’est avant tout les grands espaces, les feux de forêt qui éclatent en quelques secondes et menacent jusqu'à l'existence même du village, les bûcherons ivrognes, teigneux, dangereux, mais c'est aussi une liberté incroyable et un sens de la communauté propre aux petits groupements humains éloignés. Les Beauchemin y vivront cinq ans. L'auteur, qui en garde un souvenir présent et chaleureux, parvient à faire partager son émotion.

Le deuxième texte porte sur la ville, l'amour que Beauchemin lui voue. C'est un texte étrange, très court et insatisfaisant, qui mêle à ses souvenirs de jeunesse (l'arrivée à Montréal), des notes poético-sociologiques laissant sournoisement fuser de petites lances xénophobiques de l'auteur à l'égard de tout ce qui n'est pas francophone...

Quant à eux, les journaux souffrent tous les deux du même défaut. Comme Beauchemin refuse de s'y livrer en profondeur (ce genre d'exercice lui cause malaise), alors le journal louvoie dans l'insignifiant, dans la confidence retenue, dans le superficiel (ah! les réparations de sous-sol), ce qui — en somme — revient à causer pour ne rien dire.

On n'y sent une émotion qu'à de rares exceptions, par exemple, quand il doit expliquer à son jeune fils que son poisson mort ne reviendra pas — cela, presque à l'insu de l'auteur. Car quand Beauchemin cherche à générer une émotion véritable (son amour pour la musique classique), le texte demeure curieusement sec, pareil à une pâte sans levain.

Un dernier reproche. Soyons à notre tour sociologique. Beauchemin symbolise bien les valeurs peureuses et frileuses du discours nationaliste québécois des années 70 (qui sévit encore). Pensons ici à trois jérémiades qu'il nous assène constamment : i) la pauvre ville de Montréal saccagée par des promoteurs sans foi ni loi, ii) le pauvre Québécois exploité sans vergogne par les politiciens véreux d'Ottawa, iii) la pauvre langue française saccagée et charcutée par les maudits Anglais et leurs sbires allophones. Beau discours d'où il ressort que notre destin dépend toujours des autres, que notre responsabilité individuelle n'existe pas... Discours xénophobe, irréaliste, irresponsable, en un mot : enfantin.

Mais le livre reste tout de même d’une lecture facile en raison du style efficace et compétent de Beauchemin.

Du sommet d'un arbre
Yves Beauchemin
Québec/Amérique,1986
139 pages
lu: mars 96

Le second violon - Yves Beauchemin

Nicolas Rivard, chroniqueur aux affaires municipales dans un grand quotidien montréalais, jette un regard désabusé sur sa vie : sa vie professionnelle végète — en tous cas, il en est insatisfait, sa vie familiale est la vie familiale typique d'un homme de quarante-cinq ans, marié, père de trois enfants dont un adolescent. Il a l'impression de faire du surplace, d'être devenu une espèce de nullité institutionnelle. Un jour qu'il prend le métro, il fait la rencontre de la plus belle jeune fille imaginable, ça le sidère, d'autant plus que cette découverte se fait au moment où son meilleur ami — et écrivain — meurt après une longue lutte contre le cancer. Rivard prend le taureau par les cornes et accoste la belle fille. Elle accepte d'aller dîner avec lui. Elle se surnomme Moineau. Rivard en tombe

éperdument amoureux et commence à coucher avec elle, assouvissant un désir longtemps réfréné. L'oncle de Nicolas lui offre de venir travailler dans l'immobilier. Rivard, qui se cherche un peu, accepte et prend un congé sabbatique du journal. Au même moment, il lève une affaire qui risque d'avoir des conséquences considérables : le ministre Robichaud s'est sali les mains dans une affaire de corruption industrielle. Malgré son congé, Rivard continue de mener cette enquête avec l'aide de son grand ami Robert Lupien, journaliste comme lui.

La femme de Rivard apprend la liaison avec la fille et décide de demander le divorce. Elle le sacre dehors et Rivard doit refaire sa vie. Moineau l'abandonne pour un clochard après le suicide de son ex-petit ami. Rivard est de plus en plus seul. Il attrape la grippe, côté immobilier sa cote baisse auprès de son oncle car il est de moins en moins performant : la faillite de son mariage, l'abandon de sa jeune maîtresse et l'enquête lui tarabustent les nerfs.

Croyant avoir coincé le ministre, il court l'interviewer. Rivard se fait manœuvrer très habilement par Robichaud ainsi que par le premier ministre du Québec (le lecteur savourera le portrait acidulé que l’auteur fait de Robert Bourassa). Au bout du compte, l'enquête foire à demi. Un article paraît mais pas avant que les principaux intéressés n'aient réussi à désamorcer la balloune.

Mais Rivard a fait le tour du jardin. Sa réflexion est complète, il entend demeurer journaliste (mais en changeant de journal) et il entreprend, tout à fait désespéré, de reconquérir sa femme à l'occasion d'un voyage aux îles de la Madeleine arrangé pour le premier anniversaire de la mort de son ami Durivage.

Le roman se termine sur une promesse de temps meilleurs entre Rivard et sa femme, alors que le pays entre dans l'été.

La première impression qui se dégage de ce roman c'est sa longueur assez invraisemblable. Voilà un livre qui aurait gagné à être aminci d’une centaine de pages au bas mot. Le style de Beauchemin est très agréable à lire, mais on sent qu'il tire à la ligne. Ça se remarque par la redondance légère de certaines scènes, la longueur parfois traînante du quotidien, par cette impression que l'auteur, par moments, ne sait plus trop où il va ni comment faire avancer son intrigue et qu'il procède par une espèce de remplissage mou et alangui de choses quotidiennes.

Une seconde impression, c'est que le lecteur se fait flouer au bout du compte. Que raconte le roman ? Un gars a une aventure et tente de débusquer une grosse affaire politique. Son aventure lui pète à la gueule assez rapidement (au mitan de l’œuvre) et l'affaire de corruption n'a certainement pas l'impact qu'elle eût pu — finissant elle aussi en pétard mouillé. Le personnage principal boucle donc une espèce de circuit en rond, assorti d'une morale tristounette : il abandonne femme et travail avant de se rendre compte qu'il était plus confortable avec l'une et avec l'autre, auxquelles il revient en s'humiliant pour en être accepté de nouveau. Drôle de moralité dans laquelle le changement n'a pas de place, où ce qui compte c'est la pérennité du confort. Troisième impression : les dialogues sont par moments explicatifs et didactiques, redondants par rapport à l'action; en plus d'être curieusement déchirés par des ruptures de tons inacceptables de la part d'un romancier d'expérience. Et aussi, quelle idée de mettre des jurons comme « trou de lunettes » dans la bouche d'hommes mûrs exprimant leur colère. J'y vois l'influence maléfique du roman jeunesse, cet énorme corrupteur des romanciers d'ici.

Malgré cela ces considérations somme toute mineures, le roman est une lecture très agréable, mais qui laissera peu de traces tant évanescents en sont les ingrédients.

Le Second Violon
Yves Beauchemin
Québec/Amérique, 1996
556 pages
lu: avril 96

Antoine et Alfred - Yves Beauchemin

Un jour, Antoine Brisson fait la connaissance d'Alfred, un rat qui parle. Antoine est d'abord révulsé. C'est un rat. Mais très vite il est captivé et subjugué par ce rongeur aux humeurs à fleur de peau. Il le cache dans sa chambre. Quelle commotion ce serait si sa famille apprenait qu'elle héberge maintenant un rat dans ses murs.

Bien sûr, une nouvelle comme ça ne peut manquer de s'ébruiter. Le comportement d'Antoine devient suspect aux yeux de sa mère et de son père : on l'entend parler seul, il monte de la nourriture dans sa chambre, etc. Puis le chat sort du sac (façon de parler puisqu'il s'agit d'un rat) : effectivement tout le monde est choqué. Mais Alfred séduit chacun et chacune et l'unanimité se fait quand la toute petite fille de la famille, Agnès, deux ans, s'amourache du rongeur. On décide donc de garder le rat à condition qu'il passe d'abord entre les mains d'un vétérinaire et qu'ensuite il promette de se soumettre à l'hygiène de fer de la famille.

Antoine décide ensuite de présenter Alfred à ses deux meilleurs amis, Michel et Robert. Même scénario : réticence d'abord puis acceptation enthousiaste. L'irrésistible Alfred s'impose comme le chef de leur petite bande. Ensemble, ils visitent la ville, grimpent aux arbres, Alfred dans la poche du coupe-vent d'Antoine. Alors qu'ils font le tour de l'hôtel de ville et du bureau du maire, Alfred se fait coincé loin de la coupe protectrice de son ami. Antoine, Michel et Robert décide d'un plan pour récupérer Alfred, toujours coincé à l'intérieur. Plusieurs jours passent avant que les amis décident de faire un tour dans les égouts de la ville à proximité. Après quelques péripéties, ils retrouvent Alfred sanguinolent, les pattes brisées, à demi-mort. Vite, ils le ramènent à la maison. On se précipite chez le vétérinaire (qui n'en revient évidemment pas qu'on s'acharne à sauvegarder un rat à gros prix) qui sauve Alfred après un gros combat médical ponctué de trois opérations. Alfred fait le serment de rembourser à M. Brisson les frais médicaux; déjà une idée mijote dans le crâne d'Antoine...

L'intention derrière ce roman est tout à fait louable. Beauchemin l'a écrit pour un jeune leucémique à l'hôpital. C'est pourquoi le mouvement révulsion-acceptation est si important. Le rat, porteur de toutes les maladies et objet de révulsion, est finalement un chic type, un être d'exception — et on peut imaginer l'impact de ce message sur un jeune garçon souffrant.

Mais nonobstant l'intention, la lecture du roman ne satisfait pas. D'abord il y a absence d’intrigue. C'est un récit. Le garçon trouve un animal, le perd et le retrouve. Ce n'est pas une intrigue, ça, c'est à peine une trame de base. À partir de là, Beauchemin raconte trois fois la même anecdote basée sur le tandem révulsion-acceptation : Antoine d'abord, la famille ensuite, les amis enfin. Puis c'est la perte d'Alfred que tout le monde aime, les retrouvailles et le déchirement du séjour à l'hôpital (encore que cette partie soit assez occultée). La course à Alfred, sous la mairie, est longuette, redondante et sent le petit air de flûte d'un auteur qui ne sait pas vraiment où il s'en va.

Bref, Antoine et Alfred ne se démarque pas de la littérature jeunesse québécoise, il en même la parfaite illustration. Écrit sans ligne directrice et sans le souci de raconter une bonne histoire, le roman étire sa série de clichés, de rebondissements prévisibles et de lieux communs.

Antoine et Alfred
Yves Beauchemin
Québec/Amérique, 1992
149 pages
lu: novembre 95

Hibernatus - Jean Bernard-Luc

Hubert de Tartas est un industriel qui a marié la fortune en la personne de sa femme Edmée. Ce sont des bourgeois paisibles, aimablement intéressés par la science et le progrès, vivant dans le Vésinet sur une grande propriété terrienne. Un jour, à la télé, on annonce que l'on vient de retrouver dans une banquise le corps congelé d'un homme. La science se met en marche et entreprend de le décongeler. Qui est cet homme ? Voilà qui alimente la conversation chez les de Tartas. Hubert est lui-même convoqué chez le ministre : l'hiberné est le grand-père de sa femme ! Hubert est abasourdi, ça remet en question la fortune qui semblait entre les mains de sa femme. Pour ne pas déboussoler l'hiberné, on décide de lui créer une zone temporelle tampon afin d'étudier ses réactions. La propriété des de Tartas se prête bien à cette reconstitution d'autant plus que l'hiberné sera en terrain de connaissance et en famille : sa petite-fille Edmée ne ressemble-t-elle pas comme une goutte d'eau à son arrière-grand-mère, mère de l'hiberné, et même Hubert n'a-t-il pas une ressemblance hallucinante avec le père de l'hiberné. La scène est mise, mais ô douleur ! l'hiberné chauffe les oreilles d'Hubert et le jette à la porte avec menace — c'est que l'ancêtre avait été un père indigne, profiteur, peu chrétien. Hubert de Tantas doit emprunter une nouvelle identité afin de demeurer à la résidence, il devient donc le soupirant d'Edmée.

À partir de là, les choses iront mieux. Hubert fera la cour à Edmée sous le regard protecteur de l'hiberné. On devra protéger l'hiberné, et même le kidnapper quand la science voudra reprendre son sujet d'expérience. Hubert de Tartas jouera le tout pour le tout, au risque de la santé mentale de son aïeul, en le précipitant dans le monde moderne. Hubert gagne son pari et l'hiberné, qui aura enfin droit à la vérité, pourra rester dans sa famille.

La première réflexion qui me vient, c'est que ce roman été écrit d'après le scénario du film éponyme. Car c'est un véhicule littéraire parfait pour Louis de Funès : les dialogues sont construits pour lui, les colères et les emportements sont les siens. On le voit, on ne peut voir que lui. Pourtant il y a des minuscules divergences entre le film et le roman — était-ce pour justifier l'existence du roman, lui créer un public qui autrement n'aurait pas cherché à le lire, étant rassasié du film ?

L'écriture est un peu faible, en tous cas précieuse, guindée et un rien moralisante. Très vieille France. Pourtant j'ai aimé, à cause du film que ça me rappelait, de ce souvenir heureux de de Funès. Un film assez faible, avouons-le, mais un excellent numéro d'acteur.

Hibernatus
Jean Bernard-Luc
Pierre Horay, 1969
188 pages
lecture : septembre 94

mardi 6 avril 2010

The secret ascension, or Philip K. Dick is dead, alas - Michael Bishop

Aaaah! quel énorme plaisir j'ai pris à ce roman. Par moments, je me prenais à penser : quel formidable écrivain que ce PKD! C'est dire à quel point Bishop a su s'effacer et mettre en marche une formidable machine dickienne. Plus dickien que ça, tu meurs d'extase! Tout y est : l'attention aux petits métiers (le héros est vendeur dans un pet shop), la présence des animaux (qui parlent tout naturellement ! — chevaux, chiens, boas, ours de Brejnev), l'étouffement paranoïaque des personnages pris dans un climat politique prégnant et claustrophobique... Sans compter les ruptures de la réalité qui viennent tout naturellement elles aussi et qui renforcent le climat de paranoïa dont souffrent les personnages. L'œuvre de Dick, à ce niveau, relève-elle plus du fantastique que de la sf ? Les ruptures de réalité sont causés par des forces démiurges ou encore par l'absorption de drogues qui permettent l'interaction des réalités, mais, au moins pour un temps, dans les romans dickiens, la relation d'un personnage à la réalité altérée est toujours donnée comme étrange, impossible, relevant de la pathologie mentale jusqu'à ce que la réalité se révèle plus riche et complexe que prévue. La réalité selon Dick est une expérience devant laquelle la compréhension de l'homme doit se faire humble et ouverte — d'où une relation vers le divin de plus en plus marqué avec les derniers romans de l'auteur.

The Secret Ascension commence avec l'infarctus dont meurt Philip K. Dick. On n'a pas lu une page que PKD est mort. Mais son esprit reste encore un peu sur Terre afin d'altérer le monde. En effet, les USA sont devenus une république impériale dirigée par le Roi Richard, Richard Nixon. Une république nixonienne et maccarthyste, dictant à l'extérieur ses volontés à une URSS sur les genoux, imposant un Nouvel Ordre Mondial, et ne tolérant, à l'intérieur, aucun discours anticonformiste, aucune dissension. Les contrevenants disparaissent la nuit et les mouvements des individus sont sévèrement contrôlés. En somme, Bishop a créé une république stalinienne en plein cœur de l'Amérique.

PKD apparaît à un employé de pet shop et à sa femme pour leur annoncer qu'ils seront le fer de lance des altérations de réalité qui s'en viennent et qui visent à faire de leur univers un univers plus serein, où, par exemple, Nixon n'est plus l'épitomé du mal. Pour cela, il faut combattre le monstre par la force de la volonté du rêve (par la puissance du désir — un dickisme notoire). Mais en fait Calvin Pickford subira plus les assauts des force du changement qu'il n'influera directement sur la logique des évènements; Calvin est un peu le catalyseur immobile de cet histoire. Encore là, Pickford est un héros dickien, un catalyseur qui voit les choses arriver, qui voit les changements sans les influer volontairement.

Le fantôme de Dick créera une assemblée de disciples qui enlèveront Nixon et l'exorciseront. Cette scène est un monument de drôlerie. Les forces du bien et du changement triompheront, Nixon sera exorcisé et l'univers transformé. Mais le nouvel univers n'est pas l'univers que nous connaissons; le roman se termine sur un certain Philip Kyle Dick qui, en temps qu'écrivain, s'apprête à écrire un roman qui va altérer la réalité.

Bishop a produit une jubilante machine dickienne. Qu'il en soit remercié.

The Secret Ascension -- or Philip K. Dick is Dead, Alas
Michael Bishop
Tor, 1983
341 pages lecture : décembre 92

13, rue de Buci - Charlotte Boisjoli

Me Bertrand Vitelli est retrouvé égorgé dans son appartement parisien. Le commissaire Leroy enquête. Léontine, la bonne de la maison, tente de défendre le jeune fils d'une huitaine d'années des accusations qui pourraient peser contre lui. En remontant la filière familiale, Leroy découvre un nid de couleuvres assez standard : Victor, le fils de Me Vitelli et de sa femme a été couvé par la bonne qui l'aime comme son propre fils. Madame meurt (ou disparaît, ce n'est pas clair) et elle revient hanter son mari, son fils et la bonne. Pour faire taire la « mouche » qui le harcèle, Victor assassine son père. Leroy convainc la bonne de laisser accuser quand même le fils qu'elle retrouvera tout aussitôt car la justice ne mettra pas en prison un si jeune garçon.

Une intrigue standard mise en opération de manière assez standard. Un truc qu'on oublie aussitôt après l'avoir lu car les faiblesses de l'auteure emportent le morceau. D'abord le roman a un petit côté complètement fabriqué, les parlures des personnages sont maniérées, argotiques et ridicules. Cet effort de caractérisation se solde par un échec.

Il y a aussi des échecs dans l'étude des comportements : par exemple, le commissaire Leroy renvoie un témoin extrêmement important au début du roman parce que celui-ci l'enquiquine. D'ailleurs ce personnage qui a tout vu ne revient pas; le lecteur se demande bien pourquoi.

L'action se dilue, elle va de scène en scène, sans être articulée correctement. Les liaisons s'emboîtent mal.

Au bout du compte, un roman minuscule mais ennuyeux, difficile à comprendre, où la tentative d'insérer un élément fantastique se solde encore par... un échec, puisque la conclusion est bêtement psychologique.

13, rue de Buci
Charlotte Boisjoli 
XYZ, 1989
78 pages
avec glossaire et des illustrations
lecture : avril 94

Le chant des Hayats - Alain Bergeron

Sur Anubis-7, la mission de terraformation planétaire vient de trébucher sur une découverte qui risque de contrecarrer sérieusement les plans d'exploitation minière de la compagnie Syridar qui l'emploie. Contre toute attente, la planète semble abriter une vie intelligente, celle des Hayats. Le contremaître général de l'exploitation, Hogur Kirmani, essaie d'étouffer l'affaire, il veille aux intérêts de la compagnie qui vient d'investir des milliards dans ce projet de terraformation. On ne va quand même pas laisser une toute petite race à l'intelligence suspecte empêcher le progrès. Deux personnes s'opposent à lui, le planétologue Ian Colin en charge du projet de terraformation et la biologiste Lysia Wen, tous deux convaincus de l'intelligence des Hayats en dépit du peu d'évidences. Ian Colin fait venir sur Anubis-7 son fils David, qui est télépathe, pour entrer en communication avec les Hayats et déterminer leur degré d'intelligence. Mis au fait de ce plan, Hogur Kirmani réagit avec célérité et violence. Il fait emprisonner Lysia Wen, Ian et David pour des vétilles. David parvient à s'échapper en compagnie de son fidèle robot Golem et d'une Hayat, Ey-Hini. Tous trois mettent le cap vers la colonie des Hayats tandis que Kirmani accélère la mise à feu des charges thermonucléaires qui amorceront irrévocablement la terraformation et détruiront les habitats naturels d'Anubis-7.

David rejoint la colonie des Hayats qui a entrepris un grand chant pour éveiller les esprits ancestraux. Des véhicules automatisés attaquent la colonie sur ordre de Kirmani. C'est un carnage. Pourtant le chant prend de l'ampleur, et de l'océan surgit un haute tour mécanique qui annihile les véhicules d'extermination. Les Hayats sont sauvés. Toujours en contact avec eux, David les prévient de l'explosion imminente des charges thermonucléaires. Les Hayats dirigent leur chant vers celle-ci ainsi que vers Hogur Kirmani. Ce chant produit un son qui détruit la fibre moléculaire des objets. Les charges sont ainsi désamorcées et Kirmani est très littéralement pulvérisé.

La planète sera retournée aux Hayats. Un discours volontairement ambigu (« On part mais on reviendra peut-être ») de l'inspecteur général de la compagnie Syridar marque le départ de ses effectifs et l'abandon du projet.

Bergeron écrit rondement. Les personnages qu'il met en scène sont stéréotypés (mais nous sommes dans la littérature jeunesse, et il vaut mieux un stéréotype efficace qu'une création originale sans saveur : ici, les bons sont bons et le méchant est vraiment méchant, Hogur Kirmani est une ordure majeure que rien ne repousse) et l'action relativement prévisible mais c'est mené gaillardement, sans fléchissement, avec même de jolies pointes stylistiques — histoire de nous prouver que, en tant qu’écrivain, Bergeron est un as et que nous sommes des tâcherons. Il n'y a pas que de l'action, mais les passages plus « songés » sur l'histoire et la psychologie des Hayats sont intégrés avec efficacité au récit de sorte que le lecteur ne s'ennuie pas une seconde quand bien même ce n'est pas la plus grande des histoires.


Le Chant des Hayats
Alain Bergeron
Paulines, 1992
155 pages
lu: novembre 95

lundi 5 avril 2010

Secret show - Clive Barker

Randolph Jaffe, un modeste employé des postes, a découvert un terrible secret : celui de l'Art et du Banc, c'est-à-dire la réalité derrière le monde. Cette connaissance le met sur la touche et il devient un homme traqué : il tue son contremaitre, fuit son travail et se dirige spontanément vers la Californie. Là, il rencontre le Dr Fletcher et, ensemble, ils mettent au point le Nonce, une potion organique qui permet à ceux qui entrent en contact avec elle de passer à l'étape suivante de l'évolution humaine. Jaffe et Fletcher en font l'expérience : ils deviennent les frères ennemis, les Castor et Pollux du manichéisme de la pensée humaine. Jaffe devient Le Jaffe, l'incarnation du mal absolu; Fletcher, celle de la lumière...

Commence un combat, le combat éternel des ténèbres contre la connaissance. Les deux protagonistes fécondent de concert quatre jeunes filles. Leurs destins sont maintenant inextricablement liés. Trois enfants naîtront de cette multiple fécondation : les jumeaux Tommy-Ray et Jo-Beth, et Howard. Ce sont eux qui reprendront le flambeau des mains vacillantes de leurs pères métaphysiques. Le combat du bien et du mal se déroule à Palomo Grove, une banlieue californienne anonyme. La terre s'y ouvrira. Les terratas (créatures imaginaires du Jaffe et de Tommy-Ray) contre les hallucigenas (les créatures de Fletcher, Jo-Beth, Howard et Raul — comme quoi il est vrai que le mal se combat à plusieurs) se mèneront une lutte effrénée à laquelle se joindront, en apparitions sanglantes, les artistes du cinéma et de la télévision. Tommy-Ray échappe de plus en plus à l'emprise de son père. Le Jaffe s'interroge, son entreprise du mal lui échappe, d'autant plus que de vraies créatures des ténèbres, les Iod-Ouraboros, arrivent dans l'univers concret des humains. L'affrontement contre le Jaffe fait place à l'affrontement contre non plus le mal, mais l'altérité. Vite, vite, Jo-Beth, Howard et Tesla (qui a été inoculé par le Nonce) referment la brèche que les Iod-Ouraboros avaient réussie à ouvrir dans notre univers. La victoire est acquise au prix de pertes assez lourdes. Mais ce n'était qu'une bataille, puisque les Iod-Ouraboros veulent franchir le seuil qui les sépare de nous et que déjà ils se préparent à une nouvelle attaque.

Ouf. Pis j'en oublie le quart plus la moitié. Ce roman est d'un ennui difficile à imaginer. Il y a plusieurs romans dans ce fatras. Le premier qui raconte la découverte de l'Art par un Jaffe timide, exploité, est certes le meilleur. C'est immédiatement après que ça se gâte. On y trouve de tout : un véritable salmigondis des recettes littéraires de l'horreur. Problème, le fourre-tout ne lève pas. Ce qui aurait pu être baroque et décadent est complètement insignifiant et grotesque, ça vase, ça foire et ça emmerde. On ne peut pas reprocher à un auteur de voir grand ni d'assembler en guise d'architecture un lot d'éléments en apparence hétéroclites : on ne peut que constater l'échec auquel il aboutit.

J'avais beaucoup aimé le seul des Book of Blood que j'ai lu à cause justement du mélange du baroque et de l'imagination terrorisante de Barker.

Dans ce cas-ci, je baisse mon pouce néronien pour que s'abatte le couperet.


Secret show
Clive Barker
Pocket, 1993 (éd. or. 1989)
The Great and Secret Show
757 pages
lu: septembre 94
Ce recueil de l'ensemble de la production de nouvelles de Barcelo est divisé en quatre parties chronologiques. La première partie se compose des textes les plus anciens, écrits quand l'auteur avait vingt ans, et s'intitule Nouvelles anciennes (1960-1962). Les six textes qui la composent (Le Comédien, Nathalie, Cretons bouillants, Sans térébenthine, Le Cimetière des morues, La Poule, Au fond de ses yeux) montrent l'inexpérience de l'auteur. Qui plus est ce sont des nouvelles noires, introspectives, psychologiques, et finalement on n'en retient rien.

La deuxième partie, Nouvelles étranges (1981-1983), est composée de Écrivains XXIII, Les semeurs de robots, Une Histoire de marde pour en finir avec les histoires de merde, L'Homme qui faisait arrêter les trains. Ce sont des nouvelles de sf. Écrivains XXIII : des écrivains croient encore écrire de leur propre gré alors qu'ils sont les jouets d'ordinateurs chargés d'entretenir leur ego. Les Semeurs de robots : la plus faible nouvelle de ce lot, le retour à la Terre de deux jeunes hippies qui rêvent de faire leur vie à cultiver des robots. C'est platement écrit, avec un faux bucolisme qui ne passe pas. Une Histoire de marde... : alors là, chapeau, faut le faire. Un vaisseau spatial piloté par un Français et un Québécois est en orbite autour d'une planète constituée d'excréments humains. Ils atterrissent. Le Québécois encule son collègue et ils périssent tous deux quand leur astronef s'enlise et est incapable de décoller. L'enjouement juvénile à parler de marde et la description des relations très colons entre le Français et le Québécois font de cette nouvelle un sommet de scatologie amusante. L'Homme qui faisait arrêter les trains : un homme insignifiant a le pouvoir d'arrêter les trains. En voulant impressionner une jeune femme avec ce pouvoir étrange et bizarre, il reçoit du cheminot de la locomotive un coup de poing sur le nez qui le catapulte dans la rivière gelée. La glace cède sous son poids et il périt noyé. Une histoire absurde, mais le cynisme de Barcelo s'y déploie gracieusement. L'homme ne peut rien contre le Destin, tous ses efforts ne servent à rien pour l’empêcher de se déployer.

La troisième partie s'intitule Nouvelles noires (1984-1990) et comprend quatre textes Tous des imbéciles, Le Bon numéro, La Salope, Le Héros de Bougainville. Tous des imbéciles : un étrange virus attaque les gens les plus intelligents. Ça meurt, ça meurt, mais pas le héros qui est pourtant professeur d'université. Au début, il en est rassuré, mais au fur et à mesure que le virus attaque des gens un peu moins brillants que les précédents, et qu'il échappe toujours à la mort, le voilà qui s'inquiète. Son attitude oscille entre la joie de survivre et l'orgueil d'être moins intelligent que la moyenne. Le ton sarcastique léger de Barcelo fait merveille et la chute est très réussi quand le professeur fait semblant d'être atteint par le virus en se disant que sa comédie va réussir car ceux qui restent ne verront pas le subterfuge, après tout, ce sont tous des imbéciles maintenant... Le Bon numéro est un petit truc sans importance, une histoire de numéro de téléphone. Banal. La Salope : une vieille femme se voit ordonner de se suicider par des fonctionnaires du Ministère des affaires sociales car un suicide le vendredi treize par une ex grande star de cinéma fera monter les suicides de jeunes et de dépendants par imitation, ce qui permettrait au Ministère de réduire ses dépenses. La vieille accepte, mais elle se suicide le samedi quatorze, ce qui fout par terre le plan des fonctionnaires. Grinçant. Le Héros de Bougainville, c'est l'histoire d'un homme qui veut séduire une jeune physiothérapeute en montant une mise en scène complexe dont il sortira le héros. Malheureusement pour lui, ça échoue dramatiquement, et le bonhomme se retrouve tétraplégique végétatif dans les bras littéralement de la jeune femme qui lui prodigue sa physio. Encore là, grinçant, un peu méchant et épais même. Une excellente histoire.

Les cinq histoires qui ferment l'ouvrage sont les Nouvelles fraîches (1991), des textes inédits qui sont plutôt des souvenirs de voyage (Népal et Inde) que de véritables nouvelles. Elles illustrent quand même la nouvelle manière de Barcelo le romancier qui, de plus en plus, incorpore à ses romans ses souvenirs de voyage. Mais ici, à part la qualité de l'observation, il n'y a rien pour soutenir l'intérêt.

Longues histoires courtes
François Barcelo
Libre Expression,1992
195 pages
lu 1992

Je vous ai vue, Marie - François Barcelo

Fumant sa pipe et regardant le fleuve qui coule à Notre-Dame des Roses, Agaric Meunier voit un jour la statue de la Sainte Vierge relever sa robe et lui montrer son postérieur. Surpris, Meunier se tait, craignant de passer pour un vieux fou. Quelques jours plus tard, même manège, même miracle. Cette fois, Agaric décide de s'adjoindre un témoin et demande à Floralie Lahaise de lui tenir compagnie sur le banc désert en échange de quelques dollars. Contre la promesse qu'il ne la touchera pas et qu'elle ne devra pas le toucher, Floralie veille sur la statue de la Sainte Vierge. Elle aussi assiste au miracle. Floralie voit la Vierge montrer son cul; comme ça, dit-elle en reprenant à son compte le coquin mouvement. Floralie est une bien belle fille de quinze ans qui traîne une réputation de fille facile.

La nouvelle du miracle se répand comme une traînée de poudre. Débarquent aussitôt à Notre-Dame des Roses, des journalistes (dont Martial Bergevin, jeune loup de Radio-Canada), des curieux, des Pèlerins de Saint-Joseph, des anti-avorteurs, même la police pour rétablir l'ordre. Le Premier ministre canadien envoie un homme pour se mettre au parfum du phénomène, idem pour le pape qui, via le nonce apostolique, demande à la GRC d'envoyer un enquêteur en mission secrète. Du bien beau monde pour un si petit village.

Mais la statue ne produit plus son miracle, et la tension commence à tomber, les intéressés et autres curieux quittent le village. Puis la statue est volée et remplacée par une autre, et même volée et remplacée trois fois. Le mystère religieux devient un mystère policier léger — qui a commis ces vols ? Puis un matin, le cadavre de Floralie Lahaise est retrouvé nu sur la plage, une ecchymose à la tête, du ruban cache sur les yeux et la bouche, le dessin d'un téléviseur sur les fesses. Noyée la Floralie; Martial Bergevin, en raison de la très brève affaire qu'il a nouée avec elle, devient le premier suspect. Rosaire Desrosiers, fils de l'ancien maire du village qui a des choses à prouver quant à la mort suspecte de son père il y a des décennies, vient le délivrer (même si Martial n'est retenu qu'en « détention prohibitoire »). Ensemble, ils mènent tambour battant l'enquête sur l'assassinat de la jeune fille, interrogent tous azimuts les suspects et d'autres qui ne le sont pas. Après une poursuite mouvementée sur la 20, ils sont repris par la Sûreté du Québec et ramenés à Notre-Dame des Roses.

Desrosiers avait été mandaté par le capitaine du détachement de la Sûreté dans le Bas-du-Fleuve pour aider Bergevin à trouver le coupable. D'expérience, le capitaine savait qu'un témoin parle beaucoup plus facilement à un suspect en cavale qu'à un policier. Ainsi Bergevin parvient-il à résoudre le mystère des vols et recels de la statue sans pour autant retrouver le coupable du meurtre, encore qu'une petite idée germe dans sa tête.

Bergevin fait avouer Agaric Meunier. Dans l'affluence de touristes, le vieux trouvait son compte. Son aubergiste lui laissait la pension complète à l'œil tant que les touristes viendrait en abondance. Ce qui laissait entrevoir pour Agaric une meilleure nourriture et enfin du tabac de qualité pour bourrer sa pipe. C'est l'illustration du drame des vieillards exploités par des tenanciers de maisons de retraite sans scrupule. A la faveur d'une menace de chantage, Floralie a lancé un caillou à Agaric qui a répliqué, assommant net la fille sur la plage, que la marée recouvrira, noyant ainsi la pauvre fille. Trois autres personnes touillent le cadavre de Floralie, un curé, l'agent de la GRC et le fils de l'ancien maire. L'innocence de Martial Bergevin est faite, l'enquête terminée. Agaric Meunier est laissé tranquille à sa pipe et à sa mauvaise pension. L'histoire de la Sainte Vierge montrant ses fesses était-elle vraie ? Le lecteur est tout à fait libre de conclure selon ses convictions.

J'avais lu ce roman à sa sortie en 90 et il m'avait laissé une bien mauvaise impression. Je soutenais sans démordre qu'il s'agissait du plus mauvais des Barcelo. Or cette deuxième lecture (que j'appréhendais) m'a laissé ravi. C'est du bon Barcelo, du sacré bon Barcelo. Très près de la manière de la trilogie Agénor, avec une foison de personnages hauts en couleur, fortement typés et tendrement caricaturaux. Ici, c'est idem. Les personnages sont en abondance, chacun avec leur petite histoire (très barcelienne), leurs ambitions manquées (la plupart du temps) et leurs appétits parfois ambigus. Autour d'Agaric Meunier, de Floralie Lahaise, de Martial Bergevin, on retrouve Rosaire Desrosiers (ambivalent à souhait, à la fois sardonique et bon enfant), Gaby Théroux (l'ex-boxeur recyclé dans le combat contre l'avortement), Pierre Germain (le curé linguiste, pris sur le tard de désir pour la corps des femmes), Justin Demers (l'agent de la GRC défroqué, c'est le cas de le dire), Jacqueline Langlais (la camerawoman tout autant préoccupé de cadrage que d'amants au petit quotient intellectuel), Marie-Claire Labelle (la journaliste qui monte, qui monte, une coche plus chiante que Denise Bombardier), Éric Lansdorf (le laïc dont le combat gagné pour la laïcisation des écoles l'a laissé sur la touche)... Toute une galerie de courts portraits, les vieux de la maison de retraite, l'aubergiste, la mère de Floralie, sans oublier les policiers : Lafontaine, Portelance, Demers (déjà nommé), le sergent Caron, en plus du pape (eh oui), du Premier ministre canadien et du Président des États-Unis dans une apparition minuscule. Les personnages sont regroupés autour d'une histoire qui semble partir dans toutes les directions mais qui est très adroitement menée pour arriver à sa conclusion logique. Barcelo ne rechigne pas à la dépense.

Grâce à la multitude des personnages et des rebondissements de l'intrigue, jamais ce roman n'ennuie ni ne lasse son lecteur. Le plaisir est constant malgré le contrepoint tristounet de la fin sur la misère qui mène au pire des crimes : l'indifférence à donner la mort (pour ce qui est de Meunier) ou à en tirer profit (pour les autres).


Je vous ai vue, Marie
François Barcelo
Libre Expression, 1990
200 pages
lu: février 95

samedi 3 avril 2010

De Loulou à Rébecca... - François Barcelo

Alors que les felquistes font sauter leurs premières bombes, les classes d'accueil en français sont débordées. Le narrateur est ainsi engagé pour donner des cours à des anglophones rébarbatifs. Il tombe secrètement amoureux de la belle Rébecca (lequel prénom, logiquement, ne devrait pas porter d'accent, m'enfin). Elle lui fait envie, mais il ne sait comment l'aborder, étant d'une timidité comme ça. Les felquistes sont emprisonnés, les bombes ne détonnent plus et l'intérêt des anglos pour l'immersion française cesse brutalement. Adieu la belle Rébecca.

Loulou, une belle petite brune vivace, délurée, la copine d'un voisin de palier, fait son entrée dans sa vie sous le prétexte de venir prendre une tasse de café chez lui. Loulou, c'est l'irruption de la sexualité débridée, mademoiselle est une saute-au-paf extraordinaire : elle met littéralement la main dans la culotte du zouave pour le titiller; et le narrateur consomme la perte de sa virginité debout, en plein jour sur le balcon d'en avant, sous une couverture nouée autour de leurs corps. Après cet épisode, Loulou disparaît de sa vie en lui faisant un petit cadeau : le narrateur est poivré.

C'est en soignant les effets de cette blenno qu'il recevra un coup de téléphone de Rébecca qui tient à le revoir. Ils vont au cinéma, elle s'invite à son appartement. Il a une folle envie d'elle, c'est vraiment la super belle fille bien proportionnée, rousse par-dessus le marché, avec des nichons dont il est seulement permis de rêver. Seulement la blenno est une barrière rédhibitoire; même lorsque Rébecca lui apparaît vêtue d'un seul chandail et se colle à lui, son sens moral lui fait refuser pareille avance. Il ne consomme pas et Rébecca qui lui offrait sa virginité s'en retourne. Il n'en entendra plus parler car il perd l'adresse et le numéro de téléphone qu'elle lui avait laissé, quant à son nom, il ne le sait pas (et ne le saura jamais). Il doit donc faire une croix là-dessus.

Au cours d'un voyage aux Caraïbes, il rencontre de nouveau Loulou. Petite conversation embarrassée. Puis l'impétueuse jeune femme l'entraîne pour une séance de baise acrobatique dans les toilettes minuscules de l'avion. Durant les vacances, elle viendra à tout propos faire l'amour avec lui. Après les vacances, elle disparaît temporairement de sa vie (c'est une manie; les femmes ne s'accrochent pas à lui).

Avec sa liberté reconquise, pour éviter l'accident malencontreux et surtout pour faire preuve de responsabilité, il subit une vasectomie. Et sème le foutre stérile à tous vents. Il revoit Rébecca, qui est encore amoureuse de lui... Et lui donc ! Elle lui demande de lui faire un enfant. Le narrateur lui cache la vérité à propos de son opération et la prend sous tous les angles. C'est la tringlée gigantesque, monstrueuse de beauté et proprement infernale. Rébecca le quitte pour un joueur de trombone de l'orchestre symphonique de Québec, alors que le narrateur vient de subir une opération pour se remettre la quincaillerie intime en fonction.

D'autre part, sa relation avec Loulou prend une tout autre tournure, au cours du mariage d'une amie, après s'être estourbi bite et noune dans un confessionnal, Loulou décide que c'est le temps de se marier. Piégé, le narrateur accepte (car il avait entendu autre chose dans le chuchotement de Loulou). Un mariage basé sur un désir débridé de sexe ne va pas tenir le coup bien longtemps, on s'en doute. Après quelques années, Loulou et le narrateur se quittent en bons termes, c'est le temps de mettre une fin à cette partie de leur vie.

Une dizaine d'années plus tard, sur la plage de Varadero, le narrateur revoit Rébecca, la quarantaine lumineuse. Elle traîne avec elle un mouflet qui aurait pu être le leur si seulement... Il songe continuellement à Rébecca, et aussi à Loulou, qui est l'autre moitié de son rêve.

Le narrateur oscille entre les deux aspects de la ludicité du sexe, le rêve intouchable, accablant de pureté, et la lubricité inextinguible. Rébecca est l'image idéalisée de la femme, de la Vierge, de la maman, celle dont le désir ne peut être comblé. Quand elle se donne à lui la première fois, il doit refuser pour cause de blennorragie saignante; et la deuxième, il ne peut lui faire l'enfant qu'elle veut. C'est donc l'échec retentissant de cette relation même si le sexe est succulent. Le sexe n'est que la voie de passage vers un accomplissement autre.

Loulou est évidemment l'image inverse de la Vierge et de la maman. Loulou, c'est la fille facile, la cochonne au cube que rien ne rebute et qui ne refuse jamais rien. Dans un accès de culpabilité typiquement judéo-chrétienne, le péché, la maladie sera transmise par cette permissive jeune femme. Mais avec Loulou, le sexe trouve sa justification en lui-même, l'échec de la relation s'accomplit quand on tente d'adjoindre à la sexualité quelque chose en plus, ici le mariage, la vie en couple.

Non seulement les deux femmes sont-elles des images renversées l'une de l'autre, mais le rapport qu'elles ont au sexe est lui-même à l'inverse. Des images miroirs, en somme.

Le roman s'inscrit dans la même période historique que Moi, les parapluies..., du début des années 60 à la fin des années 80, encore que cela n'ait aucun impact sur le roman outre le fait d'authentifier la rencontre du narrateur avec Rébecca. Le personnage principal, lui, est typiquement barcelien : comme un rafiot sur une mer pas très calme, il est ballotté par les événements. Les gestes qu'il pose pour s'accrocher à la réalité (soigner sa blenno, la vasectomie, les petits mensonges qu'il commet à droite et à gauche) ont pour effet d'accroître le mouvement de roulis et de tangage, ce qui active sa dérive. C'est souvent drôle. C'est même, oserais-je dire, l'équivalent de l'humour juif chez nous !

Ce roman, malgré son côté ouvertement explicite, n'est pas vraiment érotique. Il est plus amusant que drôle. Un roman complètement mineur mais agréable.

De Loulou à Rébecca (et vice versa, plus d'une fois)
François Barcelo (sous le pseudonyme Antoine Z. Erty)
1993, Libre Expression
édition originale 1993
105 pages
lu: février 95

Nulle part au Texas- François Barcelo

Alors qu'il se paie une petite baignade buissonnière tout nu dans le golfe du Mexique, Benjamin Tardif se fait voler son Westphalia et ses effets personnels, dont ses cartes, son passeport et son argent. C'est le début de son odyssée.

Il trouve refuge près de la bicoque d'une très belle jeune Noire (se prénommant Soutinelle) vivant en solitaire près de la plage et opérant une station-service à court d'essence. La communication est difficile, elle ne veut rien savoir de lui. Comme Benjamin ne possède plus un vêtement, elle lui offre une gigantesque paire de bobettes à frisous tout en le mettant en garde de ne se montrer à personne, surtout pas au shérif Justin Case, un dangereux redneck qui abat les étrangers, spécialement s'ils sont mexicains (comme le croit Soutinelle) et portent des dessous féminins. Benjamin se le tient pour dit et couche à la belle étoile en bouffant du mauvais chili en conserve que lui sert charitablement Soutinelle. Les premiers jours sont assez désagréables. Benjamin ne peut aller plus loin, car la bicoque et la station-service de Soutinelle constituent l'essentiel de Nowhere (Texas), infinitésimal bourg situé à une centaine de kilomètres du plus proche village. Impossible pour lui de parcourir cette distance, à la merci des coyotes, de l'insolation, du coup de froid la nuit et du shérif Case. Ben est sans recours, sa détresse est grande, mais, en vrai héros barcelien, il s'habitue rapidement à sa situation : la disparition de son Westphalia l'intrigue beaucoup. Il revient sur les lieux du vol et note la trace de pneus dépareillés. C'est un indice, Benjamin en est tout fier, même si pour l'instant ça ne lui sert, pas, ne pouvant porter plaindre au shérif, Soutinelle l'a convaincu qu'il serait mort avant même d'avoir ouvert la bouche. Ben attend.

Le shérif rend visite à Soutinelle. C'est le parangon du redneck, encore qu'il soit plutôt petit et rondouillard. Il fait son apparition à cheval, la tête surmontée d'un ten-gallon hat aux couleurs du Star­ Spangled. Benjamin est pris de trouille, d'autant plus que Justin Case se fait menaçant. Benjamin croit que Justin est l'amant de Soutinelle, puisqu'ils sont si dissemblables, elle si Noire, lui si Blanc. Un jour que Benjamin retourne une nouvelle fois sur les lieux du crime dans l'espoir d'y trouver des signes quelconques; Justin vient lui proposer un marché. Si Benjamin tue Soutinelle, alors Justin le laissera se sauver en paix de Nowhere, sinon Justin abattra Benjamin puis Soutinelle et prétextera le crime passionnel. Benjamin est abasourdi, fait semblant d'accepter le marché et court à la bicoque lancer un avertissement à la fille. Elle est assise en compagnie de Justin. Rassemblant son courage, Benjamin Tardif fait irruption dans la cuisine une pierre à la main et révèle les sombres projets de Justin Case. C'est le franc éclat de rire. Justin et Soutinelle mettent Benjamin au parfum. C'était une histoire montée de toutes pièces. En fait, malgré les apparences, Soutinelle et Justin sont demi-frère et demi-sœur; depuis le tout début, Soutinelle cherche à éloigner Benjamin, en lui servant le plus mauvais chili du Texas et le plus imbuvable des cafés, en lui offrant des vêtements grotesques. Comme Benjamin s'incruste, elle invente une réputation terrible à son demi-frère, ce qui n'empêche pas Benjamin Tardif d'être cloué sur place. Et enfin cette histoire de chantage au meurtre à laquelle il n'a pas marché. Les deux décident donc de lui prêter main forte pour récupérer le Westphalia, ce qui est d'autant plus facile que c'est Justin qui l'a pris (le croyant abandonné) et entreposé dans une décharge publique. Ils récupèrent le Volks vidé de toute son essence.

Sur les entrefaites se pointe la limousine du révérend en cavale Oracle Simon, accusé d'avoir dérobé 10 millions de dollars à sa téléglise. Le réservoir de son véhicule est lui aussi complètement vide. On ne quitte décidément pas Nowhere comme on veut. S'ensuivent des aventures où Justin abat le révérend (ou fait semblant), où interviennent les menaçants sbires d'une église télévangélique rivale, puis le FBI in extremis alors que tout ce beau monde va s'estourbir à coups de revolver. Désespéré, Benjamin fait siphonner une voiture du FBI et quitte sans regret le hameau peu paisible de Nowhere. Un an plus tard, une lettre de Soutinelle Case va le ramener à Nowhere (Texas). Il est fou de Soutinelle... Mais ça, ce sont les aventures de Benjamin Tardif dans Ailleurs en Arizona.



Un tout court roman plein de fraîcheur et de fourberie rigolarde. En effet, à l'exception de Benjamin, les êtres ne sont pas comme ils apparaissent; en plus de leur propension à tous à maquiller la réalité, à l'inventer de manière très cinématographique. Le roman tout entier — comme chacun des deux autres qui forment l'actuelle trilogie — se déroule à l'intérieur d'une période de sept jours, à l'exception de l'épilogue un an plus tard. C'est donc extrêmement condensé et l'action est menée tambour battant. Et pourtant, c'est le roman de l'immobilité, de la confrontation entre le désir de partir (Benjamin, bien sûr, mais aussi Soutinelle et Justin) et l'incapacité (innée ou acquise, ces gens-là mentent tant et si bien qu'ils sont empêtrés dans des mensonges tissant autour d'eux une barrière ouateuse aussi infranchissable qu'un mur), l'incapacité de passer à l'acte.

Un bref roman qui se lit en à peine plus d'une heure, et qui laisse un souvenir vif et plein de gaieté.

Nulle part au Texas
François Barcelo
Libre Expression, 1989
156 pages
relu: février 95

Pas tout à fait en Californie - François Barcelo

Benjamin Tardif se retrouve à Los Angeles dans son Wesfoolia, en compagnie de Soutinelle Case et Justin Case, en quête d'Hollywood puisque Soutinelle veut faire carrière au cinéma.

La transmission (ou une autre partie) du Westfalia casse dans une banlieue misérable de Los Angeles, Not Quite Beverly Hills, et un vieux couple (Rex Connors, producteur et réalisateur de films de vilaine  facture, et Malvina Lansford, une mauvaise actrice qui fut la vedette de tous ses films) accepte de les héberger.

Benjamin et Soutinelle font connaissance avec Hollywood. Se disant recommander par Steven Spielberg, Soutinelle fait la rencontre d'un producteur, Lou Ginotti, et présente Benjamin comme un scénariste plein d'avenir. Ginotti, qui sent que le marché cinématographique en a assez des remakes et veut faire des films à partir de scénario originaux, accepte d'acheter un synopsis de Benjamin et d'en faire un film qui mettrait en vedette Soutinelle. Benjamin a quelques jours seulement pour écrire son synopsis.

Il complètera le synopsis et obtiendra cinq milles dollars de Ginotti. Benjamin donnera cet argent à une famille de squatters mexicains qui en ont besoin pour faire opérer la cécité du grand-père.

Finalement, après avoir craint d'être soupçonné d'un meurtre, après avoir failli tuer à de nombreuses reprises le frère de Soutinelle, Benjamin, sa blonde et son futur beauf reprennent la route pour Montréal; avec un détour via le Nevada et le Mexique.

L'intrigue de ce roman est extrêmement mince. Un gars et sa blonde (et son futur beau-frère) vont à Hollywood. Il ne leur arrive presque rien, sinon que leur véhicule casse et qu'ils sont hébergés par un couple formé d'un ancien directeur et d'une actrice à la retraite. Pour plaire à sa blonde, le gars écrit un synopsis de scénario (sur une aventure vécu par eux : Nulle Part au Texas), qu'il réussit à vendre à un producteur hollywoodien avec promesse d'engager sa blonde pour le premier rôle. Le gars se met à avoir des doutes sur sa relation avec cette fille et veut la quitter pour revenir à Montréal. Finalement, c'est elle qui refuse de se compromettre pour Hollywood quand on lui propose de changer son nom pour un pseudo ridicule afin de mousser sa carrière. Finalement, ils se retrouvent tous les trois à prendre un chemin de retour un peu compliqué pour Montréal. Ce qui nous promet de nouvelles aventures de Benjamin Tardif.

Mais sur ce canevas mince, Barcelo a fait un charmant roman plein de surprises, de fausses surprises (un faux meurtre, une fausse scène d'infidélité, un faux vol de voiture) et de personnages sympathiques, un peu lunatiques et jamais bien méchants. L'auteur utilise les artefacts propres au cinéma : meurtres, infidélités, vol de voiture, il reprend sans vergogne les scènes de poursuite en voiture (travesties ici en interminables bouchons de circulation), l'aventure mélodramatique de la famille mexicaine à qui il donne de l'argent, etc. On retrouve dans Pas tout à fait en Californie tous les clichés du cinéma, plus ou moins subtilement maquillés ou travestis.

Ça donne un roman joyeux, linéaire en diable mais toujours frais et primesautier. Un très bon Barcelo. Peut-être le meilleur de la série des Benjamin Tardif.

Pas tout à fait en Californie
François Barcelo
Libre Expression, 1992
179 pages
lecture : octobre 92