ATTENTION SPOILERS PARTOUT

samedi 3 avril 2010

Nulle part au Texas- François Barcelo

Alors qu'il se paie une petite baignade buissonnière tout nu dans le golfe du Mexique, Benjamin Tardif se fait voler son Westphalia et ses effets personnels, dont ses cartes, son passeport et son argent. C'est le début de son odyssée.

Il trouve refuge près de la bicoque d'une très belle jeune Noire (se prénommant Soutinelle) vivant en solitaire près de la plage et opérant une station-service à court d'essence. La communication est difficile, elle ne veut rien savoir de lui. Comme Benjamin ne possède plus un vêtement, elle lui offre une gigantesque paire de bobettes à frisous tout en le mettant en garde de ne se montrer à personne, surtout pas au shérif Justin Case, un dangereux redneck qui abat les étrangers, spécialement s'ils sont mexicains (comme le croit Soutinelle) et portent des dessous féminins. Benjamin se le tient pour dit et couche à la belle étoile en bouffant du mauvais chili en conserve que lui sert charitablement Soutinelle. Les premiers jours sont assez désagréables. Benjamin ne peut aller plus loin, car la bicoque et la station-service de Soutinelle constituent l'essentiel de Nowhere (Texas), infinitésimal bourg situé à une centaine de kilomètres du plus proche village. Impossible pour lui de parcourir cette distance, à la merci des coyotes, de l'insolation, du coup de froid la nuit et du shérif Case. Ben est sans recours, sa détresse est grande, mais, en vrai héros barcelien, il s'habitue rapidement à sa situation : la disparition de son Westphalia l'intrigue beaucoup. Il revient sur les lieux du vol et note la trace de pneus dépareillés. C'est un indice, Benjamin en est tout fier, même si pour l'instant ça ne lui sert, pas, ne pouvant porter plaindre au shérif, Soutinelle l'a convaincu qu'il serait mort avant même d'avoir ouvert la bouche. Ben attend.

Le shérif rend visite à Soutinelle. C'est le parangon du redneck, encore qu'il soit plutôt petit et rondouillard. Il fait son apparition à cheval, la tête surmontée d'un ten-gallon hat aux couleurs du Star­ Spangled. Benjamin est pris de trouille, d'autant plus que Justin Case se fait menaçant. Benjamin croit que Justin est l'amant de Soutinelle, puisqu'ils sont si dissemblables, elle si Noire, lui si Blanc. Un jour que Benjamin retourne une nouvelle fois sur les lieux du crime dans l'espoir d'y trouver des signes quelconques; Justin vient lui proposer un marché. Si Benjamin tue Soutinelle, alors Justin le laissera se sauver en paix de Nowhere, sinon Justin abattra Benjamin puis Soutinelle et prétextera le crime passionnel. Benjamin est abasourdi, fait semblant d'accepter le marché et court à la bicoque lancer un avertissement à la fille. Elle est assise en compagnie de Justin. Rassemblant son courage, Benjamin Tardif fait irruption dans la cuisine une pierre à la main et révèle les sombres projets de Justin Case. C'est le franc éclat de rire. Justin et Soutinelle mettent Benjamin au parfum. C'était une histoire montée de toutes pièces. En fait, malgré les apparences, Soutinelle et Justin sont demi-frère et demi-sœur; depuis le tout début, Soutinelle cherche à éloigner Benjamin, en lui servant le plus mauvais chili du Texas et le plus imbuvable des cafés, en lui offrant des vêtements grotesques. Comme Benjamin s'incruste, elle invente une réputation terrible à son demi-frère, ce qui n'empêche pas Benjamin Tardif d'être cloué sur place. Et enfin cette histoire de chantage au meurtre à laquelle il n'a pas marché. Les deux décident donc de lui prêter main forte pour récupérer le Westphalia, ce qui est d'autant plus facile que c'est Justin qui l'a pris (le croyant abandonné) et entreposé dans une décharge publique. Ils récupèrent le Volks vidé de toute son essence.

Sur les entrefaites se pointe la limousine du révérend en cavale Oracle Simon, accusé d'avoir dérobé 10 millions de dollars à sa téléglise. Le réservoir de son véhicule est lui aussi complètement vide. On ne quitte décidément pas Nowhere comme on veut. S'ensuivent des aventures où Justin abat le révérend (ou fait semblant), où interviennent les menaçants sbires d'une église télévangélique rivale, puis le FBI in extremis alors que tout ce beau monde va s'estourbir à coups de revolver. Désespéré, Benjamin fait siphonner une voiture du FBI et quitte sans regret le hameau peu paisible de Nowhere. Un an plus tard, une lettre de Soutinelle Case va le ramener à Nowhere (Texas). Il est fou de Soutinelle... Mais ça, ce sont les aventures de Benjamin Tardif dans Ailleurs en Arizona.



Un tout court roman plein de fraîcheur et de fourberie rigolarde. En effet, à l'exception de Benjamin, les êtres ne sont pas comme ils apparaissent; en plus de leur propension à tous à maquiller la réalité, à l'inventer de manière très cinématographique. Le roman tout entier — comme chacun des deux autres qui forment l'actuelle trilogie — se déroule à l'intérieur d'une période de sept jours, à l'exception de l'épilogue un an plus tard. C'est donc extrêmement condensé et l'action est menée tambour battant. Et pourtant, c'est le roman de l'immobilité, de la confrontation entre le désir de partir (Benjamin, bien sûr, mais aussi Soutinelle et Justin) et l'incapacité (innée ou acquise, ces gens-là mentent tant et si bien qu'ils sont empêtrés dans des mensonges tissant autour d'eux une barrière ouateuse aussi infranchissable qu'un mur), l'incapacité de passer à l'acte.

Un bref roman qui se lit en à peine plus d'une heure, et qui laisse un souvenir vif et plein de gaieté.

Nulle part au Texas
François Barcelo
Libre Expression, 1989
156 pages
relu: février 95

3 commentaires:

  1. Elles sont très bien, ces notices d'un lecteur enthousiaste. Même les auteurs les apprécient.
    François Barcelo

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  2. Je suis un étudiant de 16 ans à l'école Secondaire Des Chutes à Shawinigan en Mauricie, Québec, et notre professeur de Français 4e secondaire, Linda Légaré, a fait lire ce roman à tous les membres du groupes, elle en avait près d'une 40aine d'exemplaires. On l'a majoritairement, presqu'à l'unanimité tous aimé. Ce roman présente un humour noir, sarcastique, qui nous fait sourire tout au long du parcours. L'auteur utilise beaucoup de qualificatifs et de détails à ses paroles, ce qui me, personnellement, m'attache à ce roman. Pas trop long, compréhensible et facile à lire.

    Très bien et bonne continuation :) !

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