ATTENTION SPOILERS PARTOUT

vendredi 29 juillet 2011

Valis - Philip K. Dick

En février et mars 1974, Philip Dick a été l'objet d'une série de visions mystiques. Pendant les huit dernières années de son existence, il va tenter — dans son Exégèse — de comprendre ce de quoi il a été victime; pourtant, jamais, il ne mettra en doute la réalité de ce qui lui est arrivé.

Cette période se manifeste aussi par une relative stérilité littéraire. Dick n'écrira dans cette période que Valis, The Divine Invasion et The Transmigration of Timothy Archer. Les trois livres portent directement sur son expérience du 2-3-74 (comme il se plaisait à l'écrire).

Valis est le premier livre écrit par l'auteur après cette expérience. Il tente de répondre aux questions suivantes : Comment être sûr que ce qui nous a touché relève du divin, de l'ordinaire, ou encore de l'extraterrestre ? Comment prouver que l'on est pas fou ? Enfin, comment peut-on valider une expérience pareille ?

Valis est l'histoire de Horselover Fat, l'alter ego de Dick (en grec, Philip signifie celui qui aime les chevaux, et Dick en allemand veut dire gras), frappé lui aussi par une série de visions en février et mars 74 et qui va chercher à y mettre de l'ordre. Suite à ses visions, Fat souffre d'anamnésie (qui est l'incapacité d'oublier). L'accompagnent dans son odyssée, Kevin le sceptique à l'humour grinçant, David le chrétien convaincu, et Phil Dick l'écrivain de SF qui trouve Fat sympathique et fou à lier.

Horselover Fat soumettra son expérience à une série d'interprétations. La quête de Fat est de valider les visions qu'il a eues, de les ancrer dans la réalité. Il interprétera la réalité, y guettant les signes simples et minuscules qui donneront un éclairage significatif à son expérience.

Le roman, autrement, est irracontable. C'est pourtant un livre glorieux, inoubliable et douloureux. Horselover Fat discute longuement de subtilités théologiques avec ses copains. Il tombe amoureux de femmes souffrantes et dépressives (dans l'espoir qu'elles lui briseront le cœur en mourant du cancer ou en se suicidant — Fat a une faiblesse du côté masochiste du cœur) et il essaie de donner un sens à ses visions.

Kevin l'amène voir un film de SF de série B, Valis. C'est la révélation. Pour Fat, voilà le sens de ses visions. Une entité extrêmement vieille, Valis, l'a bombardé d'un rayon rose chargé d'informations qu'il ne peut oublier mais qui ne font pas de sens. D'où l'anamnésie. Mais le film permet d'agencer toutes les informations dans un système théorique sans faille. Valis étant une des représentations de Dieu, elle amène Fat à entrer en contact avec le créateur du film, le guitariste rock Eric Lampton dont la femme a donné naissance à une petite fille qui est, pour les initiés, la glorieuse réincarnation du Christ : Sophie — Hagia Sofia, sainte Sophie. Sophie, qui a deux ans, et qui tient des discussions théologiques avec Fat et ses amis permet à Phil Dick de résoudre ses contradictions : Fat disparaît donc de la surface de la Terre, il réintègre l'entité. Phil Dick et Kevin et David en sont bien heureux, eux qui jouait la comédie du dédoublement pour ne pas se le mettre à dos. (Dick compose cette scène-là avec une bonhommie sans pareille — on ne dira jamais assez de bien de l'humour dickien.) Mais Sophie sera tuée et Fat fera sa réapparition dans la vie de Dick. Fat, assis devant son téléviseur, y cherchera des signes intelligibles.

C'est un roman qui parle de rédemption, de la bonté humaine en tant que force rédemptrice, de la réalité qui n'est qu'apparence mais qui est tout ce que nous avons (la connaissance d'une volonté supérieure n'apporte pas de réponses réelles aux questions existentielles de notre réalité quotidienne puisque c'est la seule que nous avons). Un autre thème est la surinformation — avec son corollaire : l'incapacité de plus en plus grande qu'ont les individus à produire des synthèses à partir de ce bombardement informationnel. Et la sensation de perdre pied et de ne trouver aucun sens à ce qui, auparavant, en faisait.

Valis
Philip K Dick
1981, Bantam
édition originale 1981
227 pages,
incluant Tractates Cryptica Scriptura
lecture : janvier 93

Kiss Kiss - Roald Dahl

LA LOGEUSE. Billy Weaver arrive à Bath et se met en quête d'un gîte temporaire. Il se pointe dans un Bed & Breakfast sympathique et chaleureux où il est accueilli par une logeuse maternelle. Le B&B est curieusement vide. La logeuse avoue que depuis des années, elle n'a eu que deux autres clients, deux jeunes hommes beaux et jeunes comme Billy. Ça rend Billy un peu nerveux. Le chat qui surveille la pièce est empaillé, tout comme le basset qui dort devant le foyer. C'est le hobby de la logeuse, empailler les êtres qu'elle aime... Une très curieuse nouvelle qui a l'air de ne pas se terminer tant la fin est subtile. Une narration légèrement surannée ajoute au plaisir, qui est grand.

WILLIAM ET MARY. William vient de mourir et il laisse à sa femme une longue lettre dans laquelle il lui apprend qu'il s'est porté volontaire pour une expérience médicale inédite : son cerveau a été récupéré, mis dans un liquide avec un œil (pour assurer un branchement sensoriel) et le tout repose dans le laboratoire de son ami le Dr Landy. William demande à Mary d'accepter son sort. Mary se présente au laboratoire du Dr Landy. L'œil de William l'observe et elle croit discerner des éclats de colère quand elle agit contre les avertissements de feu son mari, en fumant une cigarette, par exemple. Elle décrète à Landy qu'elle ramène son mari chez elle. Elle va l'installer sur la télé et lui fumer au visage... Une histoire de revanche, d'une femme dominée par son mari, tyrannisé par lui et qui, profitant de son état de vulnérabilité, décide de retourner la situation à son avantage. On imagine la vie d'enfer qu'elle va lui faire subir. La sociologie de cette nouvelle la situe dans les années 30 ou 40, avec cette vieille mentalité étouffante des familles bourgeoises anglaises. Mais la simili-science qui entoure le postulat de base est complètement ridicule.

TOUS LES CHEMINS MÈNENT AU CIEL. Mme Foster redoute de prendre l'avion en retard, sa fille l'attend à Paris. Son mari qui ne l'accompagne pas prend tout son temps, la niaise tout à fait, et elle ne peut pas répondre ni encore moins riposter car ce n'est pas convenable. Au moment où ils quittent leur villa alors que le temps est sérieusement compté, M. Foster se rappelle qu'il a oublié le présent de sa fille et retourne à la villa. Mme Foster se met à sa poursuite pour le conjurer de faire vite. Dans le vestibule, elle entend un bruit bizarre et revient au taxi sans M. Foster. Direction l'aéroport. Quand elle est de retour six semaines plus tard, elle téléphone directement au réparateur d'ascenseur, car, voyez-vous, il y a eu une panne dans leur demeure et M. Foster, semble-t-il, a péri entre deux planchers... Encore une histoire de revanche de couple dans un décor de bourgeoisie étouffante. Dahl réussit remarquablement bien à décrire la fébrilité inquiète de Mme Foster et le plaisir malin, sournois, qu'a le mari de la faire languir.

UN BEAU DIMANCHE. Chaque dimanche, M. Boggis revêt une soutane et, affublé en curé, parcourt la campagne anglaise, visitant les fermes et les maisons, à la recherche de beaux vieux meubles du patrimoine. Car M. Boggis est un antiquaire, et son déguisement lui ouvre toutes les portes. Ce beau dimanche qui donne son titre au texte, M. Boggis découvre une armoire Chippendale valant au bas mot quarante ou cinquante mille livres, dans un état impeccable avec la facture en prouvant l'origine; s'il parvient à l'acquérir, c'est la fortune et la renommée pour lui. Ça négocie ferme, les culs-terreux étant un petit peu conscients de la valeur de leur armoire, mais M. Boggis s'ingénie à les convaincre du peu de valeur de celle-ci. Il emporte finalement le morceau, obtenant l'armoire historique pour une chanson. Pendant qu'il amène sa camionnette à la maison, les fermiers coupent l'armoire et en font du petit bois pensant rendre service à Boggis... La meilleure nouvelle du recueil. Les trois quarts du texte porte sur la négociation et les astuces de Boggis pour fourrer à la planche les fermiers. La fin est hilarante, c'est l'arroseur arrosé, il y a une justice immanente.

MADAME BIXBY ET LE MANTEAU DU COLONEL. Mme Bixby a un amant à Londres qui lui offre en cadeau un superbe manteau de vison. Ne pouvant rentrer chez elle avec ça sur le dos, Mme Bixby le met en consigne pour quelques dollars et revient à son mari en faisant semblant d'avoir trouvé un billet venant d'un prêteur sur gages. Elle somme son mari d'aller chercher la consigne, pour au moins voir ce que c'est, tant la somme demandé est peu importante. Ce que fait M. Bixby. Il ramène à sa femme une étole de vison; la déception et l'amertume la submergent et elle soupçonne le prêteur d'avoir substitué l'étole au manteau. Un jour, elle aperçoit la secrétaire particulière de M. Bixby avec un superbe manteau de vison sur les épaules : le sien... Encore une histoire de justice immanente, encore que morale; ici l'adultère secret est puni par l'adultère découvert. Une excellente nouvelle, le ton est juste, les dialogues vraisemblables, la chute imprévisible.

GELÉE ROYALE. Parce que leur bébé fille refuse de prendre toute espèce de nourriture, s'amaigrit et semble sur le point de rendre l'âme, Albert Taylor et sa femme commencent à la nourrir à la gelée royale, cet aliment si riche que les abeilles qui en mangent prennent jusqu'à quinze cents fois leur poids en quelques jours. Le bébé mange avec entrain, gloutonnerie même, dévore la gelée royale et se met à prendre du poids comme ce n'est pas permis. Mme Taylor suggère qu'on arrête le traitement, M. Taylor ne veut rien entendre; il ne veut pas que l'on touche à sa petite reine... La plus faible des nouvelles, l'argument ne décolle pas et la fin est prévisible dès la deuxième page.

PAUVRE GEORGE. George est un pasteur anglican encore célibataire après qui les jeunes femmes courent. Or, George a une peur bleue des femmes depuis que sa mère l'a traumatisé en lui montrant une lapine accouchant — contrairement à ce que sa mère affirmait, la lapine ne lavait pas ses nouveau-nés mais les mangeait. George vit dans la peur de la bouche des femmes. Une fois, il est attiré par une femme qui lui plaît beaucoup. Quand elle va pour l'embrasser, il panique et se retrouve mangé, avalé, dans un des replis de l'œsophage où il fait la rencontre d'autres hommes qui ont été bouffés par cette femme... Étrange nouvelle paranoïaque à la fin surréaliste. On pourrait psychanalyser l'auteur et sa peur de la femme castratrice — c'est peut-être un texte écrit justement avec cette idée derrière la tête. Dahl a fait volontairement un texte psychanalisable, selon les idées de l'époque.

UNE HISTOIRE VRAIE. Une femme accouche d'un petit bébé rachitique. Elle peur pour lui, elle a perdu ses trois autres enfants pratiquement en couches. Cette femme est terrifiée, elle implore le docteur de la rassurer sur l'état de santé de son bébé. Aucune parole ne parvient à la réconforter. Même le mari de la femme ne peut rien devant tant de désespérance. Faites qu'il vive, implore la femme — Frau Hitler. Faites qu'il vive, mon Dieu... Ça a l'intérêt d'une pochade d'adolescent et ça n'a aucun impact sur le lecteur. Heureusement, c'est tout bref.

EDWARD LE CONQUÉRANT. Louisa recueille un chat qui a tout l'air d'être la réincarnation de Franz Liszt. Edward, son mari un peu frustre, est jaloux de l'intérêt et des petits soins dont Louisa inonde le chat. Il s'en débarrasse en le brûlant, aux mépris des aspirations de sa femme... Dahl décrit encore une fois le petit monde étouffant des couples des années trente à cinquante. Les désirs de la femme sont sans cesse stigmatisés par son mari. La femme est une bête qu'il faut diriger rigidement, sans poésie, sans folie, sans affection. La nouvelle est longuette et illustre mal l'engouement de Louisa pour son chat assez spécial, mais l'atmosphère morne d'une vie soumise est montrée avec un remarquable sens du détail de la grisaille affective et intellectuelle.

COCHON. Adopté par sa grand-tante alors qu'il est âgé de quelques jours à peine, Lexington est élevé dans un strict régime végétarien dans la campagne du Vermont. Lui-même y prend tellement goût qu'il devient un véritable artiste de la recette sans viande. Quand sa grand-tante meurt, il doit aller à New York régler les affaires du testament. Là, pris d'une fringale, il entre dans un restaurant minable. On lui sert du porc au chou. Lexington est pris de frissons jubilatoires, jamais il n'a mangé une aussi bonne chose. Il demande la recette au chef, qui, devant son air de plouc, lui dit en manière de plaisanterie qu'il s'agit de viande humaine que chacun peut se procurer aux grands abattoirs de la ville. Lexington y court. Il est séduit par les méthodes d'abattage du porc. Puis soudain une chaîne s'enroule autour de sa cheville et Lexington entre dans la grande chaîne alimentaire... Curieuse histoire qui part dans toutes sortes de direction. D'abord l'histoire de la mort des parents de Lexington, celle du végétarisme de la grand-tante et des talents culinaires du garçon, ensuite l'épopée du plouc à New York et enfin la visite aux abattoirs et la fin ironique. Pourtant c'est tout bon, délectable et raffiné. Miam miam, j'ai beaucoup aimé cette histoire.

LE CHAMPION DU MONDE. Gordon et Claude vont braconner le faisan chez Victor Hazel, suffisant petit propriétaire amateur de chasse à courre. Ils emploient une méthode inédite : grâce aux somnifères de Gordon, ils endorment à peu près deux cents faisans qu'ils enfournent dans de gros sacs et ramènent au village au mépris de la vigilance des gardes-chasses. Ils font cadeau d'un lot de soixante-dix têtes à Bessie Organ, la femme de l'épicier. Bessie en remplit son carrosse d'enfant, sous son bébé. Au milieu de la place du village, les faisans commencent à sortir de leur sommeil puis du landau et bientôt la place est remplie de faisans à demi éveillés qui trébuchent sur les pavés et tentent maladroitement de prendre leur envol, Bessie presse son bébé contre son sein en essayant de le protéger des faisans. Gordon et Claude ferment leur station-service et quittent le village... Une longue histoire qui prend tout son temps pour arriver à sa fin : encore une fois, un arnaqueur est arnaqué.

Le ton des nouvelles est plaisant, débonnaire, amusé. On lit avec un plaisir souvent très grand, on est souvent débalancé par la fin, puis au bout du compte, on se prend à aimer la manière louvoyante de raconter, les atmosphères finement décrites, les dialogues toujours précis et savoureux (comparables à ceux de René Fallet). C'est, en fait, très aristocratique. Un beau dimanche et Cochon dominent le recueil. Pas loin derrière, il y a Madame Bixby et le manteau du colonel, La logeuse, Tous les chemins mènent au ciel et Edward le conquérant. Un excellent rapport qualité-prix.



Kiss Kiss
Roald Dahl
1991, Folio
édition française originale 1962
titre original inconnu
304 pages
lecture : janvier 95

La sirène rouge - Maurice G. Dantec

La petite Alice Kristensen s'enfuit de chez elle quand elle acquiert la preuve que sa mère et son beau-père ont assassiné de manière affreuse la jeune préceptrice srilankaise qu'elle adorait. Alice court chercher refuge à un commissariat de la police d'Amsterdam où elle est accueillie par l'inspectrice Anita Van Dyke. Dans sa fuite, Alice a chipé la cassette vidéo de la mort de la préceptrice, un snuff movie de qualité professionnelle (ce qui fera dire à l'auteur que l'entreprise vampirique d'Eva Kristensen se situe à la confluence de l'industrie nazie et de la production hollywoodienne). Malheureusement, en dépit des apparences, la cassette ne peut servir à inculper Mme Kristensen qui, de son côté, avec l'aide d'une batterie d'avocats jouant de moyens absolument légaux, demande une injonction pour récupérer sa fillette. Alice se doute que le pire l'attend si elle retourne chez sa mère : aussi profite-t-elle d'une défaillance du système de sécurité policière érigé autour d'elle pour mettre les voiles.

Elle court, elle court, elle est poursuivie sans relâche; elle se cache sous une couverture dans une Volvo mal verrouillée. Il s'agit de la voiture de Hugo Toorop, mercenaire néerlandais combattant du côté de la jeune république bosniaque. Il est alerté par le manège d'un van qui arpente les rues du quartier (il croit d'ailleurs que c'est lui qu'on recherche). Il découvre Alice dans l'auto. N'écoutant qu'une vague impulsion, il adhère aux bribes d'information qu'Alice lui sert. En sa compagnie, il part à la recherche de son père -- Stephen Travis -- pour lui remettre la fillette. Alors là, c'est le début de la grande cavalcade cauchemardesque qui va les mener sans répit du nord des Pays-Bas jusqu'à la côte portugaise, laissant derrière elle une véritable piste de cadavres pis que celle d'Attila.

Mme Kristensen est vraiment sérieuse, elle veut ravoir sa fille. On peut vouloir revoir la Normandie, elle veut ravoir le fruit de ses entrailles. Son empire morbide est menacé, la découverte de la vidéocassette peut mener à l'éventuelle découverte de toutes les autres vidéocassettes — car il y en a des milliers, Mme K a tiré de son vice un max de profit. Car Mme K est riche, fabuleusement, et pleine de ressources, diaboliquement. Elle met sur la trace d'Alice plusieurs équipes multi-ethniques composées pour l'essentiel d'éléments très douteux choisis dans les services spéciaux des polices de régimes déchus (Roumanie, Afrique du Sud, Bulgarie, Allemagne de l'Est — des gars capables de tout contre n'importe qui, on comprend vite que ce ne sont pas des ballerines). Ils allument rapidement, pour un oui, pour un non.

La piste pour retrouver Stephen Travis est longue, sinueuse, déroutante. L'homme se terre, il connaît bien son ex.

Hugo et Alice vont se reconnecter par le plus grand des hasards au cours d'un carnage épique dans un gite du passant retiré et sublimement tranquille — pas pour longtemps. Boum boum. Dix morts sur le terrain, des hommes de Mme K, un policier, des aubergistes innocents. Depuis Salazar, jamais tant de sang n'aura coulé au Portugal. Heureusement, l'entraînement militaire d'Hugo porte fruit et tous les trois s'en tirent sans trop de mal (Anita se fait casser un bras et la vareuse d'Hugo est transpercée, heureusement ça ne se voit pas). C'est le hit squad de Mme K qui est mis à mal. Pourtant, comme dans un cauchemar, la chasse reprend; Hugo et Anita courant après le père d'Alice, les hommes de Madame courant après le même ainsi qu'après la fillette.

La frontière hispano-portugaise ne sera plus jamais la même (il y manquera du monde en tous cas). Finalement, à force de rabouter des indices, on localise Travis dans un petit village de la côte. Hugo et Anita doivent faire leur chemin à force de persuasion et d'ingéniosité, les hommes de Mme K ne font pas, quant à eux, dans la dentelle; on prendra pour témoin le Grec, un ami de Travis, qui y laissera salement sa peau, là sur la table de sa cuisine après que des petits rigolos l'aient littéralement charcuté vivant (c'est moins plaisant qu'on ne peut se le représenter, et l'auteur a le don très vif de l'évocation). Chez le Grec, les deux groupes trouveront les indices nécessaires menant à Travis.

Hugo et Anita retrouvent Travis. Il raconte son histoire de dealer repenti qui fait maintenant dans la contrebande d'armes en direction de la Bosnie (ici, Hugo se dit que le monde est petit, non ?), son divorce d'avec Eva Kristensen avant qu'elle ne dégénère (ce qu'il pressentait vaguement), le super voilier qu'il a fabriqué (avec l'argent de la contrebande) et avec lequel il fomentait le projet d'enlever Alice et de partir vivre avec elle au Brésil dans la clandestinité, avant que les événements ne se précipitent.

Mais le dernier carré d'hommes de Mme K rattrape lui aussi Travis. Autre carnage; les hommes se saisissent d'Alice qu'ils embarquent sur un gros hors-bord avec l'idée de la transborder sur le luxueux yacht de la millionnaire du snuff movie. Travis met son voilier à l'eau dans l'espoir de rattraper les truands. Poursuite sur océan démonté. Le transbordement de la fillette s'effectue. Aiguillonné par Hugo qui ne conçoit pas d'autre solution, Travis éperonne le yacht de son ex, The Red Siren (d'où le titre, on se demandait bien comment l'auteur le justifierait). Madame se tue à la grenade après un speech revivialiste sur les joies du culte vampirique, sur le pouvoir du prédateur, « la prédation est un jeu » affirme-t-elle à Alice. La grenade explose, décapite Eva Kristensen, c'est moche à voir. Alice s'en sauve in extremis.

Les méchants sont tous morts et les bons sont presque entiers (un ami de Travis y laissera sa peau). On pressent que l'empire de Mme K sera démantelé, mais que ce n'est que la pointe de l'iceberg. La demande pour son produit est si grande... Alice retrouve donc son père qui peut enfin sortir de la clandestinité. Une fugace histoire d'amour s'amorce entre Anita et Hugo, à laquelle Hugo trouve le moyen de ne pas céder — préférant le retour à la vie cachée, riche d'un sens obscur.
Un très haletant roman sur le mode picaresque. Le gars sait faire en ta. Ça déménage hardiment. Il y a des coïncidences très grosses, on ne comprend pas toujours pourquoi les hommes de main de Mme K réagissent si lentement quand ils retrouvent Hugo, ou alors on se demande pourquoi ils agissent si peu quand, pourtant, ils le suivent quasiment pas à pas. On se fout des raisonnements et des questionnements. C'est du grand roman d'action, sans répit, sans jamais un petit air de flûte pour ralentir le mouvement. C'est un road movie adapté à la littérature. Juste pour la forme, on pourra reprocher à l'auteur un usage par moments inusité de la virgule...

La Sirène rouge
Maurice G. Dantec
1995, Série noire Gallimard
édition originale 1993
479 pages
lu: août 95

mardi 26 juillet 2011

Zapping - Didier Daeninckx

LA PLACE DU MORT. Profitant du bouleversement des mœurs politiques après la victoire socialiste de 80, un journaliste de province s'est hissé au firmament des vedettes locales. Il met à jour une magouille de spéculation immobilière incriminant le maire de la ville, qui doit fuir. Usant de son pouvoir médiatique, le journaliste Tolona s'impose comme le chevalier Bayard de la lutte à la corruption. Puis il est assassiné. Le réseau décide de poursuivre son émission télé en mettant à sa place une marionnette de latex à son image... Grinçant et cynique, ce texte est quand même difficile à lire en raison de l'idiome argotique utilisé dans les milieux de la télé française et des références culturelles dont on saisit parfois mal le sens.

LA CHANCE DE SA VIE. À l'émission de Jacques Pramarre, on sollicite les dons pour aider des démunis face à des injustices. Cette semaine, Adélaïde, victime d'une erreur médicale, a perdu sa cause en appel et doit maintenant rembourser 700 000 francs. Pendant une heure, les téléspectateurs vont contribuer au téléthon. C'est la générosité médiatique. On accumule la somme. Adélaïde retourne chez elle, le cœur léger. A la maison, son père et ses frères veulent la forcer à leur remettre l'argent. Elle attrape un fusil et les tire à bout portant; quand la police intervient, devenue paranoïaque, Adélaïde défouraille à tout venant... Virulente critique des médias de la charité, avec un dérapage familial en bonus à la fin. C'est court et c'est merveilleux.

UNE QUESTION POUR UNE AUTRE. François Lincan a perdu le gros lot à l'émission Commando. Revoyant la vidéo, il se persuade que son concurrent a été aidé par l'animateur, Michel Ferriot. Lincan voue une haine féroce à Ferriot. Il le tue, puis Lincan meurt peu après dans un accident bête. Le lecteur apprend que c'est la femme de Ferriot qui renseignait le concurrent qui, finalement, la prend pour épouse... Convenable mais moins convaincant que les autres textes.

SANTÉ A LA UNE. Alain et Elisabeth font du tourisme lorsque Alain reconnaît une ancienne flamme, Michèle. Il se met à ses trousses. Elle est salement amochée par la drogue et elle ne le reconnaît pas. Alain se fait tabasser par ses pushers. Un peu plus tard, Alain abandonne carrément Élisabeth au profit de l'ombre de Michèle qu'il a une encore entrevue; mais là, Michèle vient de commettre un meurtre et Alain perd aussi Michèle... Pas très réussie la nouvelle, le lien avec la télé est quasi inexistant, et on ne croit pas à la ferveur qui pousse Alain vers Michèle.

CINQ SUR CINQ. La présentatrice d'une émission d'actualités négocie ferme un contrat blindé parsemé de privilèges éhontés. Puis elle court animer une émission qui porte sur la pauvreté qui ravage le pays et à propos de laquelle personne ne fait rien... Celle-là, c'est un chef-d’œuvre de cynisme avoué et d'hypocrisie crasse.

RODÉO D'OR. Parce qu'il a manqué une nouvelle régionale importante, un réalisateur tourne un remake en demandant aux protagonistes de refaire leur numéro. Un des gamins meurt quand une voiture dérape et prend feu. Grâce à ce reportage en direct, le réalisateur se mérite un Sept d'Or couronnant les meilleures émissions de la télé... Banlieue arabe, jeunes loulous prêts aux quatre cents coups, une atmosphère absolument réussie, mais un texte qui laisse sur sa faim à cause d'une faiblesse bon sentiment à la fin.

LE PSYSHOWPATHE. Dans son immeuble aux murs de papier, Valérie est intrigué par un nouveau voisin. Elle se met à l'épier quand elle l'entend au lit avec une femme. Elle le voit nu, ça l'excite secrètement. À la fenêtre, elle le voit en train de frapper sa compagne avec des ciseaux, Valérie se précipite, enfonce la porte. Le gars est en train de poignarder une poupée gonflable. Devant Valérie, il fond en larmes et avoue avoir besoin d'elle. Valérie se jette contre lui... Détails évocateurs, chantournage riche et précis des éléments du texte, qui s'ouvre sur une fausse piste, un genre de chute — si on veut — placé en début d'histoire plutôt qu'en fin. Une excellente nouvelle, érotique de surcroît.

TIRAGE DANS LE GRATTAGE. Stan, Norbert et Cyrille braquent une banque et se terrent dans une villa louée à la campagne. Quand Cyrille va faire des courses, la police fait une descente, met la main au collet de ses comparses suite à une délation. C'est normal puisque la banque offre 10 millions de récompense. Cyrille entend que le père Chassagne a été vu avec une très grosse somme d'argent qu'il tentait de cacher. Voilà le délateur. Cyrille tue le père Chassagne et fait main basse sur le magot. Le père Chassagne venait de gagner le loto, c'était la chance de sa vie... Une méprise, un crime qui en amène un autre. Les histoires de Daeninckx n'offrent pas toujours tous les éléments de résolution souhaités, ici, par exemple, on ne sait pas et on ne saura jamais qui a vendu les braqueurs.

VOIX SANS ISSUE. La nuit venue, une femme écoute la voix onctueuse de Bruno sur les ondes de Radio-Solitude en se masturbant secrètement. Seulement c'est interdit dans cette maison pour retraités... Une histoire triste, moche, de vieillards parqués dans des chambres sans intimité, impitoyablement réprimés quand la solitude les gagne et qu'ils tentent de se réconforter.

LES ALLUMEUSES SUÉDOISES. Jacques Vidal a vécu son éveil sexuel grâce à la cinématographie suédoise, à ces actrices peu inhibées et à ses metteurs en scène pour qui le sexe était une source de joie et d'humour ou de poésie. Les temps ont changé, à son plus grand scandale, sa fille s'intéresse au cinéma suédois pour la valeur de ses productions... Très anodin, quelques souvenirs heureux de films connus et d'actrices, ah Bibi, ah Liv, charnelles et si belles et si délectablement femme.

RAFLE EN DIRECT. Le gouvernement français rafle tous les étrangers et les expédie manu militari sous d'autres cieux. A l'aube du 15 juillet de l'an 2000, la France se réveille bien grasse et toute blanche... Cinglante dénonciation de l'intolérance. Ça tient plus du pamphlet que de la fiction.

POURSUITE TRIVIALE. Dans un futur proche, une famille joue à un incessant jeu télévisé qui leur assure des pilules d'amour, des heures de sommeil, de la nourriture pour le chien, des heures de sortie, et ainsi de suite... Le sarcasme est vite anodin, et la nouvelle offre finalement peu de choses sinon cette vision bancale d'un futur rigidement soumis au diktat des jeux télévisés (sans qu'on nous explique pourquoi : la méthode Daeninckx montre sa faiblesse dans les textes plus SF qui justement doivent se déployer autour d'une simili-explication).

F.X.E.E.U.A.R.F.R. En 1944, les hommes et les garçons du village de Nothange sont emmenés pour être exécutés par les soldats de la division SS Das Reich. Seul Patrick en réchappe, on ne sait comment. Quarante ans plus tard, lors de l'émission Au nom de l'amour qui met en contact des personnes depuis longtemps séparés, la sœur de Patrick lance un appel pathétique. Patrick est retrouvé par la police car on le cherchait aussi pour un braquage d'épicerie. Il écoute Des chiffres et des lettres (d'où le titre) au moment où la gendarmerie intervient : c'est la grosse vilaine canonnade, Patrick est abattu. Le mot qu'on cherchait à DC&DL, c'était faux-frère... La télé comme instrument de la justice immanente et comme révélatrice des fautes du passé.

ŒIL POUR OEIL. Pour l'émission hebdomadaire de Légendes du pays, Roland Rastrols a invité les héros d’un sauvetage hors du commun à tenter de gagner une cagnotte en faveur de Véronique, une jeune aveugle à qui une opération dispendieuse rendrait la vue. L'émission va bon train, mais au moment de doubler la mise finale, le concurrent rate la question et c'est tintin pour Véronique qui devra se contenter d'une moitié de cagnotte. Elle va aux USA se faire opérer un seul œil. « D'aveugle, elle devint borgne .» (p.155)... Cruelle et ironique, c'est une excellente nouvelle où la télé et les faux jetons pieux et charitables qui l'animent n'en ont que pour l'audimat.

BIS REPETITA. Bernard soupçonne sa femme d'avoir une liaison avec un certain Marc Laurenti, probablement un écrivain, car un manuscrit portant ce nom la suit en tous temps. Bernard est sidéré par le manuscrit, c'est un roman porno, dans lequel les comportements amoureux de l'héroïne rappellent beaucoup ceux de Nadine. Bernard laisse l'amertume le gagner, qui se change en volonté assassine quand il tombe sur une description très précise des grains de beauté qui se cachent entre les lèvres du sexe de Nadine. C'est la preuve qu'il ne souhaitait pas. Il tue Nadine et se précipite chez l'éditeur de Marc Laurenti pour lui faire un mauvais parti. Il apprend la vérité : Laurenti est un nom d'emprunt sous lequel travaillent les auteurs d'une série érotique parmi lesquels cette nouvelle venue, Nadine... Ouille ouille ouille que cette nouvelle-là est délicieuse. Exemplaire, la dérive paranoïaque de Bernard, incapable de distinguer la réalité de la fiction qu'il se met lui-même en tête. La meilleure du recueil.

TICKET TOUT RIDÉ. Jessica gagne la cagnotte au loto télévisé. Elle se précipite vers l'aéroport où elle est rejoint par une autre femme qui l'abat. La police intervient. Jessica n'était pas Jessica, c'était une amie envoyée à la télé car la vraie Jessica est une criminelle en fuite, recherchée par toutes les polices. Seulement après le tirage, la fausse Jessica a voulu prendre la fuite avec le magot... Bof. Les textes ne peuvent pas être tous gagnants.

FARMING CLASS HERO. Jean-Claude Charlois fait l'objet d'un reportage à une émission de prestige. Il est devenu un héros parce qu'il a sauvé des gens d'un incendie. Après quelques semaines, la gloire s'étiole. Jean-Claude, sans le sou, échaudé, décide de mettre le feu lui-même à une ferme et de jouer de nouveau les héros. Ça foire, la grange et la maison brûlent, en périssent les occupants. Jean-Claude est écroué. Mais il refera une émission, sur les pyromanes, cette fois-ci... Les histoires deviennent plus ordinaires en fin de volume — est-ce la tolérance du lecteur qui va diminuant ou l'effet de nouveauté s'affaiblit-il ?

UNE FAMILLE DE MERDE. Sur le plateau de Plein aux as deux familles s'affrontent, une haut de gamme, l'autre bas de gamme. Les riches contre les pauvres. Évidemment, les pauvres sont parfaitement nuls mais hautement pittoresques et bientôt le public en studio les encourage vivement, chahutant les riches. Des révélations sont faites dans le courant du jeu, le père des riches est l'amant de la fille des pauvres, la chicane pogne pour de vrai et ça finit en bagarre où se mêlent les participants, le public et l'équipe technique... Le plus amusant des textes de ce recueil, qui n'a d'autre but que de faire rire.

LEURRE DE VÉRITÉ. Demandé pour faire la régie d'une émission d'affaires publiques dont l'invité est Gilles d'Auray (c-à-d gueule de raie, alias Le Pen), Simon Elmaz qui le déteste s'arrange pour le montrer sous ses plus mauvais angles, avec d'interminables gros plans qui mettent en évidence ses bajoues et sa couperose. Durant l'émission, des militaires font irruption et emmènent Elmaz. C'est le coup d'État, D'Auray vient de prendre le pouvoir avec l'aide de l'armée... La verve de Daeninckx prend une tournure amère. L'histoire relève ici de la politique-fiction, et malgré l'ironie finale, le lecteur reste pantois devant la fulgurance des évènements qu'il n'attendait pas.

LE PENOCHET. Le Penochet est au pouvoir. Les grandes manœuvres pour purifier la France ont commencé. Profitant d'un grand rassemblement pénochettiste à Dreux, Maurice Laurint sort de la cachette où il se terrait depuis le coup d'État, revêt son ancien costume de déporté et va abattre Le Penochet. Il est abattu en retour par les skins du service d'ordre... Un texte brutalement simple, sans effet ironique, juste une fiction dénonciatrice.

Un excellent recueil de nouvelles. Le talent de l'auteur est immense, il sait y faire. Je retiens tout particulièrement : La Chance de sa vie, Cinq sur cinq, Le Psyshowpathe, Œil pour œil, Bis repetita et Une famille de merde. Ce qui en fait beaucoup, non ?

Zapping
Didier Daeninckx
1994, Folio
édition originale 1992
228 pages
lecture : janvier 95



Le géant inachevé - Didier Daeninckx

L'inspecteur Cadin enquête sur le meurtre de Laurence Cappel, retrouvée morte d'un coup de pistolet, l'arme du crime entre les mains d'un ancien copain de lycée. L'affaire est rapidement classée jusqu'à ce que le présumé meurtrier, après un an d'aphasie catatonique, décide de s'accuser du meurtre avant de se suicider. Pourtant ça cloche : il en met trop. Cadin se retrouve en campagne, à renouer les fils de cette histoire.

Par compassion, Laurence Cappel fournissait en drogue son frère (mort un peu avant elle) qui faisait une rechute après un stage de désintoxication. La facture était plutôt lourde et elle ne pouvait, sur son seul salaire, fourguer la came à frérot et payer les arrérages du centre de désintox. En conséquence, Cadin soupçonne une malversation. Laurence travaillait pour au service de l'approvisionnement d'un hôpital, où elle avait beau jeu de détourner les sommes nécessaires.

Cadin met en évidence que dans les relations du frère de Laurence, il y avait le jeune Courtini, fils d'un magnat du camionnage, fils lui-même adepte des drogues dures. Courtini père avait chargé un détective privé de filer son fils; apprenant le secret du fiston et le profit qu'il y avait à faire en menaçant d'ébruiter l'affaire dans les journaux, le détective avait fait chanter Courtini un temps jusqu'à ce que ça se finisse tragiquement pour le premier. Sentant Cadin sur ses fesses, Courtini commence à paniquer et tente de le tuer à la faveur d'un shout-out nocturne dans une ancienne rampe de lancements de V-2. Cadin lutte à la fois contre Courtini, car les morceaux du puzzle s'emboîtent les uns aux autres et son dessein apparaît obscurément d'abord puis plus clairement, et contre ses supérieurs qui jugent ténébreux et peu convaincants les éléments rassemblés par l'inspecteur.

Cadin persiste.

Lors du duel nocturne, Cadin a blessé Courtini. Ne le retrouvant pas, il se rabat sur la femme de celui-ci. Il la rencontre dans une première de théâtre, vient pour procéder à l'arrestation (Cadin juge qu'il faut provoquer les choses, et il soupçonne madame Courtini de complicité) lorsqu'elle est abattue devant ses yeux. Cadin tue le meurtrier, qui était le partenaire du détective privé venu assouvir sa vengeance et reprendre le chantage contre le magnat du camionnage. Gadin retrouve Courtini, sérieusement amoché par les balles, qui avoue tout, faisant par le fait même les liaisons qui manquaient au raisonnement de Cadin.

Courtini garde son influence politique. Aussitôt après l'étouffement de l'affaire par les autorités, Cadin est muté de Hazebrouck vers Courvilliers.

Daeninckx est un romancier noir, très noir. Et ça n'a rien à voir avec la couleur de sa peau, car elle d'un blême à faire peur. Le roman se passe dans le nord de la France, tout près de la Belgique. Le ciel est ferraille, l'horizon bas et les paysages sont gris, sales et blafards : c'est l'atmosphère très réussie de ce roman... L'histoire racontée est, au bout du compte, moche, grise, compliquée, et dessus, pareil à une couverture trop lourde, le destin inéluctable qui mène des gens à la mort et des vivants à trop de connaissance. Déjà, dans ce roman, le germe du suicide de Gadin est semé (qui éclatera dans la dernière des nouvelles du Facteur fatal). C'est ce qui frappe le plus, d'ailleurs, cette inéluctabilité du destin, des événements. La vérité vaut-elle le travail qu'on met à l'extirper, à la mettre à jour. Cadin accomplit son travail avec un entêtement sans enthousiasme, à la limite de l'indifférence émotionnelle et sans même la joie de coffrer les meurtriers. La découverte de la vérité entraîne des conséquences qui viennent s'abattre mollement, presque négligemment, sur la tête de Cadin — qui s'y attendait.

On ne rit pas dans ce roman, l'humour y est totalement absent, il n'y a que la présence cynique, ironique du destin qui guette méchamment les hommes.


Le Géant inachevé
Didier Daeninckx
Série noire, 1984
édition originale 1984
212 pages
lu: février 95

Facteur fatal - Didier Daeninckx

Recueil de nouvelles qui met en scène l'inspecteur Cadin et qui marque son itinéraire professionnel au gré de ses mutations.

Croix de bois, croix de fer. Une jeune fille de quinze ans prétend avoir été victime d'une agression sexuelle par un clochard portugais récemment immigré. Cadin prend les dépositions de tout le monde. Des années plus tard, il apprend le suicide du Portugais, de même que le mensonge de la jeune fille... Un drame où l'inertie des choses et des mensonges prend un poids considérable. Cadin observe, sans déceler la vérité. Le mensonge de la fille est convainquant, les balbutiements de l'agresseur nuisent à sa cause. Une tranche de vie banale et méchante, où les conséquences des gestes gratuits sont fatales.

Le Facteur fatal. Le cadavre d'une femme est retrouvé. Elle entretenait une correspondance énorme avec des tas de gens. Cadin découvre qu'elle couchait avec la plupart de ses correspondants, généralement des êtres réduits, mal-aimés, laids ou infirmes, et qu'ils étaient tous amoureux fou d'elle. C'était une infirmière des cœurs, si on veut. Celui qui l'a tué, dans un accès de rage, c'était un pauvre type, petit et dominé par sa mère : la victime avait arraché sa moumoute dans un faux mouvement et avait été saisie d'un fou rire inextinguible... Une histoire extraordinairement triste sur la misère et la solitude humaines. Cet ange de bonté qu'est cette grande femme moche assassinée par plus petit qu'elle, c'est une parabole touchante et vraie de la condition humaine. La meilleure nouvelle de ce beau recueil.

Voie de garage. En pleine nuit, une jeune fille se fait happer à mort par une BMW. L'automobiliste disparaît. Cadin mène l'enquête. Grâce à une chance pas croyable, il coince le tueur qui vient de cacher sa voiture dans un trou aux prix de nombreuses ampoules... Faible et plus que banal (dans le mauvais sens du terme); ce qui intéresse le plus, ce n'est pas la résolution de l'énigme, ce sont les petits gestes du quotidien, les querelles du commissariat, les intrigues politiques municipales. Ça, Daeninckx ne l'oublie jamais, c'est la chair autour de l'os.

Exécution sommaire. Loubry, le conseiller en communication de la ville de Toulouse vient d'être assassiné. On retrouve une menace de mort contre lui daté de six mois et signé par un Arabe. L'enquête se dirige donc tout naturellement vers lui. De la petite histoire de l'Algérie française, Cadin extrait une encore plus petite histoire de crime horrible non vengé depuis trente ans. Mais le vrai coupable n'est pas l'Arabe qui ne faisait que rappeler à Loubry le meurtre de son frère en 1954. Ce qu'il y a derrière, c'est l'appât du gain sans scrupules... Daeninckx excelle â piocher dans les affaires franco-algériennes (voir Meurtres pour mémoire) et cette nouvelle en est une preuve éloquente. L'intrigue grouille d'un petit monde de politicards et de magouilleurs, d'affaires louches et de police politique.

Un privé à la dérive. Cadin est passé à la pratique privé. Un industriel prospère le charge de retrouver sa femme qui vient de le quitter. Pourtant elle a tout, dit l'homme. Cadin suit sa trace à travers la France. Il est tombé bien bas. A Paris, il rappelle son client qui lui dit de cesser l'enquête parce que sa femme vient de faire son retour. Cadin la voit pour la première fois, elle a un sourire de défaite aux lèvres... Une très prenante nouvelle du désespoir sourd des chaînes qui nous lient au confort.

Souvenir à la fenêtre. Le commissaire Cadin remet à un collègue un texte qui raconte une histoire de famille, d'enfants pauvrement aimés et pleins de ressentiment envers leurs parents qui en ont autant pour leurs chers petits. L'histoire d'une longue vengeance qui met des décennies avant de trouver sa résolution dans le meurtre du fils par le père (une surprise, car la nouvelle donnait l'impression que l'inverse se produirait). Le fils assassiné, c'est le frère de l'inspecteur Cadin... L'histoire dans l'histoire, une histoire en apparence banale d'une vendetta qui met du temps â être assouvie et qui, en raison d'un malentendu, se termine par un drame familial sanglant. Une nouvelle éclairante sur la psychologie de Cadin mais en même temps, à cause de la technique employée (l'histoire dans l'histoire), un texte moins prenant que les autres.

Épilogue albertiviliarien. Quatre pages pour la désespérance de Cadin. Il est presque minuit, le 31 décembre 1989. Dans quelques secondes, la nouvelle décennie va commencer. Cinq... quatre... trois... Cadin amène le canon du revolver contre sa tempe... deux... un... il appuie sur la détente... « Le monde entrait dans les années 90. » (p. 201)

Un excellent recueil de nouvelles, qui laisse une vive impression. Avec le Facteur fatal, Exécution sommaire et Un privé à la dérive qui dominent le palmarès, les autres pas loin derrière.


Le Facteur fatal
Didier Daeninckx 
Folio, 1992
édition originale 1990
201 pages
lecture : juillet 94

Le Der des Ders - Didier Daeninckx

Paris, un an ou deux après la fin de la Der des Ders.

René Griffon a fondé sa propre agence de détective privé spécialisée par la force des choses dans les affaires matrimoniales. Les soldats de retour au foyer sont nombreux et les veuves de guerre ont la cuisse légère, elles avaient dans bien des cas perdues l'espoir de revoir leurs hommes. Griffon vivote dans son meublé en compagnie d'Irène, sa secrétaire, avec lequel il partage une passion identique pour le sexe.

Le colonel Fantin de Larsaudière fait appel à ses services car on le menace de chantage. Pour lui, aucun doute, c'est sa femme qui est derrière tout ça. D'autant plus que c'est la vraie madonne des anciens combattants, n'aimant rien mieux que de s'envoyer en l'air — surtout — avec des vétérans de l'aviation. Le colonel charge Griffon de faire cesser ces tentatives de chantage et de démasquer la coupable, c'est-à-dire madame la Colonelle.

Très vite, Griffon soupçonne la maldonne quand la fille du colonel rate son suicide et que lui-même intercepte un message du maître-chanteur que le colonel ne lui délivrera jamais. En effet, il ne s'agit pas d'une banale histoire de mœurs, c'est une histoire politique. Celui qui cherche à faire chanter le colonel est un infirmier du sanatorium des vétérans où meurent les derniers gazés du conflit. Cet infirmier a recueilli les confidences d'un soldat, entre-temps décédé, qui jette la lumière sur le comportement du colonel durant la guerre, notamment à la bataille où le régiment fut complètement décimé et le colonel un des rares survivants. Durant cette bataille, le colonel s'est conduit avec la plus extrême pleutrerie (c'est pardonnable), allant jusqu'à abattre un subalterne lui reprochant son incapacité à commander (ça l'est moins). C'est le motif du chantage, le retour des assassinés, de ces soldats envoyés à la plus grande boucherie de tous les temps pour la gloire de la Patrie et du colonel. Le maître-chanteur ne veut rien d'autre que faire mijoter le colonel dans son jus avant de couler l'histoire aux journaux.

Pour d'autres motifs, le colonel a décidé de se débarrasser de la colonelle. C'est pourquoi il a orienté l'enquête de Griffon vers celle-ci. Mais, de découvertes en découvertes, Griffon voit la vérité lui éclater en pleine face. Après l'homicide de l'infirmier maître-chanteur, Griffon, lui-même ancien combattant et gardant rancœur de ce carnage, décide de poursuivre l'oeuvre vengeresse et de faire publier lui-même le texte infamant. Suite à une méprise, car Griffon a dû assommer un communiste pour reprendre le texte de l'infirmier, le communiste et ses amis tuent Griffon et Irène, brûlant par le fait même le manuscrit compromettant et sauvant la réputation du colonel. Le roman s'achève ironiquement sur une invitation à l'inauguration du Monument aux Morts de Courvilliers, sous la Présidence d'Honneur du Colonel Fantin de Larsaudière, de l'Héroïque 296e régiment, avec Concert Patriotique par la Fanfare des Invalides.

Daeninckx est un fouille-merde accompli. Ici, il déterre une période historique pratiquement oublié, celle de l'après première guerre. Il a le sens du mouvement social et des luttes qui déterminent le sens que celui-ci prendra. Cette partie-là du roman est une exemplaire réussite. L'histoire du lâche que l'on prend pour un héros, doublé d'un fourbe assassinant ceux qui l'ont surpris en pleine lâcheté, ça ne brise rien. On a déjà vu, ou on a l'impression d'avoir déjà vu — ce qui du point de vue du lecteur revient au même, la surprise n'existe pas. Et le ton qu'emploient les personnages de Daeninckx, débonnaire, farci de bons mots, de répliques faciles, s'il est justifié par une apparente fausse gaieté — un petit je ne sais quoi — en prise directe sur la réaction au plus grand des carnages injustifiables de l'histoire de l'humanité; ce ton-là n'emporte pas mon adhésion et me fait l'effet d'une intrusion de l'auteur; la preuve étant que tous les personnages en sont affectés, ce qui est faux, bien entendu, mais j'essaie de justifier mes affaires, na. En résumé, mi roman à l'intrigue bien faite bien que sans surprise, mené dans un contexte social magistralement exposé, où la douleur des personnages est parfois dite en images brèves, ironiques et implacables : le mariage de l'amie d'Irène à un cul-de jatte, l'armée française bombardant un contingent russe à l'arrière des lignes, tout cela soulignant l'extrême dureté d'une époque cynique, agonisante et frivole, d'une jeunesse arrachée à des hommes comme un membre perdu dans une bataille inutile.

Le Der des ders
Didier Daeninckx
1984, Série noire
édition originale 1984
216 pages
Lu : février 95

lundi 21 mars 2011

Sphère - Michael Crichton


Le docteur Norman Johnson, spécialiste de la psychologie des victimes de catastrophes, est appelé pour se rendre de toute urgence en plein milieu du Pacifique sur une plate-forme de la Marine américaine. Jadis, Johnson avait écrit un document de travail préparatoire sur la possible rencontre avec des extraterrestres. La Marine a découvert un vaisseau spatial vieux d'au moins plusieurs centaines d'années à 350 mètres de profondeur, une équipe de spécialistes a été assemblée et tout le monde se prépare à plonger.

Mais le vaisseau n'est pas d'origine extraterrestre. C'est un vaisseau du futur. Descendu en plongée profonde et vivant dans un habitat sophistiqué, les membres de l'expédition apprennent qu'en surface il y a une tempête telle que les vaisseaux doivent aller se réfugier. Pendant cinq jours, l'expédition devra vivre sans contact et sans possibilité de remonter.

Une sphère est découverte dans le vaisseau. Une énorme sphère. Un des membres de l'expédition arrive à pénétrer à l'intérieur, quand il en ressort, quelques heures après, les choses commencent à se détraquer. Le dérapage sera d'abord léger (nous sommes dans un suspense, après tout) puis ira en s'amplifiant, devenant une terreur de plus en plus prenante.

Finalement on saura que la sphère est un piège, ou plutôt une machine à évaluer l'intelligence (c'est en tous cas la meilleure explication à laquelle en viennent les chercheurs) qui garde les portes d'un autre univers (auquel on accède via le vaisseau qui est finalement un engin conçu pour explorer/traverser les trous noirs). La sphère concrétise les rêves et les cauchemars de ses utilisateurs, si ceux-ci résolvent leurs terreurs, automatiquement les problèmes sont réglés.

À force de ruse et de sueurs, Johnson et deux autres survivants de l'odyssée parviennent à déjouer le piège de la sphère et à l'éliminer (il suffit plus ou moins de souhaiter sa destruction pour l'obtenir). La crise est passée.

Quel art du suspense. On dévore ce livre, on en gruge les pages qu'on avale sans mastiquer... Quel plaisir intense. Une vraie machine infernale : un mystère épais comme du sirop (mystères au pluriel, please). Crichton ne rechigne pas à la besogne : d'abord pourquoi cette mission, ensuite quelle est la nature de ce vaisseau, puis celle de la sphère, comment fonctionne-t-elle, Puis l'apparition d'une étrange faune marine, de monstres, de créatures de cauchemars... Servi sur une garniture de personnalités fortement typées et bien exploitées dans un huis-clos proprement infernal (il s'agit bien d'une descente, n'est-ce pas ?) Ce n'est pas le meilleur Crichton parce que cet auteur tire sa force de l'imparable crédibilité de sa démonstration scientifique; là, nous sommes plutôt en plein thriller délirant, avec une explication logique un peu faible, mais qu'importe : il y a le plaisir

Sphère
titre original : Sphere
Michael Crichton
Laffont, 1988
359 pages
lecture : juillet 94

Rising Sun - Michael Crichton

Lors de l'inauguration de la tour Nakamoto à Los Angeles, une jeune call girl meurt étranglée dans des conditions un peu obscures. L'agent de liaison de la LAPD, Peter Smith, est chargé de mener l'enquête auprès des ressortissants japonais présents.

C'est une affaire un peu compliqué, prétexte à une aventure singulière dont le cadre est l'Amérique corporative prise d'assaut par les conglomérats industriels japonais. Aidé par un vieux routier des affaires nippo-américaines, Peter Smith va pénétrer les arcanes de deux mondes étranges et familiers : celui de la haute finance, celui du Japon.

L'histoire est celle-ci : la société Nakamoto veut acheter une industrie américaine MicroCon qui fabrique des machines-outils vitales l'industrie des microprocesseurs. Si MicroCon passe en mains étrangères, les USA perdent un secteur crucial de la fabrication et du développement de l'industrie informatique. D'indépendants, les USA deviennent de moins en moins autonomes. Aussi le sénateur Morton (candidat potentiel à la présidence) s'oppose-t-il avec véhémence à cette vente. Il base toute sa campagne préparatoire à la présidence sur cet élément : pour demeurer forte, l'Amérique ne doit pas se vendre et doit conserver le plus possible les centres décisionnels au pays.

Invité à l'inauguration de la tour Nakamoto, le sénateur Morton est filmé au moment où il a une relation sexuelle avec la jeune call girl. À la suite d'un jeu strangulatoire destiné à augmenter le plaisir orgasmique, Cherryl Lynn Austin semble mourir dans les bras du sénateur, qui fuit les lieux. Cherryl reprend conscience après quelques minutes; mais son sursis n'est que temporaire, car un des sbires du conglomérat Nakamoto vient l'achever pour de bon. Requiem pour la belle poupoune.

Les ébats et le meurtre ont été filmés par six caméras. Un fin jeu de chantage commence à s'exercer sur le sénateur afin de le faire changer d'avis sur la vente de MicroCon à des intérêts japonais. Pour le lecteur, cette simple histoire de chantage devient l'axe principal du roman; jusqu'à ce qu'on se rende compte que le sénateur américain importe peu, que le jeu de la politique américain importe peu à ces industriels; ce qui s'est engagé, à la suite du meurtre de la fille de joie, c'est une guerre entre deux conglomérats japonais, une guerre de salissage, de ouï-dire, de réputation gâchée. Toute la mentalité japonaise est exposée dans ce duel entre des forces obscures et selon des règles peu compréhensibles pour des occidentaux (voire inacceptables — la morale et le sens de la vérité des Japonais diffèrent des nôtres; les Japonais forment un peuple secret, très porté sur la théâtralité des rituels quotidiens et des apparences).

Le roman s'achève sur la persistance des policiers américains à trouver le coupable qui se fait, comme il se doit, seppuku en se jetant en bas de la tour Nakamoto. Un arriviste de moins — car c'en était un.

Malaise. Malaise. Lisant le livre, si on substituait Juifs à Japonais, Allemands à Américains et si l'action du roman était située dans les années 30, on obtiendrait un roman de propagande et de haine raciale. Pourquoi se le cacher. C'en est un. Les Japonais sont systématiquement montrés sous un jour défavorable, sans que l'auteur daigne nous présenté un point de vue contradictoire (sauf à une ou deux occasions, grâce à Connors qui est un Américain qui connait bien le Japon pour y avoir vécu).

Reste que c'est un roman haletant et plein de rebondissements (même si d'un strict point de vue suspense, on voit venir... )

Rising Sun
Michael Crichton
Ballantine, 1993
399 pages
lecture : juin 93

Jurassic Park - Michael Crichton

John Hammond a créé un parc zoologique unique au monde. Par récupération et assemblage de particules d'ADN préhistorique trouvées dans les insectes conservés dans l'ambre (les insectes sont riches du sang de leurs victimes) et dans des spécimens congelés, poussé par un considérable effort financier, il a réussi à cloner des dinosaures sur une île spécialement aménagée près du Costa Rica. Son installation est absolument moderne et informatisée; rien ne peut clocher. Sauf que… 1

Parce que son organisation est sous enquête par le secrétariat d'État américain aux exportations technologiques, John Hammond invite un comité sélect de personnalités à venir constater l'avancement des travaux (le Parc Jurassique ouvre dans un an) ainsi que la sécurité des installations. Il y a là un mathématicien de renom, Ian Malcolm, qui se sert de la théorie du chaos pour faire les plus sombres pronostics (à mon avis, dans ce cas, Crichton confond la théorie du chaos avec la loi de Murphy, ha ha ha), un paléontologue qui sera le héros de l'histoire, Alan Grant; deux jeunes enfants, Tim et Alexis; un contrôleur des finances de la compagnie Gentech (qui a des parts importantes dans le parc), Donald Gennaro; le chef de la sécurité du parc et le directeur des relations publiques, plus une galerie de personnages secondaires, ceci sans compter John Hammond lui-même et Dennis Nedry, un petit gros à lunettes, grand champion de l'informatique ayant une crotte sur le cœur contre Hammond et qui mènera tout ce beau petit monde à la catastrophe. Pour se venger d'un mauvais deal avec Hammond, Nedry accepte de voler des échantillons génétiques et de les transférer sur le seul caboteur à faire la navette entre le parc et la terre ferme. Pour perpétrer son crime, il bloque tous les systèmes informatiques de l'île et provoque une panne électrique à la grandeur de l'île (ce dont il ne se doutait pas). Les animaux s'échappent de leurs enclos, surtout les vélocirapteurs et le tyrannosaure. Pour les visiteurs qui faisaient le tour de l'île en véhicules électriques, c'est l'enfer qui s'abat sur eux.

Les animaux s'attaquent à tout ce qui bouge, spécialement à ces petits humains auxquels ils prennent goût. Nous suivrons surtout les péripéties d'Alan Grant et des deux enfants Tim et Alexis dans leur pénible route vers la sécurité (pensent-ils) du chalet des visiteurs. Ils seront spécialement aux prises avec le tyrannosaure qui possède une espèce de sens de l'ubiquité assez étonnant. Et quand ils arriveront au chalet des visiteurs, ce sera pour y être confrontés avec une meute de vélocirapteurs qui les attend.

Évidemment, même la loi de Murphy a ses limites. Tout ne peut pas aller mal. Nos héros seront gagnants et l'île sera détruite par l'armée costaricaine, non sans un généreux dégât d'hémoglobine. Mais, mais, mais, entretemps, des vélocirapteurs auront traversés sur le continent et commencent à rôder dans les forêts de l'Amérique centrale. Le roman finit sur la promesse de ténèbres encore plus noires.

Il y a des choses qui sont typiquement américaines dans ce roman : le jeune héros, Tim, douze ans, capable de remettre en service tout le système informatique de l'île (comment croire à ça — et pourtant, oui, ça marche, merci M. Crichton !); sa tite­soeur, Alexis, qui pleure beaucoup; le méchant financier véreux, Hammond; le scientifique sans conscience, Henry Wu; le scientifique conscience-du-monde, Ian Malcolm; le bon scientifique, Alan Grant. Nous sommes dans l'allègre cliché. Peu importe. Ce qui compte, c'est le suspense — et quel suspense, quelle fabuleuse manière de relancer l'action, de ne jamais la laisser s'éteindre... Et aussi le sujet :ils sont fabuleux, féériques, ces monstres aux noms imprononçables... Crichton distille juste assez d'informations techniques pour captiver. Notamment sur les nouvelles théories de la physiologie et de la sociodynamique dinosauriennes. Tout ça est formidablement intéressant.

Jurassic Park
Michael Crichton
Ballantine, 1991
399 pages

Disclosure - Michael Crichton

Au début de la semaine, Tom Sanders, gestionnaire chez la firme de matériel informatique DigiCom, apprend que le poste qu'il pensait obtenir dans la réorganisation de l'entreprise lui échappe aux mains d'une femme avec laquelle il a eu une liaison dix ans avant, Meredith Johnson. Il est un peu écœuré d'avoir été manoeuvré et d'avoir cru que son heure étaient venue d'accéder à la direction exécutive, mais il a peu le temps pour s'apitoyer sur son sort car le nouveau lecteur CD ultra-rapide dont il est responsable du développement et de la mise en marché et qui est le fer de lance de DigiCom dans un marché de plus en plus coriace, ben, ce lecteur ne répond plus au attente et ne livre pas les performances auxquelles tous s'attendaient, notamment les nouveaux acquéreurs de DigiCom. Sanders est propulsé au cœur de la controverse.

À la fin de ce lundi pour le moins difficile, Meredith Johnson lui donne rendez-vous dans son bureau pour discuter de son avenir. Meredith a toujours été une femme très sensuelle, the great executive cocksucker comme on l'appelle, aux sens brûlants et à la sexualité débridée. En compagnie de Tom, elle se met à ressasser de vieux souvenirs. Bien que Sanders soit sur ses gardes, quand Meredith se jette sur lui et se met à lui sucer le moyeu, il en perd ses culottes et son latin. Mais il résiste, refuse d'aller jusqu'au bout et quitte le bureau de sa patronne au beau milieu d'une engueulade.

Le lendemain, Sanders décide de porter plainte pour harcèlement sexuel.

Son calvaire commence; qui sera bref.

Il aura affaire à l'avocat véreux de DigiCom, il aura affaire avec le président de la firme, un presque ami qui va cesser de l'être tout soudainement. Car cette affaire, assez banale en soi, risque de faire échouer l'acquisition de DigiCom par la compagnie Conley-White dont les propriétaires sont plutôt collets montés, puritains au cube et à la recherche d'un deal sans histoire.

Malgré les pressions, Sanders persiste. Son entêtement est exacerbé par le sentiment d'avoir été dépossédé d'un poste qui lui revenait. Mais la merde va sortir du sac. Il va apprendre sur Meredith Johnson des choses qu'on ne met pas dans un cv. Avec tout son courage et un sens de la démerde remarquable (sans compter qu'il est aidé par un mystérieux ami sur Internet), Sanders va damer le pion à Johnson, dévoilant sa stratégie devant le conseil d'administration conjoint de DigiCom et de Conley-White (ce qui mènera la mégère à sa perte). Du même coup, il règle le problème des lecteurs CD (essentiels à l'histoire) et, le jeudi de la même semaine, réintègre le poste qu'il occupait le lundi. Il n'obtient pas sa promotion, mais l'aide dont il a joui pour abattre Meredith Johnson était aussi une autre manigance, plus subtile, et la personne qui obtient le poste vacant de Johnson n'est autre que...

Un remarquable roman d'action et de suspense sur un canevas de base assez peu attirant (lecteur CD et harcèlement sexuel). Mais ça déménage. Crichton écrit avec un exceptionnel dynamisme narratif. Il ne lésine pas en chemin, foin de digressions, d'analyses psychologiques et de contemplations poétiques. À d'autres. La vérisimilitude, qui est le forte de l'auteur, joue ici magnifiquement. Le lecteur est dans une grosse boîte informatique, tout est hallucinant de vérité. Et l'intrigue principale (le combat de Sanders contre Johnson et les corporate executive de DigiCom) vient trouver sa résolution au moment même où sont résolues les intrigues secondaires (qui est l'ami mystérieux sur Internet ? Qu'ont donc les lecteurs CD ? Où est passé l'ingénieur Mohammad Jaffar ?), tout au bout du terme romanesque — et le lecteur, repu, satisfait, referme le livre avec un bienheureux soupir.

À noter un épilogue grinçant et ironique sur ce que deviennent les personnages après ces événements. Ouille qu'on rigole et que le rire est jaune...

Disclosure
Michael Crichton
Ballantine, 1994
497 pages
lecture : octobre 94

L'Homme terminal - Michael Crichton

Le 9 mars 1971, Harry Benson entre à l'hôpital y subir une opération au cerveau qui le guérira des soudaines crises de violence qui s'emparent de lui périodiquement. Benson est un homme petit, modeste, un technicien aux ordinateurs fasciné et effrayé par l'importance grandissante de ces machines dans la vie quotidienne. Son opération, une première mondiale, menée par des chirurgiens carriéristes et empressés, consiste à lui greffer une électrode reliée à un ordinateur miniature programmé pour prévenir les crises.

La psychiatre Janet Ross est tout à fait opposée à cette opération, qu'elle juge prématurée. Elle hurle dans le désert. La première journée postopératoire, Benson prend du mieux et tout semble sous contrôle; pourtant, une espèce de sourde inquiétude tenaille Ross. Le soir du 10 mars, Benson arrache ses pansements et s'évade de l'hôpital.

Sa trace est vite repérée chez son ex-blonde qu'il assassine avec une violence extraordinaire. Alors que sonne le branle-bas de combat à l'hôpital et à la police, Benson apparaît chez Janet Ross à qui il tente de faire un mauvais parti. Elle s'en échappe in extremis et parvient à mettre Benson en fuite.

L'ordinateur qui régule les crises fonctionne bien, merveilleusement bien, trop bien. Les décharges électriques qu'il émet pour apaiser Benson sont si appropriées que le cerveau de celui-ci en redemande. Se produit alors une série de crises volontairement induites par le cerveau pour stimuler/provoquer une décharge apaisante; sauf que les crises se succèdent à un rythme tellement rapide que l'ordinateur ne peut résister. La crise cérébrale prend alors toute son ampleur, sans restrictions, et Benson se transforme en monstre sanguinaire.

Après une poursuite de trente-six heures, Benson est rattrapé après avoir assailli plusieurs personnes dont un des médecins qui l'a opéré. Il investit l'hôpital et on le retrouve dans la salle des ordinateurs. La police met le siège. Benson a un compte à régler avec la machine. Benson ne parviendra pas à ses fins et sera abattu par Janet Ross elle-même.

Il s'agit d'un des tout premiers romans de Crichton. Ça se lit bien car tous les éléments qui forment sa griffe si particulière y sont déjà — vraisemblance des développements techniques et scientifiques, suspense haletant —, pourtant le joyau est brut. Le roman est divisé en deux parties mal balancées : la première, longue et technique, un peu ennuyeuse, fait à peu près la moitié du livre, c'est beaucoup. La seconde partie, après que Benson se soit échappé de l'hôpital, est habilement menée, un vrai bon suspense prenant, avec nombreux rebondissements et actions menées au quart de tour.

La fin arrive d'un seul coup, bêtement, le roman se casse soudain sur la mort de Benson et le livre s'achève plutôt platement…

L'homme terminal
Michael Crichton
titre original : Terminal Man
Pocket, 1994
279 pages
lecture : septembre 94

samedi 19 mars 2011

2010 : odyssée deux - Arthur C. Clarke

En 2010, une mission américano-soviétique est lancée pour récupérer Discovery, le vaisseau en orbite autour de Jupiter depuis que Dave Bowman l'a abandonné pour un univers secret. L'existence du gigantesque monolithe en orbite autour de Jupiter a été gardée secrète depuis les événements de 2001. Composée de sept soviétiques, de trois américains et d'un Indien, le Dr Chandra, père spirituel de Hal, la mission s'élance vers son rendez-vous. Elle sera doublée entre-temps par une expédition chinoise qui se terminera tragiquement quand son vaisseau sera anéanti par des créatures primitives vivant sous les glaces d'Europe, un des satellites de Jupiter.

Le vaisseau Leonov s'arrime à Discovery et parvient à le remettre en état de fonctionner. Avec une infinité de précautions, car on ne sait toujours pas ce qui est arrivé à Bowman, l'équipe explore le monolithe auquel on a donné les noms russe de Zagadka (énigme) et anglais de Big Brother, mais celui-ci refuse obstinément de révéler quoi que ce soit. Pourtant, un jour, le monolithe s'ouvre sur une nuée d'étoiles, un point lumineux s'en échappe et se dirige à toute vitesse vers la Terre : c'est Bowman qui revient, sous la forme d'une masse de pure énergie. Bowman fait le tour de la Terre, faisant exploser une bombe nucléaire en orbite chargée de l'éliminer; il rend visite à sa mère mourante et à sa blonde dont il rêve toujours malgré son essence fort peu corporelle. Après sa virée terrestre qui n'était qu'une mise au point de ses réflexes, il remet le cap vers Jupiter afin de confronter la mission Leonov et de mettre au clair (y compris pour lui même) les intentions des créatures qui l'ont fait passer à cette étape ultérieure de l'évolution.

Pendant ce temps, les membres de l'équipage (qui comprend, outre le Dr Chandra, le Dr Heywood Floyd — tous les deux de 2001) se préparent à rentrer paisiblement vers la Terre en ramenant Discovery. Bowman fait une apparition à Floyd et l'enjoint de partir avant quinze jours, car sinon la mission aura de vrais gros ennuis. Les autres membres de l'équipage sont assez incrédules mais, en raboutant de petits morceaux du puzzle, tous finissent par accréditer la vision de Floyd, tout spécialement quand le monolithe disparaît subitement, sans raison apparente. C'est le signal. D'urgence, on prépare un plan pour déguerpir sans demander son change, on abandonne Discovery et Hal qui a repris du service. Sur le chemin du retour, Floyd remarque des milliards de monolithes qui recouvrent une large partie de l'atmosphère de Jupiter. La planète, écrasée par cette masse hyperdense, se rétracte comme l'étoile qu'elle a failli être, puis explose sous la pression, Jupiter est devenu une étoile. Peu à peu les satellites de Jupiter vont se réchauffer, la vie va continuer de fleurir sur Europe et les humains vont pouvoir coloniser les autres lunes de la nouvelle étoile. L'épilogue, situé en 20 001, nous montre les créatures d'Europe, au premier stade de l'urbanisation, formant un noyau de civilisation primitive au cœur des colonies humaines autour de Jupiter. Les monolithes, dont le rôle est de favoriser le développement de l'intelligence, quelle qu'elle soit, veillent en silence sur Europe qu'ils protègent.

Cette suite à 2001 ne s'imposait pas du tout. Parce que Clarke éclaircit les mystères qui faisaient tout le charme du livre et du film : la présence énigmatique des monolithes et leur effet, la disparition de Bowman, la folie de Hal; ces ficelles qui pendaient du roman permettaient toutes sortes de théories et d'hypothèses. C'était le charme premier du livre, qui l'extirpait de la masse des romans sf et lui donnait toute sa richesse et même une raison supplémentaire de continuer à exister dans l'esprit du lecteur.

On ne peut rien reprocher à 2010, Clarke écrit comme un jeune pro plein de promesse. Son roman vit, bouge — mais le déménagement des neurones ne se fait pas. Les personnages sont bien décrits, caractérisés, typés, tout ça, c'est du travail irréprochable. Mais les mystères étant déflorés un à un, le lecteur s'enfonce dans un magma imperturbablement terre à terre. Exit l'élévation et la folie philosophique; le lecteur se paie un ouvrage d'une extrême compétence... Et, en littérature, ne l'oublions pas, le substantif compétence porte une idée un peu péjorative.

2010, odyssée deux
(titre original : 2010: Odysssey Two)
Albin Michel, 1985
294 pages
lecture : novembre 94

De l'univers à nous - Robert Clarke

Un rapide survol des quinze milliards d'années de l'univers. Très rapide — on n'a que cent cinquante pages. Pourtant, tout y passe : la création de l'univers, le rugissement de la vie, puis des êtres complexes, les grandes mutations qui conduisent à l'apparition des humains, au développement de l'intelligence et des sociétés humaines, ce que nous offre l'avenir de l'informatique et du génie génétique. Ça va vite en diable, au point d'en être un peu difficile à suivre. Ça ressemble à un kaléidoscope halluciné. Ce livre donne une information de base sur une foule de sujets : l'astrophysique, la biochimie, l'anthropologie, la sociologie, la prospective...

Pour un lecteur aguerri, comme moi, cette lecture n'apporte rien de bien neuf, sauf la très plaisante bibliographie qui recense deux dizaines d'ouvrage d'un niveau un peu supérieur au livre lui-même, et qui sont mieux adaptées à mes capacités. Une faible note de lecture pour un livre qui s'adresse en fait à un tout autre public.

Virgule, 1985
150 pages
lecture : avril 94

Les Parallèles célestes - Denis Côté

André Jacek est un jeune professeur engagé à contrat dans une petite ville du Nord: Lambreville. Un mystère plane : des gens auraient vu des soucoupes volantes mais personne ne veut en parler. L'intérêt de Jacek augmente et il se lance dans une enquête personnelle. Surprise, tous les livres sur les ovnis ont disparu de la bibliothèque et le journal local a détruit ses propres archives...

Ayant été « assailli » par une boule lumineuse, puis ayant aperçu des lueurs à l'orée de la forêt, Jacek part en motoneige pour percer ce mystère. Il est rattrapé et tabassé par des malandrins qui l'enjoignent de quitter la ville. Le lendemain, il reçoit son congé de la main du directeur de l'école — on apprécie peu son intérêt pour les ovnis. Libre de son temps, il en profite pour relancer son enquête, ce qui l'amène dans une garnison militaire où il est capturé.

Jacek fait alors la connaissance de Julian, une jeune Californien doué de pouvoirs extrasensoriels. Les militaires ont établi un camp autour d'un ovni qu'ils ont capturé; mais ils sont incapables d'entrer en communication avec les hypothétiques passagers du vaisseau, ils sont même incapables d'entrer dans le vaisseau. Puis le vaisseau se met à émettre des messages implorant Julian de monter à bord. Le commandant de la garnison envoie plutôt Jacek. Une fois à bord, André Jacek est pris d'hallucinations. Puis le vaisseau disparaît subitement, en se désintégrant. Analysant l'affaire, Jacek et quelques-uns de ses amis en viennent à la conclusion que le vaisseau était un organisme vivant en état de dépérissement et qu'il est mort de sa belle mort, seul et quasi abandonné par les siens. Seuls, les pouvoirs ESP de Julian auraient sans doute pu le régénérer — mais c'est raté, merci les militaires.

Il règne dans ce roman un sérieux bien rare dans la production habituelle des romans jeunesse. Côté est un romancier extrêmement habile qui, de surcroît, ne prend pas ses jeunes lecteurs pour des singes débiles. Ici, pas de gnangnan, pas de rose bonbon. C'est un roman sérieux, un suspense à caractère sf, écrit selon les règles de l'art — et d'ailleurs, il n'y a pas d'enfants dans ce livre : les personnages sont des adultes vivant en adultes. Au crédit du romancier, il faut souligner que la fin choisie baigne dans une irrésolution certaine, ce qui va laisser plusieurs lecteurs dans la perplexité. Pourtant, cette fin semi-ouverte (en ce qui a trait à l'origine et aux motivations des organismes lumineux) donne une réalité plus grande à ce roman; après tout, la vie de tous les jours n'est pas marquée par la résolution finale et globale des interrogations.

Hurtubise, 1983
168 pages
lecture : mai 94

Le Voyage dans le temps - Denis Côté

C'est l'anniversaire de Maxime, qui a 13 ans aujourd'hui. On fait une fête chez lui. Avant de manger le gâteau, lui et Jo décident d'aller faire une promenade à l'extérieur. En s'habillant dans sa chambre, Maxime découvre une paire de vieilles bottines. Maxime la met à ses pieds. Aussitôt tout se met à tourner, lui et Jo se trouve pris dans un tourbillon. Quand le tourbillon prend fin, ils ont quitté la chambre de Maxime et ils sont revenus 100 ans en arrière. Québec est une ville quasiment moyenâgeuse : égouts à ciel ouvert, épidémie de tuberculose et enfants morts que l'on transporte dans des charrettes.

Les habitants de la ville donnent la chasse à Maxime et à Jo car les ayant vus avec les bottines, ils sont convaincus que nos deux jeunes héros sont de connivence avec la Charbonneuse, la sorcière responsable des malheurs qui s'abattent sur la ville.

Les jeunes seront poursuivis, menacés d'être décapités, puis ils retrouveront la sorcière.

Ce n'est évidemment pas une vraie sorcière. C'est une jeune femme très intéressée par la science et qui, parce qu'elle est toujours célibataire, vit en paria. Elle est curieuse et a un esprit progressiste. Ce n'est pas bien vu par une population peu éduquée, fortement imprégnée de pensée magique et d'explications irrationnelles.

Gabrielle Charbonneau, la Charbonneuse, veut connaître l'avenir; elle tente de construire des machines temporelles, prenant appui sur la science et sur la sorcellerie car elle ne rejette aucune option. C'est elle qui a fait fabriquer la paire de bottines qui a atterri dans la chambre de Maxime 100 ans plus tard.

Les jeunes héros répondront à certaines de ses interrogations sur l'avenir. Ils la rassureront quant à la disparition des maladies les plus mortelles et tairont charitablement le fait que ni la paix ni la prospérité ne sont le lot de tous au XXe siècle.

Un suspense assez noir et plutôt réussi. Pas de nostalgies bienheureuses sur le passé révolu. Les temps étaient durs et l'ignorance crasse, Côté ne fait pas dans l'image d'Épinal. Ses jeunes héros sont effrayés, ils ne crânent pas comme on voit souvent. Pas d'humour ici. Peu de personnages : Maxime, Jos, la sorcière, quelques amis au début lors de la fête.

La structure est éminemment linéaire.

La Courte échelle, 1989
92 pages