La nouvelle du miracle se répand comme une traînée de poudre. Débarquent aussitôt à Notre-Dame des Roses, des journalistes (dont Martial Bergevin, jeune loup de Radio-Canada), des curieux, des Pèlerins de Saint-Joseph, des anti-avorteurs, même la police pour rétablir l'ordre. Le Premier ministre canadien envoie un homme pour se mettre au parfum du phénomène, idem pour le pape qui, via le nonce apostolique, demande à la GRC d'envoyer un enquêteur en mission secrète. Du bien beau monde pour un si petit village.
Mais la statue ne produit plus son miracle, et la tension commence à tomber, les intéressés et autres curieux quittent le village. Puis la statue est volée et remplacée par une autre, et même volée et remplacée trois fois. Le mystère religieux devient un mystère policier léger — qui a commis ces vols ? Puis un matin, le cadavre de Floralie Lahaise est retrouvé nu sur la plage, une ecchymose à la tête, du ruban cache sur les yeux et la bouche, le dessin d'un téléviseur sur les fesses. Noyée la Floralie; Martial Bergevin, en raison de la très brève affaire qu'il a nouée avec elle, devient le premier suspect. Rosaire Desrosiers, fils de l'ancien maire du village qui a des choses à prouver quant à la mort suspecte de son père il y a des décennies, vient le délivrer (même si Martial n'est retenu qu'en « détention prohibitoire »). Ensemble, ils mènent tambour battant l'enquête sur l'assassinat de la jeune fille, interrogent tous azimuts les suspects et d'autres qui ne le sont pas. Après une poursuite mouvementée sur la 20, ils sont repris par la Sûreté du Québec et ramenés à Notre-Dame des Roses.
Desrosiers avait été mandaté par le capitaine du détachement de la Sûreté dans le Bas-du-Fleuve pour aider Bergevin à trouver le coupable. D'expérience, le capitaine savait qu'un témoin parle beaucoup plus facilement à un suspect en cavale qu'à un policier. Ainsi Bergevin parvient-il à résoudre le mystère des vols et recels de la statue sans pour autant retrouver le coupable du meurtre, encore qu'une petite idée germe dans sa tête.
Bergevin fait avouer Agaric Meunier. Dans l'affluence de touristes, le vieux trouvait son compte. Son aubergiste lui laissait la pension complète à l'œil tant que les touristes viendrait en abondance. Ce qui laissait entrevoir pour Agaric une meilleure nourriture et enfin du tabac de qualité pour bourrer sa pipe. C'est l'illustration du drame des vieillards exploités par des tenanciers de maisons de retraite sans scrupule. A la faveur d'une menace de chantage, Floralie a lancé un caillou à Agaric qui a répliqué, assommant net la fille sur la plage, que la marée recouvrira, noyant ainsi la pauvre fille. Trois autres personnes touillent le cadavre de Floralie, un curé, l'agent de la GRC et le fils de l'ancien maire. L'innocence de Martial Bergevin est faite, l'enquête terminée. Agaric Meunier est laissé tranquille à sa pipe et à sa mauvaise pension. L'histoire de la Sainte Vierge montrant ses fesses était-elle vraie ? Le lecteur est tout à fait libre de conclure selon ses convictions.
J'avais lu ce roman à sa sortie en 90 et il m'avait laissé une bien mauvaise impression. Je soutenais sans démordre qu'il s'agissait du plus mauvais des Barcelo. Or cette deuxième lecture (que j'appréhendais) m'a laissé ravi. C'est du bon Barcelo, du sacré bon Barcelo. Très près de la manière de la trilogie Agénor, avec une foison de personnages hauts en couleur, fortement typés et tendrement caricaturaux. Ici, c'est idem. Les personnages sont en abondance, chacun avec leur petite histoire (très barcelienne), leurs ambitions manquées (la plupart du temps) et leurs appétits parfois ambigus. Autour d'Agaric Meunier, de Floralie Lahaise, de Martial Bergevin, on retrouve Rosaire Desrosiers (ambivalent à souhait, à la fois sardonique et bon enfant), Gaby Théroux (l'ex-boxeur recyclé dans le combat contre l'avortement), Pierre Germain (le curé linguiste, pris sur le tard de désir pour la corps des femmes), Justin Demers (l'agent de la GRC défroqué, c'est le cas de le dire), Jacqueline Langlais (la camerawoman tout autant préoccupé de cadrage que d'amants au petit quotient intellectuel), Marie-Claire Labelle (la journaliste qui monte, qui monte, une coche plus chiante que Denise Bombardier), Éric Lansdorf (le laïc dont le combat gagné pour la laïcisation des écoles l'a laissé sur la touche)... Toute une galerie de courts portraits, les vieux de la maison de retraite, l'aubergiste, la mère de Floralie, sans oublier les policiers : Lafontaine, Portelance, Demers (déjà nommé), le sergent Caron, en plus du pape (eh oui), du Premier ministre canadien et du Président des États-Unis dans une apparition minuscule. Les personnages sont regroupés autour d'une histoire qui semble partir dans toutes les directions mais qui est très adroitement menée pour arriver à sa conclusion logique. Barcelo ne rechigne pas à la dépense.
Grâce à la multitude des personnages et des rebondissements de l'intrigue, jamais ce roman n'ennuie ni ne lasse son lecteur. Le plaisir est constant malgré le contrepoint tristounet de la fin sur la misère qui mène au pire des crimes : l'indifférence à donner la mort (pour ce qui est de Meunier) ou à en tirer profit (pour les autres).
Je vous ai vue, Marie
François Barcelo
Libre Expression, 1990200 pages
lu: février 95
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